MAN-atelier n°1

Comment ça s’écrit ?

Premier atelier d’écriture le 23 octobre, au musée d’Archéologie. La proposition est simple : dans les salles de préhistoire, de l’âge du Bronze et du Néolithique, les participants sont invités à choisir un objet et à écrire un texte de fiction qui mettra en scène l’objet choisi. Nous voici donc, en ce premier mercredi après-midi des vacances d’automne, dans les salles du musée. Ce qui m’intéresse, c’est de voir comment l’imaginaire de chacun émerge devant les objets qui nous viennent des temps anciens, quelles visions sont convoquées, quels récits nous inspirent ces vestiges mystérieux. Après une courte visite des galeries concernées (je m’improvise conférencière durant une vingtaine de minutes), chacun des sept participants s’installe devant l’objet qu’il a élu.
Ils sont quatre adultes et trois jeunes de 10 à 13 ans à tenter l’aventure.

Après une demi-heure durant laquelle chacun écrit son texte, nous nous réunissons et descendons dans la chapelle du château ; nous nous installons sous les voûtes, dans le fond de la nef, et je lis à voix haute les mini-fictions, l’une après l’autre. Découvrir les productions de chaque auteur d’un jour est un exercice à la fois passionnant et émouvant. La créativité de chacun s’y exprime, son regard sur l’objet, son imaginaire et ses propres perceptions... Le musée imprime aux textes son esprit, celui des découvreurs et savants qui ont arraché à la terre les précieux témoins, livrés à nos regards à la fois ignorants et admiratifs, mais il inspire aussi des histoires humaines et empreintes des émotions et sentiments d’aujourd’hui.
Au fil des textes, la manière dont les ponts se tissent d’une époque à l’autre, à travers les millénaires empilés, manière à la fois sensible et profondément bienveillante, me réjouit.
Voici les textes des sept participants, associés à l’objet qu’ils sollicitent :

Collier. Abri Castanet, Sergeac, Dordogne. Aurignacien (de – 40 000 à – 28 000 ans)

1- Voilà quatre jours que nous marchons à la recherche d’une clairière idéale : c’est-à-dire pas trop loin d’un lac ou d’une rivière. Nous venons de manger une biche, évidemment c’est petit frère Jeannot qui l’a repérée et qui a eu droit à une cuisse supplémentaire ! En fin de matinée, nous trouvons ce que nous cherchions, une clairière ! Pendant que les autres du clan préparent le terrain, de mon côté je vais explorer les environs. J’arrive vers une petite plage où l’eau de la mer est d’un bleu profond et le sable blanc. Je récolte des coquillages très jolis et détaillés. Le soleil commence à disparaître et il commence à faire noir. Je rentre au camp. En chemin je trouve un amas de dents d’ours. Cela signifie qu’il y a d’autres clans que nous dans les environs : il faudra faire attention ! Je ramasse quelques dents et direction le camp...
De retour à la maison, je me mets à la fabrication d’un collier à partir des objets ramassés. Je déchire quelques poils de ma fourrure et je fabrique une corde. J’enfile au hasard dans l’extrémité de la ficelle les différents coquillages et dents auparavant percés pour y faire passer la corde. Quel bel assortiment !
Demain j’offrirai ce collier magique à Maman pour que les esprits soient avec elle.
Demain est une nouvelle journée.

