La poésie, pour apprendre à vivre
chroniques de Ronald Klapka

 

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9 - Yves Bonnefoy / Les planches courbes

 

Que jamais la voix de l'enfant en lui ne se taise, qu'elle tombe comme un don du ciel offrant aux mots desséchés l'éclat de son rire, le sel de ses larmes, sa toute-puissante sauvagerie.
Ostinato, René-Louis des Forêts, Mercure de France, 1997

 

 

Mais il me semble aussi que n'est réelle que la voix qu'on espère (Y.B.)

Les lecteurs d'Yves Bonnefoy avaient pu rencontrer à la fin du cahier onze des éditions Le Temps qu'il fait qui lui est consacré, deux très beaux textes: Les planches courbes qui a donné son nom au recueil paru en ce début octobre au Mercure de France, et L'encore aveugle.

Il n'est guère étonnant que Jean-Pierre Jossua, dont une partie de l'oeuvre s'intitule Pour une histoire religieuse de l'expérience littéraire (4 tomes aux éditions Beauchesne) et qui comporte de nombreuses études de l'oeuvre d'Yves Bonnefoy, ait donné à la revue ETVDES (janvier 1999) cette réflexion Trois figures de Dieu chez Yves Bonnefoy qui outre Sur de grands cercles de pierre analyse ces deux textes qui avaient déjà été publiés dans des éditions d'art. La grandeur de l'entreprise de J-P Jossua (dominicain) réside dans le fait que c'est la théologie chez lui qui se met à l'école du littéraire et non l'inverse. Pour une approche "résumée", voir La littérature et l'inquiétude de l'absolu (Beauchesne 2000, belles pages sur Ph. Jaccottet, Unamuno, Katherine Mansfield, Peter Handke, Christina Campo, Margherita Guidacci, Maria-Luisa Spaziani).

Pour qui aurait découvert Heather Dohollau sur remue.net, signalons d'une part l'intervention de JP Jossua au colloque de Saint-Brieuc (Ce qui vint à la lumière) et le salut d'Yves Bonnefoy, dans le cahier cité plus haut, où il évoque ces journées où ceux qui, la connaissent diront ce "qu'est la poésie d'Heather Dohollau. Ils permettront ainsi à des lecteurs nouveaux de prendre conscience d'une voix aussi véridique que discrète. Je dirai simplement que ces poèmes sont de ceux qui nous aident à penser que la poésie est toujours vivante; et qu'elle l'est mėme toujours là où on aime à la retrouver : non tant sur des hauteurs trop facilement désertes que dans les vallons, chemins et petites rues de la vie de chaque jour, qui est grise parfois mais avec des irisations de pluie qui cesse dès qu'il y a un regard comme celui de ce poète pour, dès que le temps le permet, se risquer dehors".

Pour revenir aux Planches courbes, la revue Po&sie (n° 96) comporte l'hommage d'Yves Bonnefoy à André du Bouchet:"la sorte d'échange au sein duquel ce que l'on ressent le plus important, l'expérience qui décide de toutes les autres, la valeur en laquelle toutes les valeurs se retrempent, c'est aussi ce dont on parle à demi-mot, sans avoir à s'expliquer, à demander à comprendre, à s'étonner d'une idée ou d'un jugement." Elle donne aussi des fragments du recueil qui vient d'ėtre publié La maison natale, La voix lointaine John Edwin Jackson , dont la réflexion critique accompagne depuis des années les grandes oeuvres de poésie contemporaine, écrit dans "Le Temps" (du 6 octobre dernier):

 
 
 

"Je sais [...] que, pour quelqu'un qui accompagne l'oeuvre de Bonnefoy depuis longtemps, il n'y (en) a pas beaucoup de (livre) plus émouvant. En effet, "Bonnefoy s'y situe au plus près, au plus intime de soi-mėme, comme si, l'”ge aidant, se clarifiaient, sinon s'élucidaient en lui les énigmes auxquelles son oeuvre entière aura tenté de répondre. Ces énigmes sont celles à partir desquelles tant d'oeuvres poétiques se seront écrites depuis un ou deux siècles: le rapport des mots aux choses, le visage si simple et si inaccessible de la beauté, l'origine de l'inspiration, la relation toujours simple et toujours obscure à la mère, au père, à la voix."

Ainsi se justifie le recours aux citations par Yves Bonnefoy des oeuvres de Heather Dohollau, d'André du Bouchet. Elle nous disent d'une autre manière la constance d'une démarche qui questionne au plus intime de nous-mėmes nos propres fidélités, quelles voix nous mènent. Qu'on me permette dans cette pensée de recopier de LA MAISON NATALE ce qui suit:

 

IX

Et alors un jour vint
Où j'entendis ce vers extraordinaire de Keats,
L'évocation de Ruth "when, sick for home,
She stood in tears amid the alien corn"
Or, de ces mots je n'avais pas à pénétrer le sens
Car il était en moi depuis l'enfance,
Je n'ai eu qu'à le reconnaître et à l'aimer
Quand il est revenu du fond de ma vie.
Qu'avais-je eu, en effet, à recueillir
De l'évasive présence maternelle
Sinon le sentiment de l'exil et les larmes
Qui troublaient ce regard cherchant à voir
Dans les choses d'ici le lieu perdu?