Pas de panique àl’ONU

Je suis seule au monde le nombre que nous sommes ; alors nous sommes des milliards, des milliards le nombre que nous sommes.

Dans la thermosphère, àmoins de 400 km au-dessus de la planète Terre où vivent environ 1,75 million d’espèces animales, l’Agence Spatiale Internationale tourne quinze fois par jour autour de nous àune vitesse de 27 700 km/h ou 7,7 km/s. Je me tourne vers La Mecque.

Je me tourne puis me retourne vers La Mecque et finis par attraper un torticolis.

*

Il est 23h30 làoù je me trouve ; je cherche àétablir une communication avec Nà»ruddîn Calas.

J’ouvre l’application Skype en cliquant sur l’icône correspondante affichée en haut àgauche de l’écran de mon ordinateur portable. J’entre mes paramètres de connexion.

Ça y est, la communication est établie. Allô, Nà»ruddîn ? Nà»ruddîn ?

*

Nà»ruddîn, àl’instant même où je dirige mon regard vers le plateau de l’ONU que je visualise via l’écran de mon ordinateur, j’ai faim. Alors je me lève et me dirige vers mon réfrigérateur. J’emploie la poignée dudit réfrigérateur puis ouvre sa porte. Je découvre que mon réfrigérateur est vide, ou vide ou quasiment vide. Nà»ruddîn, m’entends-tu toujours ?

Oui, Ellen, je t’entends. Je viens moi aussi de me connecter au plateau de l’ONU. Y est évoqué le cas d’une ouvrière de confession musulmane travaillant sur une plateforme pétrolière située au nord du cercle polaire où, l’été, les nuits n’existent pas et qui, lorsque le ramadan survient en pleine période estivale, doit malgré tout se nourrir.

Ellen : si tu te tournes vers La Mecque et moi vers New York comment pourrons-nous nous reposer au même moment ?

Ellen : je ne te vois plus ; regarderais-tu maintenant dans la direction vers laquelle je regarde moi-même ? J’ai tourné mon regard vers Ground Zero et je tente de visualiser le One World Trade Center même si ce sont des images de l’été 2003, lorsque la canicule fit en France environ 17 000 victimes, qui me reviennent àl’esprit.

Si pour toi Nà»ruddîn, ce sont des images de cette funeste canicule qui te viennent actuellement àl’esprit, je me remémore moi l’odeur du goudron, celui que l’on déverse sur les chaussées du monde entier, du Mali au Panama et je me demande si sa composition est exactement identique partout au monde.

Ellen : toi qui te prénommes Louise Emma Aoko Anbu Rebecca Pierre, tu tentes…

… Attends Nà»ruddîn ! accorde-moi le temps de sortir ma calculette…

… tu tentes, Ellen, de te concentrer pour additionner les PIB en milliards de dollars de l’ensemble des pays du continent africain pour l’année 2012. Tu ne t’arrêtes pas, tu ne reprends pas ton souffle, tu te trompes, tu recommences. Maintenant tu sembles troublée.

Nà»ruddîn ! j’ai besoin de repères.

C’est pourquoi, Ellen, tu cherches les PIB de la France, de la Chine et des Etats-Unis pour cette même année 2012.

Nullement, Nà»ruddîn. Je cherche bien davantage Beyrouth, Jérusalem et Ispahan parce que je cherche déjàDar Es Salam, Moscou et Detroit.

Tu as raison, Ellen : tout le monde cherche aussi Rio, Le Cap et Pékin.

Ellen, le monde entier cherche également le FMI et l’ONU, l’OCI et l’UEMOA mais personne ou presque, me semble-t-il, n’en connaît les chartes, principes et autres textes fondateurs.

Alors, Nà»ruddîn, je jette un coup d’œil dehors, par la fenêtre : il pleut.

Il pleut même àverse, Ellen.

Nà»ruddîn, nous sommes le vendredi 23 septembre 2011. Il y a quelques minutes, sur le coup de 11h46, heure locale, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a remis au secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, une demande d’adhésion àpart entière d’un Etat de Palestine àl’ONU. En cas d’adhésion, la Palestine deviendrait le cent-quatre-vingt-quatorzième Etat membre des Nations unies. A la tribune de l’Assemblée générale, Mahmoud Abbas a déclaré quelques minutes plus tard : « J’ai remis au secrétaire général Ban Ki-moon la demande d’adhésion comme membre àpart entière des Nations unies de la Palestine sur la base des frontières du 4 juin 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale. Je demande aux membres du Conseil de sécurité d’accepter cette demande d’adhésion.  »

Nà»ruddîn : il n’y eut aucune surprise le 23 septembre 2011, àl’ONU. Tout absolument tout était réglé comme du papier àmusique. Il s’agissait juste d’une cérémonie. Le discours de Mahmoud Abbas àla tribune de l’ONU ne constituait que l’entérinement indéfiniment répété de l’impuissance actuelle de la démocratie àla seule échelle qui compte : notre monde.

