Chloé

[@BIP.BIP.BIP.BIP.B... IL EST EXACTEMENT 6 HEURES DU MATIN, LA TEMPERATURE EXTERIEURE EST DE... {{}}

Chloé gémit. Elle vient de faire tomber son réveil radio en l’éteignant d’un coup de paume mal dosé. Le fracas lui ouvre les paupières. Son lit est recouvert de feuilles blanches ; des devis de la campagne Com’iT, des factures du pot de départ de Cyril traînent encore ça et là. Elle bondit brusquement, écartant la couverture sans housse dans laquelle elle s’était lovée à3 heures du matin, toute vêtue. Ses pieds nus manucurés entrent en contact avec la fraîcheur du parquet de sa chambre, encore dans la pénombre de son masque de nuit qu’elle ôte, sa main rencontre son I Phone 7 qu’elle s’empresse de mettre en charge près de sa coiffeuse de salle de bain tandis qu’elle commence un brin de toilette. Un masque hydratant sur le visage, elle commande àl’objet d’appeler Émilie, sa dernière alternante.

"... Oui ? " La petite voix épuisée d’Émilie résonne dans la pièce.
" Saluuut ma chérie, comment tu vas ?"
" Je ..."
" Bon, alors, t’as avancé sur le lineup des guests pour la soirée de jeudi là ? Non, parce que Fabrice va encore nous briefer sur le listing et il faut qu’on soit prêts hein, moi je veux pas qu’àdeux jours du lancement on soit out"
" Oui, bah j’ai pris mes notes..."
" Suuuuper ! Tu les apporte aujourd’hui hein t’oublies pas ? Et ce séminaire ço ovoce ? " (Elle s’essuie le visage)
" Oui, j’ai fais un devis hier sooarrh " (baille)
" Ok, ça marche ! Rappelle toi aujourd’hui on commence àbosser sur le Vexin, tiens toi prête et apporte ton mac, Sylv va prendre ton poste !"
" Oui."
" Bises "
" Bisou "

A peine raccroché, elle enduit ses lèvres d’un rouge vermeil et s’empare de la laque pour figer ses cheveux dorés relevés en une queue haute bien lisse. Sa jupe crayon noire et son chemisier bleu rajusté, elle fonce aussitôt dans sa cuisine américaine pour avaler une tasse de café en potassant le planning de la matinée. Chloé Seguin a 28 ans, elle est célibataire, sans enfant et Community manager chez Surv’Stay, une grande start-up spécialisée dans le tourisme d’Ile de France. L’heure presse, la jeune femme enfile ses talons hauts et passe un trench avant de se précipiter dans un bus, pour prendre le train àla gare de Nanterre et rejoindre les locaux du site d’Argenteuil. Lorsqu’elle pénètre dans l’open-space flambant neuf garni de petits sofas de couleurs flashies, une sensation désagréable s’empare d’elle : son ventre ronronne. Elle se rend compte qu’elle n’a encore rien avalé et que la première réunion pour la nouvelle campagne lancée par le siège débutera sous peu. Dans un élan, elle file àla cantine en dévalant fébrilement les marches pour aller engloutir le seul pamplemousse réchappé du petit-déjeuner. Elle s’assied dans un coin du réfectoire et sort un dossier bleu sur lequel sont accrochés trois flyers stabilotés. Tandis que le sucre crisse entre ses dents et que la pulpe acide de l’agrume réveille ses papilles, ses yeux se posent sur un étrange tableau de style avant-gardiste, représentant une ombre informe et diffuse, comme un voile voluptueux sur un fond brunâtre. Elle semble absorbée par cette vision, ne pouvant détacher son regard gris de la toile, elle mâche lentement.

" BOUH ! "

Marc vient de la faire sursauter.
" Alors que devient ce moooonstre de l’Oise ? " ricane t-il
" T’es chiant ! Tu m’as fait peur ! " Elle soupire sans lever le nez.
" Je m’installe si tu le permet." dit son collègue tout en s’asseyant sur la chaise d’en face.
" J’ai travaillé toute la nuit pour boucler la réunion de ce matin. Il faut absolument qu’on ai des pistes."
" Tu bosses trop Chlo, et c’est pas indispensable je te l’ai déjàdis ! "
" Toi évidemment tu prends ça àla légère... "
" Non mais franchement, c’est quoi l’problème en gros ? Une bande de bouseux alimentent une rumeur villageoise pour bloquer le progrès, c’est ça ? En 2017, les rails de train ça leur file des boutons et si tu veux mon avis, on arrivera facilement àles faire plier en leur trouvant, j’sais pas moi, des parcelles de terrain pour planter leur maïs et élever leurs chèvres ou je n’sais quoi..."
Chloé fixe le pouce du manager de 35 ans qui écrase les grains de sucre qu’il a répandus sur la table.
" Arrête tes conneries."
" Parce que t’es sérieuse en plus ? T’as vu toutes les maisons d’hôtes qu’on a sponsorisées grâce au Grand Paris en deux ans ?! On va pas se laisser abattre par une putain de légende urbaine ! Qui plus est propagée par des gens... De toutes façons l’équipe du GPE dramatise tout, c’est simple, je vais te dire ce qu’ils veulent moi, qu’on leur serve un plan com’ touristique sur un plateau pour récolter les lauriers."
" On s’en fiche, tant que le siège est payé et nous avec. C’est un problème et il faut le régler, point barre."
" Avoue que tu kifferais bousculer ces péquenauds toi aussi ! Haha, la gueule qu’ils vont tirer quand on va les faire rentrer dans les rangs."
" Marc, c’est la dernière fois que je te le dis, arrête. Et retire ton pied de ma chaise."
" Oh, toi... T’as déjàun projet au chaud ! "
" Ok. On y va, Fabrice nous attend en haut."

Chloé s’empresse de devancer Marc et grimpe les escaliers quatre àquatre pour rejoindre son boss. Dans la foulée, elle manque une marche et se tord la cheville. Se tenant au mur, elle se masse. Son téléphone tinte. La séance s’annonce rude. @]

Erreur d’exécution plugins-dist/medias/modeles/image.html

[#Joanna Wadel#]

17 avril 2017
T T+