A-C Hello | La fabrication d’une bombe

Depuis ce premier jour où chaque jour il est venu et s’est introduit dans cette femme aux réactions élémentaires jusqu’àun certain point, depuis ce premier jour, il vient chez elle et s’introduit dans sa maladie d’assommée. Et selon toute apparence, depuis ce premier jour, les choses n’ont cessé d’empirer. Elle a toujours été quelque chose d’irritant, dépassant de sa bouche, que tôt ou tard il devait ravaler d’un coup de langue. Depuis ce premier jour où chaque jour il est venu, il s’enfonce du matin au soir dans cette fille remplie d’écume et de caillots. Elle se tord sous la tête brà»lante qui pousse, s’enterre entre ses cuisses de femme élémentaire, qui n’a rien de particulièrement nouveau, si ce n’est son itinéraire de chat dans un ruisseau. Et chaque jour du matin au soir depuis ce premier jour, cette fille n’est plus qu’un noir bassin où vient boire son spectre, n’est plus qu’une ombre cherchant de ses yeux vagues un trou dans le trottoir. Depuis ce premier jour où chaque jour il est venu, il est entré, s’est couché, a tremblé, s’est introduit, a écrasé son visage dans sa chatte cuite et brisée, a fumé, est reparti, depuis ce jour il semble que chaque jour depuis ce jour, elle marche dans les rues, les commerces, les bureaux et les parkings, elle marche, grosse femelle àchant d’oiseau, elle marche en traînant sa tête d’homme qui siffle, exactement àsa place entre ses cuisses de femme aux réactions dramatiques jusqu’àun certain point. Travaillée par ses doigts durs, elle arpente les rues en traînant son corps, attaché par ses dents nues au centre visqueux de ses cuisses. Elle le traîne dans les rues parfaitement verticale, elle consacre toute son attention àla mise au point de sa verticalité, tandis qu’il s’agrippe àses muscles fessiers de sa tête dressée.

La maladie commence, se tord et se retord, c’est venu d’un coup, ça tourne et craque dans cette femme ordinaire au contenu dramatique jusqu’àun certain point, essentiellement ignoré de tous, qui n’a rien de nouveau, si ce n’est ce qu’il lui fait volontiers plus bas que ses genoux, qui lui ouvre la bouche toute la journée depuis le premier jour où de ce premier jour son corps est venu sans y penser dans cette femme conçue pour chez lui susciter des réactions élémentaires àce point qu’àce point depuis ce premier jour il traîne àses pieds dans son ombre, étouffant de ce qu’elle crie d’étouffer ce qu’il lui fait volontiers àsa santé, tandis que maintenant il essuie l’ombre qu’elle traîne, le sang qu’elle traîne, le ciel qu’elle traîne, le soir qu’elle traîne, les usines qu’elle traîne, debout elle traîne et coule elle traîne, depuis ce premier jour où il s’est introduit dans cette femme àcrier, qu’il entend dans la bouche de toutes ces femmes criminelles àcrier, les cris affreux de ces putains àl’odeur de sang et de poisson qui ternissent sa réputation, l’accusent de leurs yeux cuits, que sur tous les tons dans sa gorge il égorge pour entendre ànouveau vibrer les sanglots serrés de ce matin-làoù comme une putain son visage cloué d’amour ce matin-làs’écroulait en arrière, le cri de cette femme qui allait et venait entre ses dents, avant de s’écraser contre sa figure, qu’il avait saisi entre ses doigts, lentement arraché de sa bouche, ses doigts pleins de l’écume de ce cri, ce morceau de mort collé sur le bout de ses doigts dont il étudiait le mécanisme avant d’enserrer son cou. Le cri s’était retiré de ses lèvres, il avait collé son oreille sur le cri chancelant qui séchait sur le drap blanc, il avait cloué contre sa joue ce cri d’oiseau, ce sifflement de papillon, ce cri rampant de mouche, des cheveux sortaient de ce cri, qu’il écrasait de ses deux mains lentement, puis le cri revenait et s’élargissait, tournait au-dessus de sa tête avant de s’écrouler, on entendait sa chute dans les étages inférieurs, on entendait s’agripper aux murs le gémissement de cette femme qu’il lui fallait faire crier, dont il examinait le cri et le redoutait, àse faire crier de cette femme noire àl’excès, qu’il aurait voulu voir saigner, cette femme noire de pensées tout àson excès de penser fort, tout àson excès de commenter ces hommes qui halètent dans les bureaux et les parkings, tout àleurs excès d’hommes malades essentiellement ignorés de tous, leurs maladies d’hommes àse traîner dans ses jambes, leurs maladies d’hommes habillés et frissonnants, et il sent bien un nombre grandissant et disproportionné d’ongles plantés dans la chair de cette femme, il voit bien qu’il n’est plus seul et qu’il fait désormais partie d’une somme d’hommes contrariés qui, depuis ce premier jour, glissent en grappe sur le sol, charriés par cette femme courbée sous le ciel pisseux, qui est devenue le nouveau mot du monde, où convergent tous les individus àmembres poisseux, cette provocation de femme àchiens, où s’entortillent tous les nœuds de ces hommes pendus, cette femme qu’ils voudraient soulever par la nuque, mais qui, depuis ce premier jour, n’est plus qu’un souvenir dans lequel ils s’accroupissent, àen balbutier la lumière, zézayants et nus, et voici alors cette femme, qui semble simplement mue par le déplacement de l’air, pour qui il n’y a de nuit qu’entre ses dents, une nuit qui lui déboîte la bouche àce point qu’àce point sa salive en surabondance l’étouffe, une nuit qui frappe ses profondeurs de tout son poids de cri et de sang, qui coule maintenant au coin supérieur gauche de sa lèvre avant de tomber et rouler au sol.

La chose tombée de sa bouche, le poids de cette chose dure, qui inquiète la maison et griffe les vitres, le poids de cette chose compacte et luisante, aux pupilles contractées, dont les mâchoires claquent violemment, et dont les vaisseaux éclaboussent le cas dramatique de cette femme immobile qui, depuis une heure, un jour, un mois, un an, attend que de sa bouche se détache et tombe cette chose dure. Tombée de sa bouche pleine, cette chose qui pousse hors d’elle dans le sol sale, est le signe qu’elle habite encore quelque part. Tombée de sa bouche pleine : la tête raidie des mères des filles des sÅ“urs et des enfants rauques, qui déclare le droit de la résistance àl’oppression pour ces femmes qu’on enjambe, qui meurent soigneusement, la bouche brisée, comme un vieux rêve qui aurait mal tourné depuis les temps des temps anciens où la nuit frappait et frappait aux boyaux les mères, les sÅ“urs et les filles des mères, des sÅ“urs et des filles des mères, des sÅ“urs et des filles des mères, des sÅ“urs et des filles confinées dans le silence, qui ont attendu une heure, un jour, un mois, un an, des siècles, que cette grosse chose lourde tombe de leur bouche, se relève et leur fasse du mal àtous.

Texte lu lors d’une rencontre Remue àLa Maison de la Poésie en juin 2017
lien vidéo de la rencontre ici

1er juillet 2017
T T+