Ellen : il est bientôt 23h45 làoù tu te trouves et Lagos me manque même si je ne suis jamais allé dans l’ancienne capitale du Nigeria qui a été remplacée, depuis 1991, par Abuja, laquelle est seulement peuplée de 180 000 habitants et qui est implantée en plein centre du pays. Même si je ne sais pratiquement rien de Lagos, je sais qu’en 2015 sa population actuelle, estimée à10,5 millions d’habitants, devrait avoir atteint les 15 millions en faisant, devant Le Caire, la ville la plus peuplée d’Afrique.

Ellen : tu as toujours faim. Les eaux de la totalité des robinets du monde qui nous approvisionnent ne nous submergeront jamais.

Ellen : cette nuit en rêve je t’ai vue relier Bakou àTbilissi àErzurum àAnkara àBudapest àVienne ; je t’ai vue relier le Kazakhstan àla Russie àla Bulgarie àla Serbie àla Hongrie àla Slovénie àl’Italie àla France.

Nà»ruddîn : quels chemins avais-je donc empruntés ? et quels moyens de locomotion ai-je donc utilisés ?

Je me souviens, Ellen, t’avoir vue àOyala, cette future ville située dans la partie continentale de la Guinée équatoriale, et qui ne sera achevée, bien qu’elle pourrait être habitable dès l’année 2017, qu’àl’horizon de l’année 2020. Tu fus saisie par l’ampleur du chantier de cette ville édifiée sur la base d’un petit village bordant en pleine forêt équatoriale le fleuve Wele et qui promet une nouvelle conception de la ville dont le continent africain sera peut-être le promoteur sinon l’initiateur. Parce qu’enfin, une ville de 65 000 habitants s’étendant sur 32 000 hectares constitue un épisode absolument inédit, mais essentiellement fascinant, de la modernité.

Nà»ruddîn : as-tu découvert d’où me vient cette appétence àl’égard de l’odeur de goudron brà»lant déversé sur n’importe quelle chaussée du monde entier ?

Nà»ruddîn : alors que le ciel n’est plus jamais vide d’avions, alors que des avions volent donc en permanence autour du globe, quand les institutions mondiales seront-elles renouvelées, quand réaliseront-elles l’utopie que leurs textes fondateurs énonçaient ; faudra-t-il tout réorganiser, tout repenser et tout refonder jusqu’aux utopies elles-mêmes ?

Ellen : tout le temps ton regard, bien qu’attiré par le passé, est tourné vers l’avenir ; tu ne fais plus que t’intéresser àl’an 2050, àl’Afrique.

Silence.

Ellen : tu ne dis rien. Tu ne dis plus rien. Si tu ne me parles plus notre amitié s’éteint ; elle s’estompe, peut-être pour disparaître àjamais.

Nà»ruddîn : il paraît qu’il n’y a pas assez d’argent ; pas assez d’argent dans le monde entier pour le monde entier. Il paraît que l’argent manque, partout. Et que les caisses sont vides. C’est faux ; de l’argent il y en a autant, tout autant que nous le voulons, le souhaitons ou en décidons ; de l’argent il y en a assez dans le monde entier pour le monde entier parce que l’argent est lien social et c’est tout ; nous baignons dedans jusqu’au cou.

Ellen : ce que j’aime dans la langue française qui n’est ni ma langue maternelle ni la tienne ce sont ses « que  » ses « qui  », ce sont ces « quoi  » qui affinent le coefficient de pénétration dans l’air de ses sons lorsqu’elle passe de bouche àoreille.

Ellen, j’ai pris connaissance d’un échange ayant eu lieu le 10 avril 2008 àl’occasion du rendu d’un rapport sur l’Equateur àl’ONU entre le président roumain Doru Romulus Costea et le délégué égyptien. Le premier intervint pour indiquer àl’Egypte qu’elle n’avait pas àrécuser une des recommandations, pourtant acceptées par l’Equateur, consistant àlutter contre les discriminations liées àl’orientation sexuelle. Le second rétorqua que l’orientation sexuelle n’étant pas un droit universellement accepté, il ne pouvait y être fait allusion.

Silence.

Ellen : ça y est, j’y suis. Que personne ne me dérange. Ellen, je vais devoir couper.

Comment ça, Nà»ruddîn, couper ? Nà»ruddîn : mais où es-tu, et que fais-tu ? Nà»ruddîn, si tu te branles devant Internet, je veux me branler avec toi.

1er juillet 2013
T T+