Bitácora

Bitácora


J’ai choisi un mot en espagnol : bitácora.

C’était une sorte d’armoire, l’habitacle, qui contenait l’aiguille nautique, entre autres instruments de bord. Cylindrique, d’à peu près un mètre de hauteur, la bitácora gardait les aimants qui permettaient de retrouver le nord. On a pris l’habitude de ranger dans son intérieur le journal de bord, pour le protéger des intempéries et celui-ci a fini par prendre le nom du contenant, la bitácora. Ce qui donne comme résultat un mot qui désigne à la fois un cahier, les notes, la mémoire du voyage et une boussole. Une mémoire qui nous guide, une trace qui nous signale le nord.


Vendredi 16/11/2012


Les livres qui traînent sont arrivés.


Mardi 4/ 12/ 2012


Aujourd’hui je vais « faire traîner » 8, 2 de chaque titre :


Maigret s’amuse de Simenon

La métamorphose de Kafka

L’aveuglement de Saramago

Le liseur de Bernard Schlink


Ils portent les marque-pages qui ont été faits par la classe des professeures Stéphanie Rousseau et Valérie Lemoine.



Étant donné que le projet a comme but que celui qui trouve un livre qui traîne puisse se l’approprier, nous avons opté pour écrire une phrase qui donne cette liberté sans qu’il y ait la moindre ambigüité.


J’ai laissé les 4 dans des endroits en principe bien fréquentés : les bancs des allées B, C et tout au fond, dans l’allée E, au premier étage. Au deuxième étage, aussi dans l’allée E. Ils ont disparu au cours de la matinée.

Les ateliers électro-technique étaient fermés. J’ai fait un mail à Céline, (la médiatrice culturelle) pour lui demander si elle pouvait mettre les autres dans les armoires des ateliers.


Jeudi 20/12/2012


Nous sommes allés voir si les livres que nous avions laissés dans les armoires avait été « appropriés ». La Métamorphose était toujours là, les autres étaient partis.


Mardi 8/1/2013


Je vais faire traîner une deuxième sélection :

Les souffrances du jeune Werther de Goethe

Le grand cahier de Agota Kristof

Bartleby de Melville

Et

Effroyables jardins de Michel Quint.


Je rédigeais cette note, à l’instant, dans le bureau, et trois jeunes sont entrés. L’un deux m’a demandé si j’étais policier. Avant il y avait un policier dans ce bureau. Je leur ai dit que non. Un autre a insinué quelque chose, tout bas et celui qui avait posé la question a insisté : il dit que vous mentez, que vous êtes policier. J’ai répondu en disant que si j’étais policier, je n’aurais aucun intérêt à lui mentir. J’ai expliqué que je menais un projet d’écriture dans l’établissement. Le troisième a voulu savoir si j’avais écrit des livres connus. Je lui dis que malheureusement non, que mes livres étaient publiés en Colombie. Ils sont partis. Quelques instants plus tard, celui qui avait posé la première question est revenu, tout seul, pour me dire : Que dieu vous bénisse, je ne veux pas de policier ici ! Et il est parti.

Ce qui m’a plu c’est que, quelque part ce « ici » disait « chez moi ». C’est bien qu’il sente que le lycée c’est chez lui et c’est normal, on ne veut pas de policiers à la maison.


Les livres sont partis en deux temps trois mouvements, cette expression m’a toujours étonné, en espagnol je dirais en un abrir y cerrar de ojos, en un battement de cils ; le temps d’ouvrir et fermer les yeux, si on veut rester littéral ; mais, deux temps trois mouvements ?

J’ai cherché dans Le Livre des métaphores et : Dans le même sens que les « trois coups de cuiller à pot », ces deux temps contenant trois mouvements expriment et mesurent la vitesse extrême et précise d’une action exécutée en prenant de court les témoins et leurs prévisions. [1] Je ne comprends toujours pas. J’arrive à comprendre cette expression seulement si je la pense musicalement, deux temps trois mouvements, c’est fulgurant !





17 janvier 2013
T T+

[1Marc Fumaroli, Le livre des métaphores, Ed Robert Laffont.