Aude Pivin | Une photo. Une disparition. Un bois.

Cette image, je l’ai prise début janvier 2014. Passant devant ce petit parc, j’ai vu ce banc déserté. Puis, après quelques pas, j’ai fait demi-tour, j’ai attendu quelques instants. Et j’ai pris cette image. Un peu inquiet, un peu terrifié. Et plus tard, un peu amusé me rendant compte que l’image (celle vue, celle prise) était une surface de projection. Ce qui avait vacillé en moi était l’idée de la disparition. Parce que j’ai toujours été très ébranlé et inquiété par les chaussures laissées dans la rue, souvent au bord d’un trottoir, par les vêtements étalés dans l’absence des corps sur d’autres trottoirs ou routes des villes. Mais l’on pourrait sans doute envisager d’autres interprétations, d’autres chemins d’imagination...
J’ai donc soumis la photographie autour de moi à différents auteurs avec comme proposition la saisie libre de cette image. Voici donc une variation d’écriture et de lecture.

Sébastien Rongier


Aude Pivin | Une photo. Une disparition. Un bois.



Tout ce que je sais, c’est qu’avant de disparaître, elle a dit qu’elle était fatiguée et elle s’est allongée, quelqu’un lui a passé une couverture, elle a posé ses affaires sur un banc, la veste bleue qu’on voit là, oui c’est à elle, le sac aussi avec les chaussures dans la boîte, enfin c’est ce que je croyais, elle s’est allongée et elle a dormi par terre, plus tard on a voulu voir comment ça allait mais elle était sur le ventre et on a cru qu’elle dormait, alors on l’a laissée, et quand on est revenus dans l’après-midi on l’a pas retrouvée, il y avait juste ses affaires sur le banc, exactement comme sur la photo, d’ailleurs je suis surprise que rien n’ait bougé de là parce qu’après ça la police a débarqué et il y avait tellement de monde autour, je sais pas d’où les gens sont sortis tout à coup, il y avait des habitants du village qui se plaignaient des filles du bois, et puis il y avait des filles qui se plaignaient des habitants, quelqu’un a parlé d’un corps et aussi d’un couteau, quelqu’un d’autre disait qu’il avait vu du sang à côté du ruisseau et même une poignée de cheveux, tout le monde donnait sa version de l’histoire et tout le monde criait pour se faire entendre, enfin le ton a monté et une bagarre a commencé entre un type du village et un autre que je connais pas, des filles ont été bousculées et ça a vite été une grande mêlée, les gens s’empoignaient avec des hurlements, des cris, ça griffait, ça donnait des coups de pied, des coups de poing, et personne, même pas les policiers, pouvait plus rien arrêté, un tohu-bohu incroyable, alors un autre car de police est arrivé et des CRS se sont mis à lancer du gaz lacrymo, tout le monde s’en est pris dans les yeux et puis on tous a été embarqués, voilà pour ce qui s’est passé, monsieur. Mais moi je sais rien d’une histoire de billets, je vous jure, 20 000 euros dans la boîte à chaussures, j’arrive même pas à y croire, je pensais que c’était des Jimmy Choo parce qu’elle adorait cette marque, c’est ce qu’elle disait tout le temps, qu’un client avait promis de lui offrir une paire et je pensais que c’était ça, qu’elle avait fini par les avoir, ses chaussures, et voilà maintenant que Gigi disparaît avec 20 000 euros dans la nature, j’en reviens pas. Mais moi j’ai rien vu et je sais rien à propos des billets que vous recherchez, je vous assure, monsieur Rongier.

Aude Pivin

On retrouve l’ensemble des contributions ici.

23 janvier 2014
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