Bruno Allain, résidence Utrillo 2

Un écrivain en résidence dans un collège

Initiative de l’Académie de Paris

Soutenue par la DRAC, la FOL 75, la mairie du 18ème

Depuis le 15 octobre, Bruno Allain est en résidence au collège Utrillo, Paris 18ème.
Il y a installé son bureau, salle 209, au milieu des classes et s’y rend trois jours par semaine.
Sa mission ? Ecrire. Rendre le collège témoin de l’activité d’un écrivain. Donner envie de lire, d’écrire, d’exprimer. Proposer des ateliers en lien avec les enseignants et la vie du collège.

Au fil du temps, il rédige
le journal de la résidence
Le voici.

photos Olivia Gay


6.12.04

Ces visages qui passent la porte, ces regards curieux, ces instants ouverts. Des fragments de vie de collégiens viennent se déposer, là, dans la salle 209, sur la table entourée de six chaises, avant que leurs propriétaires ne repartent dans le maelström des bousculades du couloir. Je suis étonné de la capacité avec laquelle les adolescents jouent le jeu de l’écriture. Je ne parle pas de ceux dont les mots coulent déjà du stylo avant de commencer. Je parle de ceux qui les accompagnent, les réticents, les “mais j’ai pas envie de raconter tout ça”. Après un moment de silence où chacun se lance, après un moment de lecture à haute voix des quelques phrases qui viennent de s’écrire, ceux qui jusqu’alors étaient restés spectateurs montent sur la scène de l’écriture et s’y adonne à leur tour.

— Hé monsieur, on fait quoi ici.
— Tu as vu ce qui est marqué sur la porte ?
— “Bureau de l’écrivain en résidence”.
— Alors ?
— Ben.
— Ben ici, on écrit.
— Je peux venir faire des exercices de maths ?
— Ah non. Pour ça, tu vas en permanence.
— Et du français.
— Non plus. Ici pas de travail d’école. Ici tu écris pour toi.
— Ah ? Et... Vous écrivez des livres !
— Oui, regarde.
— Oh la la.
— Si tu veux, tu viens et on s’y met ensemble.
— Moi aussi, j’écrirai des livres ?
— Qui sait ?

J’apprends à zapper. Si je n’ai personne dans le bureau, j’écris pour moi. En ce moment, je couche les derniers mots de cet ensemble de pièces courtes dont j’ai déjà parlé “Quand la Viande parle” et qui sera édité en février. Dès qu’un collégien entre et s’installe, je laisse ce travail de côté. Discussion, proposition d’écriture, nous voilà partis vers d’autres sphères.

Aujourd’hui, six élèves de troisième prennent place autour de la table. Mélanie, une habituée, enregistre, ses derniers textes dans l’ordinateur de la salle 209 depuis une disquette. Tous ensemble pendant une heure, nous décidons d’écrire une anecdote dont nous avons été acteur ou spectateur. A priori dans le quartier. Une petite aspérité du quotidien. Une parcelle de réel volé au passé. Nous nous attachons au concrêt. 6 textes, 6 histoires, 6 mondes. Sept devrais-je dire puisque j’écris avec eux.

Plus tard, Jessica me fait lire un texte très émouvant sur son père disparu. On en parle en tête à tête. Je salue le courage que cela doit représenter pour elle de livrer ainsi le plus profond de soi. A propos de certains passages, je demande des précisions sur ce qu’elle tient à exprimer. On discute. Je pointe quelques phrases à améliorer au regard de cette discussion. Elle me promet de revenir. Je lui dis que, si alors elle le souhaite, on pourra publier ce texte. Elle ne dit ni oui, ni non.

Un samedi, j’étais dehors, j’aidais mes voisins à faire leurs courses. Leur fille apprenait le roller. Elle est tombée accidentellement sur Anne Roumanoff. Mais la petite n’est pas seulement tombée, elle lui est rentrée dedans. L’artiste quant à elle a juste eu le temps de se raccrocher aux cheveux de sa copine qui a poussé un cri d’horreur. Tous les regards se sont posés sur nous. Sur ce fait, on était tous en train de rire, mais on sentait que l’autre femme, celle qui s’était fait tirer les cheveux, riait jaune. On a eu quand même des autographes et on a fait le chemin ensemble.

