La disparition de Georges Haldas

« Â Sans feu ni lieu j’arrive / au bout de ce voyage  ».


Ce n’est pas par hasard qu’il avait tenu àécrire La Légende des cafés. Il les connaissait bien. Il savait que se jouait là, dans l’antre, souvent àhuis clos, entre le buveur et son reflet dans une vitre ou dans l’oeil d’un serveur, bien plus que du lien social. On pouvait encore le rencontrer, il n’y a pas si longtemps, àLa Brasserie hollandaise àGenève, un peu perdu derrière des volutes de fumée en fond de salle, ou au café Chez Saïd où il aimait venir travailler tôt le matin, juste avant l’embauche des ouvriers.

Ici ou là, il y avait toujours sur sa table journaux et carnets en cours. Il en aura noirci plusieurs dizaines. Vivant « Â en état de poésie  ». Cherchant continuellement àcapter tous ces éclats et fragments de vie qui, mis bout àbout, permettent de trouver un équilibre précaire mais nécessaire pour traverser l’existence et comprendre les autres en restant éveillé, curieux, fraternel et surpris.

Son Å“uvre avoisine les cent titres. Si elle fait l’éloge de ses passions (des cafés, du football ou des repas), elle interroge également la lumière qu’il disait trouver (lui qui perdait peu àpeu la vue) dans la religion et les liens très forts qu’il entretenait, par delàleur disparition, avec ses parents. Deux livres, l’un, Boulevard des philosophes, consacré àson père et l’autre, Chronique de la rue Saint-Ours, dédié àsa mère, se complètent et expliquent discrètement tout ce qu’il leur doit. Il avait coutume d’avouer que de son père, taciturne et secret, il avait hérité de la recherche du sens tandis que de sa mère, patiente et toujours prompte àrépondre àses questions, lui venait son besoin de dire.

« La démarche de mon père était àbase de doute et de besoin de puissance (pour se rassurer, faute de se relier). Celle de ma mère, faite de confiance et de relation  ».

Né àGenève en 1917 de père grec et de mère suisse, Haldas a toujours eu des relations contradictoires avec sa ville. Ce qui l’attire, c’est « Â la ville du dedans  », celle des bords de l’Arve, de Plainpalais, de la Roseraie, celle qui dans les profondeurs de sa mémoire ne bouge pas. Il en parle comme d’une « Â patrie psychique  » en précisant qu’une autre partie de lui àses racines en Grèce et une autre encore en Italie.

« Â Ã€ chaque fois, une partie de nous-mêmes correspond àun lieu déterminé. Toutes ces choses s’amalgament et font un en nous, et c’est précieux.  »

Curieusement, Georges Haldas, qui s’est éteint au Mont-sur-Lausanne où il vivait depuis quelques années, a peu publié en France. La Légende des repas, paru en poche en 2008 et L’échec fertile (livre d’entretiens), sonnent comme des exceptions. Son Å“uvre (poèmes, chroniques, carnets et essais) est essentiellement disponible chez L’âge d’homme.


(Photo : Keystone).

Exergue : extraits de "Sans Feu ni lieu", éditions L’Aire, 1968.

30 octobre 2010
T T+