balade photo Berlingots de toile: la forme olympique |
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Tandis que Raymond Depardon expose ses photos en noir et blanc des Jeux olympiques (1964 à 1980) au rez-de-chaussée de L’Hôtel de Ville de Paris, les trottoirs de la rue de Rivoli arborent déjà, comme à la parade, des mats surmontés d’oriflammes vantant la candidature de la capitale pour les J.O. de ... 2012. Ces berlingots de toile flottent au vent et nous rappellent que le sport olympique est à tout la fois un effort "surhumain", une forme spécifique et un spectacle déployé à l’échelle mondiale. Grand-messe unificatrice, célébration à la mode antique (les Jeux d’Athènes s’annoncent alors même que le chantier n’est pas encore terminé), la célèbre flamme s’allume à chaque fois dans sa torchère d’argent, et le monde entier est censé communier dans cette lumière vacillante. Le mythe prend feu à nouveau. Du pain et des jeux : ce sont maintenant des centaines de millions de téléspectateurs qui regarderont en même temps, de jour ou de nuit, les épreuves d’athlétisme. Chacun vivra par procuration. Car le sportif "de haut niveau" est celui qui nous représente dans une fonction idéale, celle du surpassement de soi, celle du record battu, celle des compétiteurs dépassés. La course en tête... La concurrence n’est plus au bureau mais sur la piste. L’enjeu n’est pas la promotion mais la médaille (même si Lydie Salvayre a montré que l’une égalait l’autre !). Les compétitions par équipes nationales insufflent ce qu’il faut de chauvinisme pour donner du cœur à l’ouvrage aux participants, comme aux spectateurs : le défilé inaugural des athlètes, qui marchent au pas et portent chacun le drapeau de leur pays, montre l’embrigadement, certes apparemment civil, de la manifestation. Les Jeux de Berlin en 1936 furent le symbole noir, à son acmé tragique, de cette militarisation. Le phénomène de l’image s’est amplifié depuis les années 1968 avec la formidable puissance des médias : déjà décrocher le privilège d’accueillir les J.O. est considéré comme la première victoire ; ensuite accueillir toutes les chaînes de télévisions, les milliers de photographes et de journalistes venus de toute la planète représente non seulement une immense gloire mais des retombées économiques et commerciales incomparables. Le sport est alors une vitrine d’appel, comme l’on place des têtes de gondole dans les supermarchés. Sa fonction est de pacifier (sauf quand les engrenages se grippent comme à Mexico, en 1968, ou lors de la prise d’otages de Munich en 1972) mais sa démesure même et son organisation gigantesque entraînent un bouclage policier de plus en plus antinomique avec la liberté du coureur, la légèreté du sauteur en hauteur, ou la simple déambulation de l’amateur dans les gradins. Plus le sport se développe sur le plan mondial (en tant que spectacle), plus il devient une possible caisse de résonance pour des actes politiques ou terroristes. Il génère par conséquent une armée de surveillance panoptique des foules assemblées. Le GIGN (Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale) sera de la fête à Athènes. Dans le numéro 43 de la revue « Partisans » (juillet-septembre 1968, « La civilisation du corps : sublimation et désublimation », page 63), le sociologue Jean-Marie Brohm déconstruisait déjà ce qui nous semble maintenant comme une évidence : « L’actuelle culture de masse est une culture du corps aliéné, une exploitation du corps. Celui-ci est devenu la sphère réifiée spécifique, un thème particulièrement virulent qui traverse toutes les couches de la superstructure idéologique dont il est devenu en quelque sorte le symbole fétichisé. (...) Si le domaine du travail est le domaine de la sublimation répressive, le domaine des loisirs est le domaine de la désublimation répressive. La culture de masse est la culture pure de la désublimation. » Mais d’ici 2012, tout sera forcément redevenu sublime, et des berlingots, cette fois enfin à déguster, devraient sans doute être distribués gratuitement aux spectateurs des Jeux olympiques : si Paris l’emporte, grâce au ciel, haut la main! Dominique Hasselmann, 26 mai 2004.
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