Béatrice Machet | Tentations

QUATRE

Tentation du manque. À dépouiller jusqu’au noyau du froid. Une ivresse cependant. Refermée sur ce qui n’est pas rien. Ô combien ce quelque chose creuse. Toute sa place. Avec boue sur ses bas-côtés d’hiver finissant. S’en va tandis que s’en vient dans les veines les radicelles de l’autre. À bas bruit. Pourtant quel vacarme ce qui matériellement absent brûle. Vers qu(o)i tout converge.




Tentation du sillage. Suivre à la trace une larme. Dessiner un lignage. De cailloux en germes les pointillés salés d’une promesse faite à l’enfance. Doubler le cap en riant.


Tentation de l’appel. Un mouvement induit. Comme la couleur du temps. Comme à demeure sans lieu de vie. Un passage avec au centre de soi une permanence. Nomade n’a pas de clés. Ni de sol ni de fa. Savoir lire sa musique c’est savoir si j’épelle ou si j’appelle. En appeler au manque pour le penser dans une chambre à soi. Orchestre discret qui réserve ses résonances à la lune.




Tentation de la faille. Ce qui lâche et s’effondre jamais n’a menti. Mais se perd sans témoin pour rattraper l’ordonnance des lignes. Au centre de la chute les murs du chagrin. Des ongles labourent le silence. Enregistrent les jours. Et les nuits les coyotes hurlent à l’agonie.


Tentation de l’obscur. Les ombres annulées. Le cri serré dans le poing. Contours d’orages pour adresser le corps au cosmos. Le vide a triste figure. Pourtant un tourbillon de vérité offre un visage à la voie lactée.




Tentation du suspens. Des confins inaudibles. Des horizons floutés. L’apesanteur s’invite et s’étale de tout son long. Un volume qui se voudrait bulle. Une boule auquel le futur échappe. Des orbites où les yeux se rêvent étoiles. Il n’y a plus d’après pour froisser la soie du présent.



Tentation du levier pour desceller pour libérer les mots à mots de la parole. Qu’il n’y ait plus que les peaux à peaux pour caresser le mystère de la chair devenue voix.




Tentation de jamais. Pour que toujours l’approche. Pour que longtemps dans un souffle qui pourtant ne s’arrête. Qui pourtant. Léger dans le lourd du temps béant. Au fond de soi ça mord. Des crocs des mâchoires sans aboiements. Au fond de soi le ventru d’un mur. Que jamais il ne s’éboule que jamais les pierres à redresser que toujours la maison. Chercher les mots amoncelés comme oser monter au grenier.



Tentation de langue. Le vol d’oiseaux tant et tant qui frôlent mais fuient. Pas la connaissance non. Pas la route tracée par l’imagination. Pas les cages prévues comme toute case anonyme où l’on entend attacher. Cisaillements d’ailes de piquer en plongée toute une traversée. Tant et tant qui frôle et fuit … et quoi sinon l’humanité.




CINQ

Tentation des arrières-mondes. Se construit dans le
mental. S’échafaude à l’envers d’une sédimentation. Besoin d’air. Une dentelle flotte dans le vent des neurones. Des cordes et barreaux se balancent. De l’instable mais d’hallucination point. L’ici-bas comme tremplin. L’opium du peuple enfume les idées. Dès lors inférieur comme supérieur disparaissent de l’échelle des valeurs.




Tentation de révolte. Jusqu’à révolution. AH ça ira, ça ira… parier sur la liberté humaine. Parier sur l’après de la production. Parier sur la justice qui se passe de lois. Quand l’éthique est le principe parier que l’absurde est moins pénible.



Tentation de dire : je suis Sergueï Soloviev. Je suis Spartacus. Je suis Crazy Horse… je suis Charlie … Résistances salvatrices. Les bourreaux n’auront jamais le dernier mot.





« Tentation 4 » et « Tentation 5 » sont extraits d’une série de cinq Tentations. Béatrice Machet les a d’abord écrites en anglais, elles sont ici traduites en français par elle-même.

11 mars 2024
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