Isabelle Fruchart | La langue du son

A l’issue d’une représentation du Journal de ma nouvelle oreille, le spectacle mis en scène par Zabou Breitman, où je raconte comment j’ai retrouvé l’audition, j’ai rencontré Christian Hugonnet, président de la Semaine du Son, qui m’a proposé de continuer mon exploration du monde sonore.
J’ai eu envie de mettre en scène un expert acousticien, un personnage àl’inverse de moi, qui entend tout, voire trop. Interroger notre relation primale avec le son. En continuant d’écrire pour le théâtre, lieu de prédilection où vibrer ensemble, acteurs et spectateurs, dans l’instant présent.

Ma résidence est aussi l’occasion de faire une recherche sur les mots que l’on pose sur ce qu’on entend : « Â la langue du son  ».
À travers un atelier d’écriture, des restitutions sonores et scéniques, et la création de deux bibliothèques.

L’idée de mes ateliers m’est venue au lendemain de l’attentat àCharlie Hebdo.
Quand je pense son, je pense écoute.
Dans l’espace de l’écriture, la mienne et celle des ateliers, rien ne m’intéresse plus que d’écouter cette chose qu’on passe son temps àtaire et àdissimuler devant les autres et son propre miroir : la fragilité.
Et quand je considère la société, je me demande si la fragilité ne se trouve pas, notamment, du côté de ces ados sur la brèche, dont on ne sait de quel côté ils peuvent basculer. Ces ados qui souffrent de n’avoir pas été assez écoutés, et qui nous dérangent car ils ne filent pas droit dans la plate-bande.

Ayant entendu parler du travail d’écoute et d’accompagnement hors du commun pratiqué en psychiatrie par l’établissement de Ville-Evrard, j’ai voulu travailler avec les ados hospitalisé en psychiatrie dans l’unité créée par Ville-Evrard au CHI André-Grégoire àMontreuil.
Pour prêter l’oreille àces jeunes hospitalisés.
Leur donner la parole dans un atelier d’écriture, et donner leur parole àentendre àl’extérieur du lieu où ils sont accueillis.
Ainsi est née l’idée d’un échange épistolaire, entre ce groupe d’adolescents et un groupe d’adultes, adhérents de la Semaine du Son.
Un échange d’une dizaine de lettres.
J’ai voulu que cette parole soit donnée àentendre non seulement àces adultes-là, acousticiens, musiciens, cinéastes, qui s’intéressent au son, mais aussi àun public lambda, àl’occasion d’une restitution scénique sur le plateau du théâtre Berthelot àMontreuil.
J’ai voulu aussi que cette parole soit pérennisée : les lettres seront enregistrées et habillées de son par l’architecte sonore Jean-Marc L’Hôtel, et ces enregistrements seront accessibles dans un meuble d’écoute au casque, qui sera installé dans les lieux partenaires de la résidence, ainsi que, je l’espère, dans l’enceinte de l’Unesco : ayant déposé une charte du son qui fut ratifiée par l’ONU le 31 octobre 2017, la Semaine du Son y organise un événement chaque année.

En complicité avec la librairie Folies d’encres de Montreuil, je vais également créer une bibliothèque de livres qui consolent, dont les ouvrages seront installés dans l’enceinte de l’établissement qui accueille les ados.
Ainsi qu’une bibliothèque de livres de fiction qui parlent de son. Dont les ouvrages seront installés au CDI du lycée Eugénie-Cotton.
Avec les élèves de la classe de CAP option librairie de ce lycée, nous préparerons l’éloge public d’un ouvrage choisi.

A partir des ouvrages collectés et des lettres de l’atelier d’écriture, un « Â lexique du son  » sera créé…

A bon entendeur… àtout de suite !

13 février 2018
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