Samy (3ème)

Ça s’est passé avec une amie à moi. On s’amusait dans les cabines téléphoniques à appeler des gens. Elle me dit : vas-y, on appelle le fleuriste d’en face. Je lui ai répondu OK. On lui disait qu’il avait gagné un voyage aux Etats-Unis...etc... Le pire, c’est qu’il y croyait. Après s’être bien marré avec lui, on est sorti pour aller chez ma copine. Sur le chemin, le fleuriste nous a suivi. On n’avait même pas griller. Lorsqu’elle voulut ouvrir, il nous a fait peur par derrière. Cet homme aux oreilles décollées nous a dit qu’il allait prévenir notre père et nous a menacées en disant n’importe quoi. Il avait inventé des mots. Bref, on a juste eu peur. Sinon c’était trop marrant. On est rentré et on a joué à la Game Cube.

Gordana (3ème)

C’est l’hiver, il fait froid, il fait nuit

Comme chaque matin, je fais ce chemin

Ce simple chemin qui me mène au collège

J’habite le boulevard Ney et c’est mal fréquenté

Il y a des prostituées, des drogués, des clochards

Ce matin c’était un alcoolique, il était peut-être drogué

Ou peut-être était-ce un drogué alcoolique

En tout cas il était là, grand, fatigué

Habillé de sombre avec un bonnet, il sentait mauvais

Assis sur ce banc à 100 mètres de chez moi

Une dame va tranquillement au travail

Elle passe calme, un fracas puis deux

L’homme lui lançait des bouteilles en verre

Sûrement sa boisson de la nuit

D’un coup je sens mon coeur battre

Il pourrait arriver n’importe quoi

Imaginez qu’il lance une bouteille sur moi

Mon coeur bat de plus en plus vite

Tout est amplifié

Le temps est ralenti à l’intérieur

Et accéléré en dehors

Je ne sens plus le froid

Juste mon coeur, mon coeur et les bouteilles

J’avançais toujours, sans ralentir ni accélérer

J’avais peur, l’homme n’était pas conscient de ses actes

J’avance encore. Ouf ! C’est fini !

L’homme est derrière moi, je rentre en cours

Et encore une journée de plus !

Mélanie (3ème)

Deux jours plus tard, Michaël revient avec le texte qui suit, inspiré par ce qu’il avait écrit ce matin-là.

A place de Clichy, je marche sous la pluie

Ça fait une heure et demi

Je rentre dans un bar pour acheter des garettes-ci car ce mauvais temps m’a donné envie

Je commande un casse-croûte et une bière qui vient de Bavière

Une demoiselle rentre pour demander sa route

Parce qu’elle est un peu perdu

Je me lève, je termine mon casse-croûte, je donne un pourboire au garçon.

Je la regardais dans les yeux mais je deviens bigleux.

Je la raccompagne chez elle, cette belle demoiselle.

Le soir même, je la rappelle

Je l’invite pour dîner et elle accepte sans hésiter

Mon réveil sonne, il est huit heure et demi

Mon rêve est fini.

Michaël (3ème)

Je sors du collège. Suivre le boyau entre la cour et le gymnase. Sur ma gauche, une grille tout le long. J’ai l’impression d’être dans une cage aux lions. Qui sont les lions d’ailleurs ? Les élèves qui crient dans la cour, certains me regardent, ou moi qui les voit vivre un instant derrière les barreaux ?

Au bout, la porte, le trottoir, si tu marches tout droit tu te cognes dans l’arrêt de bus. Je veux couper pour traverser, ne pas faire le crochet par le passage-piétons. A ce moment-là, le feu passe au vert. Me voilà sur le terre-plein central, entre les voitures et le couloir de bus. C’est étroit. Je m’imagine funambule. Tous démarrent à fond : les voitures, les bus. Et moi, au milieu, sur mon arête de poisson. Pourquoi une arête ? Je ne sais pas. L’idée de nager (de surnager ?) dans le mouvement frénétique du monde. Bof bof. Les voitures et les bus ont disparu. Je traverse. A demain.

Le lendemain justement, lecture au “Lavoir Moderne” (35 rue Léon 18è) des nouvelles pièces courtes dont certaines ont été imaginées depuis le début de la résidence au collège. Peu de monde mais ambiance chaleureuse. Je lis. On apprécie. Le ton de ces écrits est très cru (toujours “Quand la viande parle”). Je ne peux les montrer au collège. Je parle de la résidence. On me complimente. Je reçois tout cela avec plaisir.

