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14 - Furio Monicelli, larmes impures à Julie
Voici un livre étonnant, publié une première fois en 1960, sous le titre - déjà ironique - Le jésuite parfait, et qui réédité en 1999 obtient le prix international de la foire de Francfort, sous ce titre non moins ironique de Larmes impures, si l'on en juge par ce passage de la fin du livre:
Cette traduction française est heureusement précédée de celle de la préface de Cristina Campo (celle que Jean-Pierre Jossua appelle "la sainte", dans le chapitre IX de "La littérature et l'inquiétude de l'absolu", et qui s'est approché de l'oeuvre de celle-ci ("Les impardonnables, Le tigre absence ) n'aura pas de peine à ressentir pourquoi son attention a été si vivement attirée par ce livre unique en son genre (accents raciniens, "grand air" des rapports absolus, parenté avec le Törless de Musil). Rappelons simplement que Furio Monicelli nous donne à partager l'évolution au cours de son noviciat chez les jésuites d'Andrea, affronté à deux tentations majeures: la tentation érotique en la personne de fr. Lodovici, figure angélique et la tentation intellectuelle en la personne de fr. Zanna (rebelle à la mécanique institutionnelle, celui-ci n'est pas prêt pour la crucifixion de l'intellect); paradoxalement l'évolution d'Andrea, lui donnera de plus en plus les signes extérieurs du jésuite parfait, mais provoquera à l'issue de ces combats intérieurs -ponctués par la mort de l'un, le départ de l'autre- comme la perte de la foi initiale. Passons sur les effets de conditionnement d'un autre âge (pénitences, "quart d'heure de charité"), l'essentiel est bien la mise en question de la remise de soi au service d'une cause, que toutes sortes de générosités peuvent appeler (ecclésiales, politiques, matrimoniales, caritatives, humanitaires, pédagogiques etc.). Ici, la "suite du Christ" selon Ignace (avec les exercices spirituels de trente jours) est magistralement évoquée au chapitre 6 du livre qui en comporte 11, chapitre central donc autour duquel pivote l'histoire personnelle d'Andrea. Le livre est d'ailleurs remarquablement construit, le temps zodiacal -pour parler comme Cristina Campo- rythmant discrètement la progression du récit; les dialogues sont de haute volée, les notations fines, précises -et l'ironie n'a pas de fonction polémique-; l'incipit du livre est un modèle du genre, et l'on pourrait en le lisant penser commencer un roman noir. C'est en définitive un livre dont la lecture attentive ne doit pas laisser indemne, et parmi les questions sur lesquelles la critique a fait fonds: l'homosexualité, le totalitarisme (un Erving Goffmann aurait pu donner une subtile analyse d'une institution totale), la cruauté selon certains de l'amour chrétien (être frère universel revenant en ce cas à n'aimer personne en particulier). Plus que tout autre mais sans rien exclure il m'a semblé que cette écriture si tenue appelle la réflexion sur l'écriture elle-même. Ici l'écriture avec de soi a beau se faire à la troisième personne, ces très fortes pages de la littérature italienne ne peuvent manquer de convoquer le lecteur à sa propre écriture confessive (qu'elle s'inscrive ou non sur la page): je fais ici allusion aux pages peut-être encore plus belles par leur inachèvement de "la Confession d'Augustin" de Jean-François Lyotard, et l'amener à examiner sa propre identité narrative, s'il en a le coeur ou le loisir. Cristina Campo: Le tigre Absence, poèmes traduits et présentés par Monique Baccelli, éditions Arfuyen
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