"Quand la mer se retire, le sable laisse des empreintes de serpents invisibles."

(Un extrait de Ce jour-là (joca seria, 2012), livre écrit avec Tanguy Viel par les élèves de Clichy-sous-Bois.)


JULIE
Des histoires comme ça, à Clichy, je ne sais pas s’il y en a tant que ça. Mais ce que je sais, c’est que chaque soir, j’ai l’impression de faire un nouveau cauchemar, je me réveille en pleine nuit, je sursaute et je ressens cette envie de changer de vie. Je réalise que j’en ai assez de ce travail, de cette routine qui s’est installée depuis maintenant quelque temps et puis cette ville, elle m’épuise… Assez ! J’ai besoin de changer d’air. Tous les matins, je suis forcée de porter ce stupide uniforme qui me colle à la peau, cette couleur bleu foncé je ne la supporte plus, cette ceinture tellement lourde m’épuise. Cette casquette qui ne ressemble à rien, j’aimerais ne plus la porter. Sans oublier ces grosses bottes de sept lieux qui écrasent tout sur leur passage. Non, je ne veux plus porter ces horribles vêtements, dehors les jeunes te fixent et te haïssent. Mais s’ils savaient combien j’aimerais arrêter ce travail, je le hais ! Il m’a changée, je ne suis plus moi, je suis celle qu’ils veulent que je sois, je ne me reconnais pas. J’aimerais ne plus avoir à revivre ces moments où je me cogne à ces foutus lampadaires qui s’éteignent lorsque je rentre chez moi, je ne peux plus voir cette mère et son enfant tous les matins sur mon chemin. Les voisins qui se disputent sans cesse durant la nuit. Les discussions des ados et celles des travailleurs en fin de semaine, ça ne m’intéresse plus. Je ne supporte plus l’odeur des boulangeries même lorsque j’ai l’appétit. Ça m’est insupportable de passer devant ce petit tabac ridicule, cette pharmacie fermée depuis maintenant six mois, et cette épicerie où tout est cher. J’aimerais avoir le pouvoir de remonter le temps et tout recommencer depuis le début.

ÉLODIE
Avec Ryan on est descendus aux Champs-Élysées. Les rues étaient enneigées. Tout ce blanc de neige. Plus tard, il serait piétiné par les touristes. En attendant, la neige se reflétait à travers les lampadaires, ce qui donnait l’impression d’être dans un film. Nous avons marché main dans la main, dans la neige qui ensevelissait nos pas. Les rues à Paris étaient silencieuses, et ce silence était apaisant.

NORMANDIE
Quand la mer se retire, le sable laisse des empreintes de serpents invisibles. Le sable aussi est soumis à la mer. Les pierres sont presque nues. Seules quelques algues restent accrochées. Lorsqu’elle revient, les pierres redeviennent grises. La mer recouvre les serpents invisibles, la mer calme et colorée. Le sable change de couleur quand il est mouillé, il devient plus ferme sous les pas. Quand il est plus jaune, il est facile de marcher dessus. Le sable est grimaçant à cause des algues. Sur la plage il n’y a personne, mis à part le reflet de nos pas et ceux des chiens. Peu à peu avec la montée de la mer, ils disparaissent sous ses vagues régulières. Le temps est comme un enfant capricieux qui change d’humeur plusieurs fois dans la journée. Ce n’est que lorsque la mer monte en début d’après-midi, que le soleil est à l’approche, puis les nuages s’assombrissent, la mer s’en va, la pluie tombe de manière violente, le vent emporte tout sur son passage, le tonnerre gronde. C’est une scène courante en Normandie, mélange de campagne avec bord de mer. Le bleu de l’océan inspire le désir de prendre le large, de s’évader à travers la lumière qu’elle laisse à son départ. Elle ne cesse de s’en aller et de revenir mais jamais en nous emmenant avec elle. Le calme y réside, seuls les grondements des orages et la colère du vent réussissent à rompre le silence dans lequel elle s’est murée. Les journées sont longues, le temps comme suspendu. Quand on se promène dans le village, on a l’impression qu’il est vide, que nous sommes seuls au monde. Les collines d’Arromanches remplissent l’espace. La nature incolore se calque sur la couleur du ciel. Les falaises avec le brouillard au loin donnent l’impression qu’elles disparaissent au fur et à mesure que l’on s’éloigne.



Ce jour-là (éditions joca seria, 2012), ISBN 978-2-84809-209-6

3 septembre 2012
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