Loup, 13 ans


Ceinture en or massif. Pas-de-Calais. Âge du Bronze

2- Bonjour, je m’appelle Ella, je vivais il y a 3 200 ans (enfin c’est ce qui est écrit au musée de Saint-Germain) à Balinghen. Je suis la compagne d’un grand chef. À ma mort, son chagrin a été immense, il a donc décidé de mettre en terre une partie de mes bijoux. Mais vraiment, quelle idée ! Mes deux filles étaient folles de rage. Imaginez une « ceinture » d’or qui pesait 2 kg. En plus il l’a repliée. Résultat : ceux qui l’ont trouvée pensent que c’est une ceinture. Comment voulez-vous porter une ceinture pareille ? Moi qui avais une taille de guêpe, il aurait fallu faire au moins quatre tours... Quel manque d’imagination ! Je la portais en bandoulière. A chaque extrémité je mettais de tout petits cailloux qui tintinnabulaient quand je marchais. Quel plaisir ! Chacun savait que j’arrivais ! Mes filles voulaient la récupérer pour en faire des torques et des bracelets. Nos artisans étaient des magiciens, des orfèvres très habiles. Mon compagnon pensait que ces offrandes pouvaient lui permettre de vivre plus en paix malgré mon absence. Pourtant, il l’aura enterrée un peu loin du village ! Donc pour l’influence, j’ai quelques doutes. Je ne sais pas si son corps est à côté du mien. Mais de toute façon il n’en reste rien. Alors laissons les hommes du XXIe siècle avec leur idée et leur manque d’imagination... Quant à nos filles, après la mort de leur père elles ont dû chercher, mais en vain. Tant mieux, vous pouvez ainsi admirer ce que je portais et avoir une pensée pour moi. Les Égyptiens pensaient qu’on mourait une deuxième fois quand personne ne prononçait notre nom. Je suis donc encore un peu vivante.

Catherine


Grande épingle en bronze. Sépulture féminine, Champlay (Yonne). Vers 1200 avant J.-C.

3- Je suis archéologue et aujourd’hui j’ai fait une découverte intéressante. C’est une sorte de pique allongée et fine avec des motifs simples, des ronds en spirale ou des sortes d’anneaux. Il y en a environ une quarantaine autour de la pique. C’est peut-être une épingle, mais cela me semble trop grand. J’ai réfléchi longuement et je me suis imaginé à la préhistoire, courant dans la forêt et les plaines, demandant aux tribus mon souper contre un tour de magie. Je prenais une de mes piques et je l’enfonçais dans ma bouche et elle ressortait sans me faire mal... Les gens impressionnés me donnaient quelquefois d’autres menus objets. Mais cela semble invraisemblable. Alors après un autre temps de réflexion, je m’imaginais dans le froid en train d’enfoncer ces piquets dans le sol où se trouvait un bout de toile de fourrure, je fis ça tout autour, cela formait une tente. Depuis dix ans je travaille dessus et je ne cesse de trouver des utilités. Comme sorte de brosse pour se gratter le dos ou même un fouet... Mais pour l’instant rien ne me permet d’être sûr. Ah oui ! J’ai oublié de vous dire comment j’ai fait ma découverte. Je regardais un copain agriculteur, il retournait la terre de son champ et soudain, bim, bam, boum !!! Quelque chose s’était coincé dans la machine, j’accourus et c’est là qu’on la trouva.
Je l’apportai au musée d’archéologie le plus proche. Ils ne savaient pas ce que c’était. Je me suis senti obligé de chercher...

Jacques, 12 ans


Stèle provençale. Cavaillon. 4e millénaire avant J.-C.

4- Spécialiste du néolithique au service des antiquités de Marseille, j’ai été alerté par la mairie de Cavaillon : un agriculteur en défonçant son champ avait trouvé une stèle en pierre représentant une tête. Le nez, les yeux ainsi que la bordure sont en relief, les bordures supérieure et droite sont ornées de stries. La pierre calcaire est assez tendre pour être travaillée facilement, mais ce type de sculpture est rare. Il pourrait s’agir d’une pierre tombale, c’est un usage courant de telles pierres sculptées. Cette tête me fait cependant penser à plus qu’un héros, il pourrait s’agir d’une divinité. Déjà il y a 25 000 ans, les hommes sculptaient des Vénus, des déesses mères. Alors pourquoi pas un dieu, faisant suite à de nouvelles croyances ? De plus ce type de tête me fait penser à des stèles plus tardives du Bassin méditerranéen et du Moyen-Orient. Reste aussi à confirmer la datation, selon moi elle daterait du 4e millénaire, c’est la technique de sculpture qui me permet cette hypothèse. Une analyse du calcaire nous permettra peut-être de retrouver précisément l’origine de la pierre.

