L’année du lac (première partie)

L’année du lac (première partie)


Ce fut une année étrange : l’année du lac.
Sous les collines artificielles bordant le lac de Créteil, d’anciens fantômes remontent. Les spectres enfouis s’épanouissent en fleurs jaunes et blanches qu’àmains nues j’arrache. De retour chez moi, je compose des bouquets vivaces qui font revivre le lac sur la table de la cuisine. Ses eaux tracent un chemin sinueux, depuis les rives boueuses envahies de roseaux, jusqu’au Cirque d’Hiver, en passant par les couloirs du métro dont les passagers dévisagent les branches qui sortent de mon sac.
C’est un herbier, comme en contiendra mon roman. C’est un exercice de kleptomanie spirituelle. C’est une tentative glorieuse, dérisoire, pour marquer le passage des saisons.
Pendant ce temps, l’écrivain kleptomane dérobe des visions du lac et les distille dans l’imagination des élèves. Dans leurs scénarios de courts-métrages, les adolescents du lycée Léon Blum transforment le lac en jeune fille insolente et rebelle ; en créature vengeresse ; en surface verte et bleue, indifférente. A l’aube, quand la pluie me réveille, je rêve au mélange des eaux, ciel et lac, une alchimie qui est la matière même du roman.
L’hiver vient. Les jardiniers ont tondu les fleurs sauvages. Bientôt les cerisiers tendront vers moi leurs branches roses et blanches. Les pétales fragiles se répandent en pluie dans le métro.
Une amie désapprouve les bouquets illicites que m’ont appris àfaire mes parents. Elle-même assemble être vivants et objets sur des collages inquiétants. M’écoutant décrire mes personnages, elle invente un livre d’images où puise mon apprentie institutrice, lorsqu’elle enseigne faune et flore du fleuve aux enfants.
Les jours sont gris. Les saisons invisibles. Sur le lac de Créteil, les éclats de lumière changeante rappellent les intuitions fugitives — ces présages intermittents —, qui nous guident, tandis que prend forme le roman.
Le printemps est la saison des revenants. Le lac n’est plus la toile de fond familière, le décor de l’enfance en arrière-plan.
Le lac commande. Un jour de pluie, il convoque un ancien spectre, et sur ses rives…

(àsuivre)

18 juillet 2016
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