Emmurée vivante

(La souris fait du tourisme sur l’image.)

« Les yeux seuls sont encore capables de pousser un cri. »

René Char, Fureur et Mystère, Feuillets d’Hypnos (Poésie/Gallimard, 1969).

Il semble que tout le monde s’en accommode désormais : l’Université de la Sorbonne à Paris est devenue un camp retranché, isolé de la population par un mur. Ce lieu symbolique de la réflexion, de la philosophie, de la littérature, de l’histoire a donc été transformé en une forteresse policière imprenable, un Etat (vide) dans l’Etat (trop-plein).

La coupole dorée, désormais comme coiffée d’un casque noir à deux bandes jaunes, a été transformée en une coquille d’escargot dissimulant la tête et les cornes, et où ne s’agiteraient nuitamment, dit-on, que quelques comptables d’incunables.

Sorbonne, emmurée vivante, comme le Quartier latin qui l’entoure : No passaran ! Des images en ont été diffusées à la télévision ou dans la presse (Libération du 1er avril) : mais le mur tient bon contre les assauts périodiques, les dents et les chevilles des opposants se cassent dessus.

On se prend à imaginer la publication d’un Manifeste, cette fois dit des « 122 anti-CPE », rassemblant tous les intellectuels et s’élevant avec courage contre cet oppidum policier encore jamais vu au cœur de Paris, image explicite d’une politique globale arc-boutée sur son idéologie.

Déjà Montaigne, rue des Ecoles, est prêt à signer.

Ces barrières de fer ont pourtant bien été fabriquées par une entreprise (française, espérons-le !) qui doit crouler sous les commandes actuellement ; enfin des centaines d’emplois nouveaux et des contrats d’embauche, même inapplicables légalement, à la pelle.

Mais voir de près, toucher ces grilles à gros maillons, apercevoir au travers les camions ou canons à eau postés derrière elles, cela ressemble à un mauvais rêve.

« A présent nous avons plus d’expérience et remarquons que ce qui fait rire les petits enfants risque de faire peur aux grandes personnes. » (Alfred Jarry, Ubu enchaîné, Librairie Générale Française, Le Livre de Poche, 1963)

Voici donc le nouveau monument à visiter pour les touristes en promenade : les étrangers (la langue italienne entendue donne l’impression de s’en amuser) se font prendre tour à tour en photo devant lui, en ce beau dimanche après-midi du 2 avril. Solaris !

L’écrivain Stanislaw Lem, qui vient de mourir (Le Monde du 2 avril) avait-il imaginé un tel scénario de science-fiction ? La police coupant, fermant, bouclant, cadenassant presque tout un quartier d’une ville (en attendant peut-être d’autres lieux : Jussieu, Tolbiac, etc., et ceux des villes universitaires françaises), empêchant ainsi, paradoxalement, les étudiants d’étudier et rassemblant soudain tout le monde contre le « blocage » des facultés, puis bientôt des lycées, par les forces de l’ordre ?

Un ministère baptisé Metallica pourrait sans doute être utilement créé. Il serait chargé de planifier, faire fabriquer et livrer par des entreprises accréditées par l’Etat (la mention SGDG reviendrait de nouveau à la mode) ces barrières à meurtrières espacées, clôturant tel ou tel espace de liberté de ses échafaudages entrelacés, couleur passe-muraille.

(Cliquer pour agrandir.)

Mais cette idée fugace n’était pas très sérieuse.

D’un côté du trottoir du Boulevard Saint-Michel, se dressait ce mini-mur de Berlin, qui tombera pourtant comme tombent tous les murs impopulaires ; de l’autre côté, s’étalait l’éventaire d’un marchand de livres d’occasion.

La visite de la palissade peu pacifique allait sûrement bientôt devenir payante, si la situation politique actuelle perdurait, alors qu’une édition d’un livre d’Aldous Huxley, venue tout droit du passé (Mise en vente : juillet 1953. Typographie Plon, 8 rue Garancière.) nous faisait impérieusement signe.

Vu le poids et le contenu, pourtant déjà connu, on choisit finalement d’emporter l’ouvrage écrit.

Rien à voir avec la réalité :

http://www.lem.pl/
http://www.huxley.net/

3 avril 2006
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