« Ça te dit une chasse aux moustiques ? »

Fès.
Grande maison dont la construction venait de s’achever. Meublée au minimum. Grandes pièces vides, odeur de peinture. Patio avec deux palmiers et un canapé.
Âge : 15 ans
Je suis allongée sur un matelas gonflable dans la pièce principale. A côté, il y a mon frère. Il est deux heures du matin, le voyage pour arriver ici a été très long et il fait une chaleur à crever. Je ne sais pas combien exactement. L’envie me prend d’aller me passer sous l’eau mais je ne connais pas la maison et je ne veux pas réveiller mon frère qui s’est endormi il n’y a pas longtemps. La bouteille d’eau fraîche qui est à mon chevet s’est réchauffée et ne fait pas l’effet espéré. J’ai chaud. J’ai sommeil. Je veux dormir. J’entends les chiens aboyer dehors. Ils n’arrêtent pas et Naïm se réveille. Je ne dors toujours pas et lui ne se rendort pas non plus. Je lui propose de jouer au morpion avec une feuille et deux stylos que j’ai dans mon sac. On joue et on se lasse. Un moustique vole autour de nous depuis un moment, il nous agace. Mon frère me regarde avec un sourire et me lance un « Ça te dit une chasse aux moustiques ? » J’explose de rire ! On éteint la lumière, on se lève et on écoute. On est à l’affût ; de véritables chasseurs de moustiques On l’entend et puis plus rien. Où a-t-il pu se poser ? Naïm l’aperçoit sur le mur d’en face. Il avance, atteint le mur mais l’insecte n’est plus là. Je l’entends, il n’est pas loin de moi. Naïm revient mais trébuche en s’emmêlant les pieds dans les lanières de mon sac. Il se relève aussitôt en m’assurant que tout va bien. Je lève les yeux et là je le vois ; ce moustique est vraiment énorme. Je comprends mieux pourquoi il faisait autant de bruit. J’entends un boum. Le boum d’une main qui s’écrase contre un mur. Le moustique a été atomisé. Naïm retire sa main mais le mur n’est plus de la blancheur de celui d’un hôpital, il est maintenant décoré d’une petite tâche rouge écarlate.

Maïssane

Je me suis tellement tournée et retournée que j’ai fait un nœud avec mes draps. Je n’arrive pas à m’habituer aux odeurs de neuf de cette maison. J’ai l’impression à chaque inspiration d’avaler un mélange de peinture et de cuir. C’est poisseux, lourd. Ça file le long de ma trachée jusqu’à mon ventre et ça fait une boule. L’impression d’une boule : quand je palpe à l’endroit de la sensation, mes doigts s’enfoncent bien sûr, ne rencontrent que le vide sous la peau. 
Il y a les bruits, aussi, ou plutôt leur absence inquiétante. J’ai l’habitude d’entendre la rue, cris, murmures, crissements de pneus et sirènes mêlés sans distinction. Une rumeur qui a toujours habité mon sommeil. Ici, c’est le silence ou presque. La maison est un coffre-fort que rien ne perce. Mon petit-frère et moi y sommes rangés. En sécurité, disent-ils. Car nous sommes les joyaux de nos parents. 
A force de tendre l’oreille, espérant je ne sais quoi, un signe, un mouvement, une présence, je distingue soudain un vrombissement infime, irrégulier. Vivant. Je saute aussitôt du lit et file réveiller Naïm. Lui dort profondément, a laissé en bavant sur l’oreiller une petite trace d’escargot. J’hésite une seconde mais, non, je sais qu’il sera fou de joie.
« Ça te dit une chasse aux moustiques ? »

Carole Zalberg

11 mars 2016
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