En coulisses

C’est le 17 juillet, deux mois avant le début de la résidence.

Rendez-vous au LHSS (Lits Halte Soins Santé) de la porte des Lilas (Paris XX), avec Elisabeth et Thomas, de l’association Tournesol-Artistes à l’Hôpital, et Vincent, le directeur de ce LHSS.
Que signifie ce mot sifflant de « LHSS » ? est la question que l’on me pose chaque fois que je parle de cette résidence à venir…
Sur Internet, il est dit que les LHSS sont des centres d’hébergement avec soins infirmiers créés par le Dr Xavier Emmanuelli, président fondateur du Samusocial de Paris, pour accueillir des personnes en situation de grande exclusion dont l’état de santé physique ou psychique nécessite un temps de repos ou de convalescence sans justifier d’une hospitalisation. Il existe 5 LHSS en Ile-de-France. Ils sont ouverts 24 heures sur 24 et 365 jours par an. Une équipe composée de médecins, d’infirmiers, d’aides-soignants, d’assistantes sociales et d’animateurs socio-culturels y est présente toute l’année.
C’est dans celui des Lilas, qui accueille 42 personnes, 42 « hébergés » comme on dit, dont les lits sont répartis dans 19 chambres, que je vais animer tous les lundis après-midi un atelier d’écriture.
Le centre est d’une architecture simple : un grand hall d’entrée avec fauteuils et chaises, deux longs couloirs bordés de chambres, deux petites salles de consultation, une pièce télé, une pièce pour fumeurs, une bibliothèque (non-fumeurs), des cuisines, deux salles de cantine, une autre pour les réunions, des bureaux, des toilettes… Tout est situé sur un même niveau, ce qui, me dit-on, me facilitera grandement les choses lorsque viendra l’heure de lancer mes appels à l’écriture.
Voilà pour le décor.


Sur mon cahier bleu, des tas de questions pour Vincent, le directeur :

1. Penses-tu qu’ils auront envie de venir écrire, les hébergés ?
J’apprends que plusieurs ateliers leur sont proposés dans la semaine, revue de presse, théâtre, café philo. C’est le café philo qui remporte le plus de succès et fait salle comble tous les jeudis soirs. Les 42 hébergés y sont presque toujours présents. Ils aiment s’y rencontrer, y échanger, bavarder sur différents thèmes. Et puis il y a ceux qui parlent et ceux qui écoutent. Tout le monde y trouve sa place.
Consciente de l’aspect plus rebutant d’un atelier d’écriture face à la séduction de la parole échangée en groupe autour d’un café, je ne cesse depuis de réfléchir aux moyens géniaux de révéler à ceux des hébergés qui pourraient ne pas y être sensibles tout l’attrait de l’écrit et ses pouvoirs quasi magiques sur nos vies. Car dans mon atelier, il y aura aussi une place pour chacun, des livres en pagaille à découvrir, des lectures sonores, des chapeaux remplis de mots et des petits gâteaux, promis.
Il est alors décidé que je viendrai « faire ma pub » un jeudi soir juste avant le café philo, et avant mon premier lundi d’atelier : ce sera porteur. Et puis tant que j’y suis, je viendrai ensuite au café philo, pour écouter, et peut-être parler… Ce sera un premier contact, me dit-on.
Premier trac.

2. Où va avoir lieu l’atelier d’écriture ?
Ici, à côté des salles de la cantine, dans cette pièce qui donne sur le hall d’entrée, immédiatement visible et accessible, à la large porte vitrée.
Des tables de cantine, des chaises de cantine, du jaune pâle. Finalement, on va écrire comme on mange. Avec appétit, je l’espère. Avec dégoût peut-être pour certains plats détestés. Avec curiosité. Mais quoi qu’il en soit, avec le sentiment d’un partage, parce qu’autour d’une table, on ne peut que partager ce qui y est offert. Même si on se tait, même si le silence domine et que seul se fait entendre le bruit de ce qui est lentement mâché. Je note sur mon cahier bleu : choisir des stylos à pointe douce.

Tout d’abord heureuse de la facilité d’accès de la salle, je m’inquiète peu après de sa trop grande exposition : écrire pour moi, c’est être en lien avec l’intime, c’est un mouvement de don qui a pour compagne la pudeur, c’est un territoire personnel que l’on n’a pas forcément envie de dévoiler à tout vent… Derrière cette porte vitrée, tout le monde va voir ceux qui écrivent. Tout le monde, peut-être, va les regarder. Cela me questionne. Mais nous n’avons pas le choix. Et puis au fond, tant mieux.
Oui, il faudra faire avec ça, et instaurer la plus grande confiance et la plus grande intimité qui soit au cœur du groupe des participants, ne pas se laisser perturber par les allées et venues extérieures, ce sont celles de la vie, ne pas se laisser distraire par le bruit ou les discussions, toujours la vie. Ou plutôt si, les contempler ces allées et venues. S’en inspirer, de tous ces déplacements.
Oui, on fera avec, on écrira avec, on écrira du côté des autres autant que du côté de soi et enfin, au bout de quelques minutes de réflexion, je me dis qu’elle est parfaite cette salle, que c’est exactement ce qu’il nous fallait, ce lieu quelque peu exposé qui va nous enjoindre à nous tourner vers ce qui s’impose à l’intérieur. J’ajoute sur mon cahier bleu : orienter les tables de différentes façons suivant l’humeur du jour. Et puis je me dis aussi : « Le Visible et l’Invisible », bon sujet finalement.

3. Et les stylos, tu crois que je les prends noirs, bleus, verts ?
Allez, un assortiment pour offrir un choix. Et des crayons à papier aussi.

4. Et les feuilles de papier, blanches ou de couleur ?
Les deux. On a du budget, non ?

5. Pourra-t-on afficher aux murs certains textes écrits pendant l’atelier ?
À discuter avec les participants.

6. Pourrais-je laisser quelque part un chapeau dans lequel chacun viendrait glisser, au gré de ses envies, des mots, des phrases, des petits textes pendant la semaine ?
Ah ? Pourquoi pas. On en reparle après l’été.

7. Il faut que je trouve un nom pour cet atelier, non ? Oui.

8. Etc. Etc.

9. Penses-tu qu’ils auront envie de venir écrire, les hébergés ?

Pour une fois, vivement la rentrée.

18 juillet 2011
T T+