André Rougier | recueils en chantier (extrait 3)

« Ce qui est perdu ne peut être ni détruit ni diminué. »
(Pétrarque)

Je rouvre souvent vos livres, Antonio Tabucchi, vous retrouve tout entier dans le rejointoiement que précède le guet, le saut dans la boucle que l’on ressoude et qu’il nous faut élargir, aplomb insinué dans ce qui arrache et se défait, nuisance que console la rage des départs, crime qui couve les débris de l’Histoire, geste qui détrousse, envers qui absout, tâtonne dans le noir des chemins et les remous des retrouvailles. Dernière vision, dernière issue, méduse minée par la marée improbable, infimes coulées de ce Temps intègre mais par trop jouisseur qu’il nous faudra duper, intercesseurs du délit, du gain chancelant, des remords que parole aiguise, des preuves indéfiniment côtoyées, en vain… Revienne l’heure, alors, et le tourment du lieu, l’urgence qui sonde et remanie, le désir traversé à gué, cieux rasants, distances interlopes, contours réinvestis sans hâte, remodelant la demeure, voilant le raccourci dont on ne revient jamais indemne…

(2014)

« La vie est prisonnière de sa représentation ; du lendemain tu es seul à te souvenir. » (Tabucchi)


« Comme tous les mots abstraits, le mot métaphore est une métaphore puisqu’il veut dire en grec transposition. Une métaphore comporte en général deux termes. Momentanément, l’un devient l’autre. » Voilà comment, en quelques lignes (extraites des « Neuf essais sur Dante ») Borges définit, littéralement et dans tous les sens, la poésie et – métaphoriquement – toute la littérature. À mon humble, très humble avis, Deleuze, pourtant peu coutumier du fait, s’est toujours trompé sur ce point, et certaines œuvres qu’il chérissait – généralement anglo-saxonnes – tout autant, ou davantage… (et, disons-le tout de go, si j’avais été métaphore, le tir de missile que je me serais pris en pleine poire – c’est dans les entretiens avec Claire Parnet – m’aurait, carrément mis en rogne…).

(2011)

21 mai 2019
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