Journal épisodique et fragmentaire - jeudi 17 novembre
Jeudi 17 novembre 2011
Michal Walczac arbore un très large sourire. Sympathique, vigoureux. Il vient de débarquer de son avion, toute droit arrivé de Berlin et il est manifestement content d’être là, à la Maison d’Europe et d’Orient où la découverte de son livre et la remise de ses exemplaires d’auteur s’accompagnent d’un verre de vin monténégrin.
Nous échangeons quelques propos de circonstances et ma médiocre connaissance de l’anglais limite l’intelligence de la conversation. Néanmoins, je découvre que nous nous sommes déjà rencontrés. A Caen, au Panta Théâtre. C’était il y a quelques années, à l’occasion du Festival Écrire et Mettre en scène consacré aux écritures dramatiques polonaises. Je me souviens de cette rencontre au Salon du livre (comment dit-on Salon du livre en anglais ?) dans cette salle très sonore du Hall des expositions, entre les trois auteurs polonais invités par le festival et plusieurs écrivains de théâtre français représentés par Michel Azama qui était, à l’époque, le président des EAT. Hasard très amusant et pour le moins inattendu, sa connaissance du sol français se limite actuellement au charme provincial de Caen. Mais il entend bien profiter de son court séjour parisien pour aller visiter le musée de la magie ou tout autre musée plus divertissant que culturel. Envie de bousculer les schémas touristiques et les obligations de découverte sérieuse.
Pendant que nous bavardons, dans la salle de spectacle voisine dont Dominique vient de m’apprendre qu’il l’a baptisée Bunker Andreï Malroff et Dejan Vilarski, les comédiens répètent la lecture sous la direction de Ludovic. Quelques éclats de voix parviennent de temps en temps à percer le blindage de la porte du bunker.
La lecture est tonique et les trois comédiens s’en donnent à cœur joie. Barnabé, en Pauvre de moi, alterne avec aisance les deux figures contradictoires de la victime et du manipulateur et donne une réelle consistance à son personnage cynique d’ange déchu condamné à la fonction de tentateur. Natacha, dans le personnage de la Chienne, joue de la naïve sensualité de celle qui aime flâner au lit, prisonnière de sa confiance affective envers ses deux partenaires conjugaux. On comprend parfaitement qu’elle est la victime désignée de ce jeu de pouvoir qui se jouent entre les deux hommes. Le troisième comédien Patrick incarne avec le Nouveau Mec l’incertitude mêlée d’arrogance de celui que le bonheur risque de rattraper au point de lui donner envie de fuir.
Sans être jouée, la lecture propose une vision théâtrale qui émerge peu à peu, presque par incidence, à la manière de cette petite cuisine qui, dans le prologue de la pièce, naît du désir des personnages, jusqu’à présent propriétaires du seul titre d’une histoire à venir. Le public rit souvent, de ce rire polonais totalement étranger à un comique français. Les différents plans d’écriture et de représentations (entre récits, commentaires, incursions discrètes de l’auteur, scènes dramatiques et soliloques) fonctionnent très efficacement, éclairant le sens d’une œuvre qui aurait pu sembler opaque ou simplement labyrinthique lors de la lecture silencieuse. Servie par le théâtre auquel elle prête son jeu, la pièce révèle pleinement son potentiel de séduction et le sourire de son auteur n’y est pas étranger à celui de Michal, il y a une heure au bar.
Suit une courte table ronde animée par Maougocha, en présence des jeunes traductrices et du metteur en scène. Michal Walczac figure comme un des talents prometteurs de la jeune scène polonaise où depuis l’âge de 22 ans, à peine sorti de l’Académie des Arts de Varsovie, il est représenté sur les grandes scènes officielles ainsi qu’à l’étranger, notamment en Allemagne. Il répond de bonne grâce aux questions des unes et des autres concernant ses intentions, ses filiations littéraires (on évoque bien sûr Gombrowicz) et le mystère ouvert de la fin. Avec cette pièce au titre étrange : Pauvre de Moi, la Chienne et son Nouveau Mec, il explique qu’il avait envie de rompre avec une étiquette qu’on commençait à lui coller en dépit de son très jeune âge. Un petit geste de rébellion où il avait envie de simplement “jouer du théâtre, d’interroger ses conventions sans privilégier le souci de tenir un propos politique ou sociologique ou de toute autre nature intellectuelle”. Ce que raconte sa pièce est de l’ordre de l’autoportrait d’une génération, cette génération des trentenaires qui en Pologne découvrent une liberté, toute relative, jusqu’alors inconnue.
Mais son geste va plus loin encore. Il inscrit une sorte de distance avec l’institution théâtrale comme si Michal Walczac cherchait à rompre avec l’officialité et les grandes scènes prestigieuses pour tenter de faire émerger des formes plus libres et plus directes qui, d’une certaine façon, ressemblent à cette lecture.