Presqu’îl-e

Il enlève son pull et son t-shirt noir.
Il suit des doigts les cicatrices.
Je lui demande si je peux prendre des photos.

Oui.

Je reste assise, la table n’est plus vraiment entre nous, mais je reste sur cette distance de respect mutuel, qui matérialise notre relation dans cette histoire. La proximité et le partage de l’histoire, de l’aventure, et cette table de cuisine entre nous.
La pudeur de la table.

Il parle avec un calme teinté de douceur même derrière l’enthousiasme ou la colère. Ce qui me touche, et qui fait je suis là, tient à cette douceur de propos et de ton.
J’ai terminé les photos, il remet son t-shirt et son pull.

Onze mois plus tôt il m’avait dit :
Je vais changer de genre. J’aimerais que tu suives cette transformation, est-ce que ça t’intéresserait ?
J’ai immédiatement répondu : oui. Écriture ou Photo ?

Comme tu veux.

On venait de terminer un projet de carnet de voyage avec ses étudiants. C’était une femme quand il me l’a proposé qui allait devenir un homme.
On n’a rien convenu à l’avance. « Comme tu veux » ça a été le pacte entre nous.
On s’est revu une fois, puis deux, puis régulièrement, chaque semaine ou tous les quinze jours, pendant plus d’un an.

Dès le départ j’ai dit, je ne noterai rien pendant nos rencontres, j’écrirai de mémoire. Au bout d’un mois, j’écrivais il, lui, sans plus m’en soucier. N’ayant jamais utilisé son prénom féminin, je l’ai tout de suite appelé par son prénom masculin. Petit à petit j’ai commencé à prendre des photos pendant qu’il parlait. On ne savait pas où on allait mais je savais exactement pourquoi j’étais là.
Le sujet du changement de genre m’a beaucoup intéressé lorsque j’étais ado. Je n’en ai jamais parlé, à part à ma grand-mère, un été. Je n’en ai jamais parlé. Jusqu’à ce qu’il me fasse cette proposition.

C’est un projet en cours.
C’est un projet fait de prolongements.
D’écriture, de lectures, d’adaptation théâtrale, d’exposition photographique.

C’est pour moi une occasion unique d’aborder cette question centrale :
C’est quoi, devenir soi ?


Expos photographies textes et lectures :
Festival Fotolimo, Cerbère (66) et Portbou (Espagne) 2019
Librairie Violette and Co. – Paris (75) 2017
La féminité,la poésie débouche, Estelle Fenzy – radio Canut (69) 2017
Librairie de Sancerre (18) 2017
Trans Time, cycle Dégenrez-vous– Centre Confluences – Paris (75) 2016
Klaxon, cycle de lectures, Collectif *Public Averti– Sancerre (18) 2015 extrait audio
Les Silos, maison du livre et de l’affiche - Chaumont (56)
Le luisant- Germingy l’Exempte (18)

20 mars 2016
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