Claude Simon : une écriture en cinéma

Les lecteurs de Claude Simon savent son intérêt pour l’image, en particulier pour la photographie et pour le cinéma. La critique a déjà abordé cette question.
Mais il fallait le regard d’une spécialiste et d’une praticienne du cinéma, Bérénice Bonhomme [1], pour entrer dans un questionnement qui nous intéresse tout particulièrement puisqu’il éclaire les arcanes de la création littéraire en montrant comment le texte simonien est secrètement, et souvent consciemment, travaillé par les techniques et les enjeux du cinéma.
Ce qui lui donne sa forme spécifique, à la fois ouverte, et comme toujours inachevée : « Toute l’œuvre est jalonnée de renvois, de reports de textes, de scènes récurrentes, de motifs repris. Une des caractéristiques les plus spectaculaires de l’œuvre de Claude Simon est ce retour d’images que l’écriture remet sur le métier pour, sans cesse, les retravailler. » [2]
Rien de moins réaliste que ces montages dans lesquels les images fonctionnent en quelque sorte pour elles-mêmes, étant à elles-mêmes leur propre justification, leur propre fin, imposant entre le monde et nous l’écran, ou la distance, qu’inspirent leurs miroitements, au point peut-être de ne proposer rien d’autre que le plaisir de ces jeux de miroirs.

Les analyses de Bérénice Bonhomme sont très savantes.
Outre la référence constante aux techniques du cinéma, liée à son savoir spécifique, ses analyses font aussi appel à une culture littéraire et philosophique qui la conduit à éclairer d’un point de vue nouveau, en accord avec l’œuvre de Simon, la question de la création, laquelle au fond se résume toujours à la même inquiétude, celle que François Bon rappelait dans Parking en citant la phrase du « vieux Sophocle » : « Qu’est-ce qui pousse les hommes à se représenter eux-mêmes [3] »...
Mais ce qui me retient aussi, dans le livre de Bérénice Bonhomme, c’est à la fois la clarté et la fermeté de l’écriture, son élégance, qui confèrent une calme et convaincante autorité à ses analyses :

L’œuvre de Claude Simon est construite sur des lacunes, des manques, des visions du monde fragmentaires, paradoxales et troublées. Le simple modèle du raccord classique est donc contesté, l’écriture simonienne lui préférant l’analogie, la juxtaposition, et ne refusant pas la distance entre les termes, car c’est, dans l’écart même, que quelque chose apparaît. L’intervalle est une puissance de différence, lien et écart à la fois, qui apparaît heuristique pour étudier une œuvre fondée sur le mode du « quasi », du « comme », entre ressemblance et différence, linéarité et simultanéité, œuvre qui se construit en réseaux, nappes de sens, toujours dynamiques et mouvants. [4]

Jean-Marie Barnaud

23 mars 2010
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[1Bérénice Bonhomme enseigne le cinéma à l’université de la Sorbonne Nouvelle Paris III. Elle a aussi réalisé plusieurs courts-métrages. Voir ici les travaux qu’elle a déjà consacrés aux rapports de Claude Simon et du cinéma.

[2p. 29.

[3Parking, Les Éditions de minuit, 1996,p. 42.

[4p.290-291.