Mandala des jours de Dominique Sorrente.

La poésie, pour Dominique Sorrente, entendons par là cette activité de parole qui engage toute une vie et où une vie vraiment se joue, est l’épreuve heureuse et terrible à la fois de l’insolite et de l’étrangeté qui nous attendent toujours, quoi qu’en ait l’esprit de sérieux, dès que nous acceptons le risque d’abandonner l’obsession du « calcul » et l’ensemble des comportements appris et réglés…
Une fois libéré de ces entraves, et c’est alors parier pour la légèreté, « on a pour tâche singulière de s’accorder au rythme qui s’invente. »

Lève-toi, la beauté fauve est encore à venir,
tes pas bientôt s’allègeront
des vieilles épaules du monde,
aide-moi à exister
(...)

J’ai toujours aimé cette légèreté, chez Sorrente, cette sorte de grâce qui traverse ses plus beaux poèmes, et qui s’exprime dans la rencontre inattendue, dans l’entrecroisement, d’images non pas violentes, comme parfois chez les surréalistes, mais aériennes et comme délestées du besogneux, de la marque ostensible du travail et de la recherche (par exemple : « Un printemps commandeur s’excite dans les yeux des chevaux » ; ou encore : « La pluie a la mémoire trouée »…), coïncidence parfaite en cela entre la vie vécue et la parole qui la fait être…
Quelque chose d’assez nietzschéen, si l’on veut, dans l’intempestivité de telles rencontres. Et cela provient aussi du fait que le premier surpris c’est le travailleur lui-même, qui « donne des mots en pâture au maître intérieur qui les broie peut-être ou les ingurgite ». Et « quand on les récupère, ils ont un drôle d’air d’introuvables. »

Vers où, vers quoi, vers qui va-t-on dans ce procès qui jamais ne se clôt, sinon vers sa propre énigme, toujours inactuelle, toujours remise, dans l’étrangeté seconde que produit le poème …

Aujourd’hui est plus cuivré
que de coutume,
sans doute à cause d’une voix
qui s’est offerte à notre insu.

Et nous découvrirons,
un autre jour,
que cette voix était déjà la nôtre.

Peut-être, oui, est-ce cela, accepter de vivre en poésie, soit admettre qu’on sera sans cesse dépassé ou subverti par le réel et par la langue qui lui tourne autour, comme l’annonce, en sanskrit, le cercle du "Mandala" qui donne, par lointaine coïncidence, ou par humour sage, son titre au livre ; accepter de voir sa propre image et les mots qui voulaient la saisir retournés et renvoyés à je ne sais quel abîme, au risque, à nouveau, de se perdre, d’être cet homme « à l’envers, observant la gueule archaïque qui glisse sans repli vers [sa ] gorge ».

C’est que la légèreté doit aussi se gagner sur la lourdeur et sur la pesanteur de l’Histoire dont ce livre n’ignore ni les cris ni les horreurs. Le seul ordre qui puisse vous tenir est celui de l’amour dont le visage de calme et de mesure éclaire plusieurs poèmes.
Mais c’est bien l’expérience de l’énigme, il me semble, qui est au centre du livre, une énigme acceptée comme la donne incontournable de notre vie…

Et voilà le travail qui n’en est pas.
Quelques signes de vie au pas des portes, une alchimie à boire, ce qu’on va dire, ce qu’on ne dira pas, et toujours ces mots qui nous appellent pour de nouveaux irréductibles usages.

Ainsi brûlent nos caractères tantôt fantasques tantôt fervents, outils-aimants à la fenêtre des interférences.

Jean-Marie Barnaud

24 mai 2007
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