Toutes affaires cessantes

« la mer inapaisée la plus vieille chose / ronge ponce élime », Henri Droguet


Il y a des moments qui viennent perturber le cours de la journée. Il faut très vite se bouger, rompre avec la somnolence mentale, regarder de l’autre côté de la vitre et, si possible – c’est encore mieux –, s’y transporter pour se rendre compte, toutes affaires cessantes, de ce qui se trame en extérieur, avec ce ciel encombré de nuages noirs, les draps frais de la mer qui fument, le vent qui cogne sur tout ce qui se met en travers de son chemin. Ces moments-là, assez fréquents, mais toujours différents, Henri Droguet les guette. Il les reconnaît entre tous et les attrape au vol avant de les ficeler dans ses mots en les transformant en poèmes. Ceux qu’il assemble en ce nouveau livre ont été recueillis entre les mois d’octobre 2019 et 2020. Un an de perturbations météorologiques nerveuses et revigorantes.

« tout dehors c’est le ciel fissuré
la grande aube saignée qui vacille
bourgeonne et démultiplie
la lumière engouffrée l’ébouriffé fragile
et désastreux bouillon
la profondeur déchaînée du temps
dans la superposition tricolore – rose bleue verte –
des nuages s.d.f. allant
vers les plus beaux climats »

Le vent turbulent entre dans les têtes. Si un homme commence à déparler, c’est à cause de lui. Si un oiseau déchante, la cause est également toute trouvée. Le mauvais temps ébouriffé qui sort de l’océan en s’enroulant dans des nuages porteurs de grains aime se rappeler au souvenir des landes et des talus. Il ne se fait pas prier pour balancer ses rafales au cœur même de la forêt où les feuilles mortes ne tarderont pas à tapisser le sol. Il aboie au passage des trains dans les gares désertes. Il sent le chien mouillé quand il entre dans les maisons. Il se mouche dans des linges mis à sécher sur un fil et s’amuse en rasant les gouttières, les ardoises, les cheminées.

« la mer houleuse à sa rogne
le soleil enclume au ciel délogé
le vent débusque herse un vague essart
un arpent fruitier un quartier de forges
un enfant rit sous des aubépines
l’homme rongé plus ou moins
s’éloigne côté cour.

De temps en temps, l’accalmie gagne. Le ciel se dégage. La terre respire plus amplement. Henri Droguet tapote son baromètre. Il sait que le calme plat ne durera pas longtemps mais il l’apprécie et s’en empare pour constater les dégâts. Ici, un Christ est tombé de son calvaire, là, il faut rassurer un égaré qui se demande s’il n’a pas « été mort déjà ». Ailleurs, un arbre parle, quelqu’un « crie dans un bois mort », une bouée hurle en haute mer. Il s’en passe des chose (ça virevolte, cogne, détonne) en un an de corps à corps avec ces éléments tumultueux qui s’aiguisent les crocs sur des chicots de terre en bordure d’océan.


Henri Droguet : Toutes affaires cessantes, poèmes, Gallimard.

Jacques Josse

20 mai 2022
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