"Je suis cette fille qui chante fort dans le bus."

(Un extrait de Ce jour-là (joca seria, 2012), livre écrit avec Tanguy Viel par les élèves de Clichy-sous-Bois.)


CHOEUR DES HABITANTS
Je suis les mamans qui discutent après avoir déposé leurs enfants.
Je suis cette femme qui s’habille vulgaire.
Je suis ces jumelles qui sont habillées pareil.
Je suis ces oiseaux noirs qui font des signes.
Je suis cette fille qui chante fort dans le bus.
Je suis cet homme qui ronge ses ongles jusqu’àsaigner.
Je suis cet homme qui met toujours des pansements àses pieds.
Je suis ce jardinier qui arrange les fleurs.
Je suis ce garçon qui se cure le nez.
Je suis celui qui perd sa mère tous les samedis au marché.
Je suis celui qui rate toujours la marche de l’escalier.
Je suis celle qui a toujours des écouteurs dans les oreilles.

CHAUFFEUR DE BUS
Je travaille presque toute la semaine pour nourrir ma petite famille. Lorsque j’ai un peu de temps, je les emmène dans notre centre d’activité préféré : Sherwood Parc. C’est un parc d’accrobranche àSeugy. Mes enfants adorent. Moi, j’y vais surtout pour eux. Je suis nul en accrobranche. Ou bien nous allons au cinéma. Ou bien rendre visite àla famille de ma femme. De mon côté àmoi, ils sont restés en Afrique. Aussi, quand on a un peu de temps, ma femme et moi, nous allons danser le tango àNeuilly-Plaisance. Je ne voudrais pas me vanter mais je fais partie des meilleurs danseurs du groupe. Lorsque je suis àla danse, j’oublie tout, je me sens libre. La réalité revient brusquement, quand la musique s’arrête. Ça me fait ça aussi avec la lecture. Je suis un mordu de science-fiction. À travers la lecture j’ai l’impression d’être dans mon monde àmoi, le monde de Yannick. Je n’ai jamais connu mon pays, le Congo. Je suis arrivé en France àl’age de 2 ans et je n’y suis jamais retourné. Je pense souvent àce pays qui m’est totalement inconnu. Je ne le connais qu’au travers de ce que racontent les gens. J’aimerais bien un jour y aller et faire découvrir ma terre àmes enfants. Ma femme aussi est congolaise. Elle est née là-bas et me dit souvent que c’est un très beau pays.

NORMANDIE
Le ciel est vaste et gris, et la mer nous fascine. Les vagues semblent si puissantes, comme si elles pouvaient tout emporter sur leur passage, tout effacer, et pourtant, elles rapportent de nombreuses choses de la mer qu’elles déposent sur la plage, algues vertes dont l’odeur est àpeine soutenable tandis que le chant des mouettes berce le rythme des vagues qui laissent voir au loin sur l’eau les vestiges du port artificiel, blocs de béton, épaves noyées dans la mer et qui paraissent hantées, témoins d’un passé cruel qui imposent leurs corps endoloris. Ils sont gigantesques. Ils abritent des coquilles vides. Tout cela fait naître une curiosité, celle de savoir en quoi ces débris dans l’eau rendent ces plages incomparables aux autres, plus riches d’un passé que la marée ne découvre que lorsqu’elle le veut. Quand la mer se retire, elle laisse place àdes algues qui se déposent sur la plage, algues noircies par le temps qui salissent l’étendue de sable doré. Jamais de grosses vagues. Elles sont légères et déposent paisiblement leur écume près de la plage
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Ce jour-là (éditions joca seria, 2012), ISBN 978-2-84809-209-6

1er septembre 2012
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