André


Perles en variscite. Sépulture armoricaine. Néolithique moyen

5- Je suis fille du chef, je m’appelle Zia. La plupart des jeunes filles de mon âge m’envient à cause du fait que mon père soit le chef de notre village. Elles pensent toutes qu’il est riche et qu’il peut obtenir plus de bijoux, de parures et me les offrir, ainsi qu’à ma mère. Mais les autres filles se trompent. Mon père ne m’a offert qu’un seul bijou. C’est pour cela que je le trouve si magique. Je ne m’en sers que pour les cérémonies. C’est un fin bracelet de couleur verte, orné de perles. Papa me l’avait ramené de l’endroit où il était allé chasser. Ce n’est pas lui qui l’a fait. Ni un ouvrier du village même s’ils sont très doués. Ils sont capables de décorer magnifiquement l’or, autant que l’os ou le bois. Les ouvriers, en voyant pour la première fois mon bracelet, n’ont pas pu identifier la matière ni la technique de fabrication. Mais ils disent que ce doit être une technique très longue et élaborée. Je me fie à leur jugement et je le pense juste puisque je n’ai pas d’autres hypothèses. Mais je pense aussi que c’est une raison d’imaginer son histoire, sa provenance, sa technique et son matériau de fabrication. J’aime inventer des histoires et tout le monde dit que je suis douée. Je m’en réjouis. Il y a une chose que je ne vous ai pas dite...

Clotilde, 10 ans


Frontal d’aurochs fossilisé. Néolithique

6- J’étais un aurochs vagabondant au gré de mes envies dans les grandes forêts obscures de la préhistoire. Me voilà emprisonné dans la pierre, fossilisé dans une vitrine de musée. Il ne reste plus de moi qu’un frontal, comme le précise le cartel placé dessous. Les hommes qui me chassaient sans se laisser impressionner m’ont installé là, des milliers d’années plus tard.
Je suis en bonne compagnie, ceci dit. Ces hommes qui n’ont plus l’air de chasseurs sont à l’affût pourtant ! Ils chassent sur les traces de leur passé. Ils collectionnent tous ces objets inanimés qui m’entourent. Des vitrines entières de flèches, lance-pierres et autres armes qu’ils fabriquaient pour nous tuer, nous tous, moi l’aurochs, le renne, le bouquetin sculpté dans la pierre des grottes, le mégacéros, compagnon d’infortune, dont les bois majestueux prennent leur envol au fond de la grande galerie.
Dehors c’est la ville, le parc, la forêt des temps modernes.
Réfugiés dans le musée, nous sommes les témoins d’un monde intriguant.

Michèle


Gravure sur bois de renne. Abri de Laugerie-Basse, Les Eyzies-de-Tayac. Magdalénien (de –17 000 à – 9 000 ans)

