Face àmoi

C’est devant moi qu’il est. C’est devant moi, qu’àchaque lever de stores, il m’impressionne. Je le jalouse et l’envie, moi maigre simulacre de lui.

Arrivé après lui, je n’ai pas bénéficié des prestiges architecturaux de son époque. C’est ainsi que d’après mon bitume noirâtre d’essence, je sens tous le poids de son passé. Il est fier. D’avoir survécu aux affres temporelles et aux pulsions humaines. Il dédaigne d’être resté debout et de continuer àaccueillir avec plus ou moins de bienveillance les êtres humains.

J’entrevoie par ces fenêtres, laissées ouvertes la saison de l’été, son intimité, que les humains exploitent individuellement. Chaque compartiment connait une utilité renouvelée, battu par une fonctionnalité inexistence. Les premiers greniers ont disparus au profit de studios lumineux et étroit. Les pièces collées entre elles forment un puzzle au style divers et disparate.

Particulièrement bruyants, les humains le rendent sourds àforce de trafics auditifs et chaque pas de cuirs, de caoutchoucs ou de bois lui causent d’affreux spasmes et bleus sur l’ensemble de sa matière. Ces fondations, différentes des miennes, ne sont plus aussi vives et jeunes qu’autrefois et il souffre régulièrement de fuites de baignoires, d’éviers, de douches, de lavabos et de toilettes. L’humidité est l’une de ses tares que les humains ont omises.

Aux étages inférieurs, les hauts de plafond font la joie des humains. Souffrant de ces courants d’airs trop présents, il persévère àcouvrir ses entrées. Il défend ces volets de bois avec panache et profite des vents terrestres puissants pour les faire claquer bruyamment, si bien que personne aux alentours ne peut l’oublier, lui.

Les courants d’airs internes, c’est sa peur. Plus qu’une peur physique, c’est une peur mentale. L’air passe dans ses charpentes comme dans sa tête, son esprit s’en trouve brouillé et peiné. Difficiles àdégager, il tente tout pour éviter leurs rencontres.

Les végétaux rosés, violacés et jaunis arborant ses rez-de-chaussée par les êtres humains, l’encombrent. Régulièrement, il s’émiette de ses pierres beiges sur ses plantes dans l’espoir d’user la patience autant des humains que des végétaux.

Il cherche sa mort comme le peut un haussmannien. Il la cherche par émiettements, par détériorations, par écroulements, par éboulements, par fissures murales jusqu’àque les humains s’en éloignent et décident coup pour coup de le faire disparaître définitivement.

Eva Lassalle.

20 janvier 2017
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