Écrire sans voir

Je dois terminer La fille que les gens regardent, un texte que j’ai commencé à écrire il y a trois ou quatre ans, au moment où je perdais la vue.
Écrire sans voir est un défi compliqué. Au départ, j’ai dicté à mon ami Mathieu Simonet. Des heures passées ensemble dans son bureau, chez moi, à la mer, dans les trains, dans les salles d’attente de l’hôpital Rothschild… Je parlais sans arrêt, il écrivait à toute vitesse : "Attends, attends, je n’ai pas fini la phrase d’avant…" Les mots se précipitaient dans ma tête, le rythme s’accélérait, un flot irrépressible. Et puis parfois un brusque arrêt, impossible de repartir. Il attendait, le stylo levé. "Je ne sais pas, ça ne vient pas…" Il nous servait un café : "Prends ton temps." Du temps, il m’en fallait encore et encore. Il restait, patient, jamais agacé. "C’est nul ce que j’écris." Mais non, lui, il trouvait ça bien. Comment lui dire que j’avais envie de tout balancer à la poubelle, de jeter toutes ces heures qu’il m’avait consacrées ?
J’ai essayé la synthèse vocale. Mais la voix métallique me rendait insupportable tout ce que j’écrivais.
Je n’ai pas réglé le problème.

L’histoire parle notamment de cette aventure de perdre la vue. Il y a quelques années, j’avais demandé à Hamou Bouakkaz : "Pourquoi toi et tant d’autres personnes handicapées écrivent précisément sur le handicap ?" Il m’avait répondu : "Il faudrait que je m’autorise à être autre chose qu’un porte-parole." Est-ce qu’on écrit pour accepter sa situation ? Bachir Kerroumi m’avait dit : "Pourquoi accepter ? Moi je n’accepte pas, je suis en lutte permanente."
Le jeudi 26 avril à 19h30, je les recevrai tous les deux, Hamou Bouakkaz, auteur de Aveugle, arabe et homme politique, ça vous étonne ? et Bachir Kerroumi, auteur du Miroir de l’exil, à la librairie Les Nouveautés.
Venez partager ce moment avec nous !

19 avril 2018
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