Journal épisodique et fragmentaire - Mercredi 16 novembre

Mercredi 16 novembre 2011

Le long du boulevard Daumesnil, les guirlandes argentées des fêtes de fin d’année se sont accrochées au vitrine depuis ma visite précédente et un froid assez vif impose à la raison l’évidence lumineuse d’un changement de saison. Je n’oublie pourtant pas les lectures à haute voix données au même endroit, il n’y a pas si longtemps. La lumière estivale qui baignait ce jour-là cette manifestation multilingue... Relativité des impressions : une résidence de deux mois est d’une durée très courte et on ne voit le temps passer qu’à des signes climatiques.

À la Maison d’Europe et d’Orient, de nouvelles photos sur les murs de la salle de spectacle confirment cette approche tranquille de l’hiver. Noir et blanc de paysages de neige qu’on détaillera demain, avec un peu de temps devant soi. Dans l’immédiat, en place pour le comité francophone Eurodram ! Un comité réduit au regard de la qualité de la sélection proposée : autour de la table, nous ne sommes que quatre. Barnabé comédien du Théâtre national de Syldavie, Clara metteur en scène en résidence, Dominique et moi-même. Mais quatorze personnes au total ont exprimé leur intérêt ou leur désintérêt via le courrier électronique. Des absences excusées, des absences inexpliquées et des présences intimidées par l’importance de l’enjeu et de leur responsabilité. Le but est de retenir parmi un corpus d’une vingtaine de textes dramatiques français, trois œuvres théâtrales qui seront proposées en traduction aux différents comités "linguistiques".

Après un rapide tour de table, Dominique procède au dernier relevé des notes et les réponses varient selon un rituel numérique, entrecoupé de remarques ponctuelles : "Ca, j’ai lu. Ca, je n’ai pas lu. J’ai reçu, pas reçu…" Ou plus rarement par l’aveu qu’on n’a pas éprouvé l’envie d’attribuer une note à la pièce. Exercice délicat et peu facile à mettre en œuvre pour témoigner de son désir ou de son non désir. Qui a cependant le mérite de donner une réelle consistance à l’opinion de ceux qui n’ont pas pu être là.

Après quoi, Dominique dresse un bilan provisoire avant d’entamer les débats. Un palmarès se dessine déjà avec deux textes en tête de liste, indiscutablement détachés (Vesna de Gilles Granouillet et Des gens légers de Jean Cagnard) et un troisième qui tient la corde (Communiqué numéro 10 de Samuel Gallet) devant un petit peloton de cinq ou six autres textes aux notes sensiblement identiques. Ce palmarès demeure évidemment discutable et on ne se prive pas d’en discuter la pertinence même si le but n’est pas tellement de le remettre en question. Plutôt de l’approuver comme on approuve un texte de loi après l’avoir examiné sous toutes ses considérations et désapprobations. Bière pour les uns, vodka, cigarettes, ordis ouverts : chacun affûte ses arguments.

Il y a plusieurs années que je pratique régulièrement les comités de lecture et je retrouve ce soir le même plaisir de l’échange et de la conversation. Convaincre, se laisser convaincre, exprimer son point de vue et le faire évoluer, découvrir des pistes de lecture qu’on n’avait pas envisagées... Le fait d’être aussi peu nombreux ne contrarie pas, bien au contraire, la valeur de l’échange. On croirait même qu’il le stimule. La parole est libre et confiante, jamais hostile, jamais déplaisante. Il y a un véritable respect pour le travail des auteurs et un égal respect pour la parole de l’autre, même dans le désaccord. Et peut-être davantage dans le désaccord.

Des personnalités et des attentes très différentes s’opposent comme autour d’une table de poker et le jeu est enlevé, légèrement épicé par le souvenir des textes balkaniques plus fréquemment fréquentés par la MEO. Et si l’ensemble des échanges ne change que peu de chose au palmarès final, il est clair que ces quelques heures passées à parler de théâtre et de textes de théâtre auront duré aussi peu de temps que la renverse saisonnière de l’été à l’hiver.

18 novembre 2011
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