Analyse d’un sous-texte

« Nous lui avons accordé le prix Goncourt parce qu’elle a du talent. Et pas de la polémique à l’égard du gouvernement. Qu’elle soit moins militante. Maintenant qu’elle a le Goncourt, elle peut penser comme elle veut, mais, en l’occurrence, il faut qu’elle soit un peu l’ambassadrice de notre culture. »
Propos tenus par un député sur une chaîne de radio nationale alors qu’on l’interroge sur sa lettre au ministre de la Culture pour se plaindre de la parole publique d’une écrivaine française. Non seulement, il persiste, mais il signe.

Nous : qui est ce « nous » ? Le locuteur fait-il partie du jury ? Non, mais c’est le "nous" de la France, le jury Goncourt étant le représentant symbolique de la France dans laquelle il s’inclut pour exclure et mettre à distance le "lui". "Nous" contre "lui".
Accordé : accorder, dit Le Robert, c’est consentir à donner. Que de condescendance dans ce consentement.
Parce qu’elle a du talent : truisme (on admettra, pour les raisons de l’analyse, le sens commun qui veut que les prix littéraires sont attribués à des œuvres qui présentent un certain talent), proposition sous-jacente (merci Oswald Ducrot) à ce truisme : si d’autres raisons pouvaient intervenir, il est certain qu’on ne le lui aurait pas accordé. Regret de voir qu’on peut accorder le prix Goncourt à des écrivains qui n’ont pas dans les veines "cinq siècles d’expérience française".
Maintenant qu’elle a le Goncourt : à présent, maintenant que cette chose s’est produite, est accomplie
Mais : adversatif qui vient opposer le fait d’avoir une pensée propre (elle peut penser comme elle veut) au restant de la phrase
En l’occurrence : ce qui advient, c’est bien le fait d’avoir le Goncourt, qu’on oppose ainsi par concaténation à la possibilité d’avoir une pensée propre
Il faut : injonction qui découle de l’obtention du Goncourt contre une pensée propre
Qu’elle soit un peu : atténuation qui précède le mot
Ambassadrice : terme fort, qui ne peut être employé pleinement à l’endroit de la personne dont on parle, d’où le « un peu » ; lexique de la diplomatie, de la représentation des États
De notre culture : notre, en écho au « Nous/lui » du début, ce « notre » est clairement un possessif qui renvoie au seul locuteur, qui, du coup, exclut de cette culture la personne exprimée par le « elle »
Notre culture : fin de la proposition qui est opposée à « elle peut penser ce qu’elle veut » ; la culture du locuteur n’est donc pas la même que celle dont il parle, si on admet que la pensée est une forme d’exercice de la culture

Epilogue de fiction :
« Quoi, on lui a donné le Goncourt à cette "biip", elle va pas en plus la ramener ! » : propos non attesté, comme ne le furent pas non plus
« Quand il y en a un, ça va, etc. »

11 novembre 2009
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