Le lendemain, voila des quatrièmes qui s’installent autour de la table. Que des filles. L’humeur est plus à la “discute” qu’à l’écriture. On parle. Les questions habituelles sur le métier d’écrivain. Mes livres circulent entre leurs mains. Elles feuillettent, lisent un fragment par ci, s’étonnent : vous avez mis longtemps ? On en vient à ce que l’on pourrait construire ensemble. Je les interroge sur leurs vies. Est-ce qu’elles écrivent un journal ? Que font-elles dans leur chambre ? Mounina avoue se parler à elle-même en se regardant dans la glace. “Des fois, je pleure”, ajoute-t-elle. Je saisis la balle au bond. “Peut-être, on pourrait faire ça : écrire ce que l’on se dit en regardant la glace ?” La cloche sonne (une sirène de caserne de pompiers en vérité). On se promet de se revoir et de s’y atteler sans réfléchir. Je ne savais pas encore combien cet exercice allait devenir fructueux.

L’après-midi, je reçois Julia Lemarchand, journaliste à “La Vie”. Elle souhaite faire une interview et comprendre en quoi consiste la résidence. Elle est toute jeune, le regard franc, l’enthousiasme intact. J’ai toujours un souci avec les journalistes. La transmission est difficile. Leur volant d’action me paraît réduit, de plus en plus coincé entre des prérogatives contradictoires. Malgré un désir de vérité évident, les paroles de l’interviewé sont trop souvent déformées, inexactes, incomplètes. Pour moi, cette résidence aujourd’hui représente le digne prolongement d’un chemin de 50 ans de vie. Comment résumer cela sur deux colonnes ? Bref, je réponds aux questions. Nous parlons longuement. A 16h, voici les collégiens qui ont voyagé l’an passé en Mauritanie. Premier atelier d’écriture à propos de leur périple. Julia Lemarchand reste avec nous. Je leur demande de livrer leur ressenti, à Chinguetti, quand ils ont vu le désert pour la première fois. Ça discute, ça chahute mais ça finit par s’y mettre. On lit. Julia prend des notes. Voici un aperçu de textes. Pas de corrections hormis l’orthographe...

On voyait des dunes à perte de vue, que des dunes, rien que des. Ce n’était pas comme à Paris où on ne voit pas à plus de 5 mètres à cause des immeubles. Là, dans le désert, que le ciel et le sable ! Comme si à l’horizon le ciel et les dunes se touchaient. Le sable léger, pas comme le sable du square. Le ciel bleu et pas gris comme le ciel de Paris.

Jonathan (3ème)

Lorsque j’ai vu le désert pour la première fois, je n’y croyais pas... C’était aussi la première fois que je voyageais avec mes camarades de classe. Dès que je voyais le sable, je ressentais la chaleur qui le caressait. Lorsqu’on marchait pieds nus, ça faisait du bien et c’était très très doux. Le désert me fait penser aussi à un camarade qui est tombé la tête dans le sable.

Dio (3ème)

J’ai été émerveillée par cette splendeur. J’ai bien aimé. Quand j’ai vu les collines à perte de vue, j’étais étonnée. Je ne pensais qu’au bonheur. J’ai vraiment réalisé que j’avais de la chance.

Safiane (3ème)

Au début, je croyais que c’était des collines jaune et orange. Et je me disais que je pouvais marcher des siècles et des siècles, ça ne changerait rien, on reviendrait au même endroit. C’est un monde perdu dans la nature comme la jungle. Je pensais à tous ceux qui étaient autour de moi. Il faisait chaud. J’ai aimé descendre les dunes. Il y en avait des milliers. Sur les dunes, il y avait plein de trucs et rien.

Salah (3ème)

La première fois, je n’y croyais pas. Il faisait chaud. Mais tellement c’était magnifique, je ne faisais même pas attention. Se retrouver avec notre classe dans un désert alors qu’on se voyait à peine qu’en cours, ça faisait bizarre. Je pensais à tous les bons moments qu’on allait passer ensemble. J’avais peur mais je ne sais pas de quoi.

Sarah (3ème)

C’était beau ! C’était mon premier regard sur le désert. J’ai beaucoup aimé. C’était nouveau pour moi. Il faisait chaud. Ce n’était pas la même température qu’à Paris. Les habitants étaient chaleureux et accueillants.

Douniya (3ème)
14 décembre 2004
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