7- C’est aujourd’hui. C’est pour maintenant. La femme le sent. Elle le sent dans sa chair, dans son ventre dur et gonflé. Les autres se sont rassemblées autour d’elle. Elles l’encouragent, elles essaient de l’apaiser. Mais elle a peur. C’est son premier enfant et l’homme est absent. Il est parti chasser avec les autres. C’est un mauvais signe. Elle a besoin de se sentir protégée et les femmes ne parviennent pas à la rassurer. Alors elle rassemble toutes ses forces et, malgré la douleur de plus en plus prenante, elle se lève et elle sort à la recherche des hommes. On l’appelle, on crie. Il ne faut pas s’exposer, pas maintenant, pas comme ça. Elle est une proie facile pour les prédateurs, animaux ou humains. Mais elle n’écoute pas, elle avance dans la nature gelée et hostile, ouverte. Combien de temps marche-t-elle ? La lumière du jour baisse, elle ne reconnaît plus les lieux. Et l’enfant dans son corps, c’est comme si elle l’entendait hurler qu’il veut sortir, qu’il est temps, qu’elle doit s’arrêter. Elle aperçoit un endroit reculé, à l’abri des regards. Elle est seule, loin des femmes, des hommes. Puissent les esprits de la forêt la protéger des bêtes sauvages. Puisse la grande mère lui donner la force de donner vie à son enfant. Elle avance au fond de son abri de fortune et s’assoit contre les pierres humides. Mais alors qu’elle ferme les yeux et qu’elle s’apprête à entonner le chant rituel, elle entend gémir à ses côtés. Elle garde les yeux fermés et retient son souffle. Elle sent qu’on s’agite de l’autre côté dans la pénombre. Elle attend. Rien. Et l’enfant qui presse toujours. Et qui vient. Elle ne peut plus tenir. Elle pense qu’ils vont peut-être disparaître ici, loin du monde. Elle pense que son enfant sera peut-être englouti avant même de voir la lumière du jour. Et elle décide de tout faire pour le protéger. Elle ouvre les yeux et crie pour accompagner les cris de son fils, pour effrayer la bête, pour célébrer la naissance, pour lutter. Et alors qu’elle voit son enfant venir au monde, la bête approche, craintive, humble, curieuse aussi. Un renne, un jeune renne blessé qui s’était terré aussi pour attendre des jours meilleurs et qui assiste, ébahi, à la naissance d’un petit homme.
La femme et le renne s’observent, observent le jeune être fragile qui gesticule et brûle de vie. Et la femme sait que son fils vivra ; vivra fort, heureux, longtemps, car il est protégé par l’esprit de la forêt, par le doux regard du renne et par ses bois puissants.
Elle remercie la bête, elle remercie la grande mère et la terre qui a vu la naissance de son fils. Et elle s’endort, apaisée, son enfant dans les bras, la bête à leurs pieds. À son réveil, le lendemain, elle ne sera pas surprise de voir les hommes autour d’elle. Le renne est parti. On lui raconte comment on a suivi ses empreintes, comment on a retrouvé sa trace. On s’émerveille...

Florence


Ce qui me frappe le plus dans tous les textes, c’est la proximité immédiate avec ces personnages du lointain passé qui apparaissent sous la plume des auteurs. Ils sont nos frères et nos sœurs, à peine sent-on les dizaines de millénaires qui nous séparent d’eux. Leur vie évoquée, leur quotidien, mais aussi leurs aspirations, leurs qualités et défauts, leurs préoccupations, tout nous parle. Qu’il s’agisse de peurs, d’envies, d’audace, de curiosité face au monde, d’ingéniosité, d’intelligence, ou encore des rapports qui régissent les individus dans leur groupe, jalousie, vanité, malice, solidarité, tout est déjà présent.
L’aspiration à la beauté, le geste élégant, la virtuosité, le sens esthétique, l’invocation d’esprits supérieurs et protecteurs, l’essentiel est là pour dire combien sont proches de nous ces inconnus surgis d’un passé exhumé, si étrange par sa dimension temporelle.
D’autres thèmes comme la présence du dehors, de la nature, des animaux avec lesquels on partage l’espace extérieur, les réflexes de survie, l’esprit d’exploration, de connaissance, rappellent une vie rêvée dont quelque chose en nous se souvient.

Ce qui me paraît remarquable également, c’est l’apparition paritaire d’hommes et de femmes, quand les archéologues ne font pas si souvent la part belle aux femmes des âges anciens. Et aussi l’attention portée aux animaux, compagnons ô combien présents auprès des groupes humains, en particulier des chasseurs du paléolithique, qui les ont beaucoup et admirablement représentés. La dimension muséale, enfin, est soulignée, que ce soit par le rappel de la fonction archéologique, de découverte, d’invention et d’imagination, ou par ce va-et-vient si troublant des objets eux-mêmes vers le spectateur contemporain.
Enfin, ce qui m’a le plus impressionnée (même si c’était le principe de l’exercice), c’est la manière directe et spontanée dont les textes ont été écrits, avec parfois des trouvailles stylistiques charmantes, en particulier chez les enfants qui m’ont éblouie par leur simplicité rafraîchissante et la richesse littéraire de leurs récits.


Prochain atelier au Musée : le 27 novembre.

5 novembre 2019
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