document 1 : le Matricule des Anges commente la Revue des Sciences Humaines

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Enfin, réjouissons-nous de voir que le N°246 de la Revue des Sciences Humaines fouille l'oeuvre de Claude Louis-Combet qui semble enfin sortir de l'anonymat où sa modestie et son peu d'entrain à se montrer le condamnaient. Trace écrite du colloque qui a été consacré à l'auteur de Blesse, Ronce noire, ce dossier a gardé, en partie, le ton de l'oralité. Ainsi, est-il bien que cet ouvrage de fonds (parfois lourdement universitaire) s'ouvre par le témoignage intime de Jean-François Feuillette qui raconte sa découverte de l'oeuvre de Claude Louis-Combet. Le "je" du lecteur ainsi donné, Bernard Noël, Salah Stétié et Christian Hubin peuvent à leur tout donner à entendre ce que fut, ce qu'est encore leur lecture de Claude Louis-Combet. La bibliographie qui clôt le dossier ravira tous ceux que cette oeuvre fascine. 

Revue des Sciences Humaines N°246 200 pages, 110 FF - Université C.-de-Gaulle - LilleIII B. P. 149 - 59 653 Villeneuve d'Ascq cedex 

© Le Matricule des Anges et les rédacteurs

document 2 : note de l'éditeur

NOTE DE L'ÉDITEUR, par B & F FILLAUDEAU

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La dernière phrase du Recours au mythe se termine par une suspension qui laisse augurer une suite, symbole non seulement du rapport qu'entretient Claude Louis-Combet et son éditeur José Corti mais encore de cette vocation à une continuité de l'auteur lui-même à travers ses oeuvres successives.

C'est en termes de lieu d'accueil que l'auteur parle de sa maison d'édition. Et ce qui rassure Claude Louis-Combet quant au devenir de ses écrits n'a d'égal que le sentiment, pour nous, d'avoir été compris : complicité évidente ? Certes, mais surtout cette sensation de reconnaître ensemble le signe tangible d'une aimantation, sans laquelle il n'y a pas d'auteur, et a fortiori d'éditeur.

Nous frappe ainsi l'adéquation entre Claude l'homme et Claude l'écrivain : jamais de double discours mais une identité de paroles. Nous avons retrouvé dans Le recours au mythe cette même transparence qui émane de lui lorsqu'il se dit.

Mais l'écriture, on le sait bien, rend plus tangible, plus réel, ce dont parfois elle est le plus éloignée et tel est bien le nécessaire paradoxe de l'oeuvre de Claude, que celle-ci soit introspective ou descriptive.

S'il y a toujours chez lui un grand souci d'être au plus près de lui-même, le voilà qui semble totalement se fondre dans une grande figure qu'il n'est pas - Léda, le roi Nabu, Marina, Trakl, Rose de Lima, etc. et disparaître parfois derrière le propos autobiographique, rendu tout à coup d'autant plus distancié que l'écrivain soi-même s'interdit de l'utiliser. Et non seulement le pacte autobiographique est interdit mais la parole elle-même qui vise à l'instaurer : tu ne parleras pas de toi-même. Loin du narcissisme ou de l'auto-encensement à la Chateaubriand, l'oeuvre autobiographique est comme le reflet décalé de la mythobiographie étonnamment plus intime.

De la même façon, la description en une scène de la guerre de 14 dans Blesse ronce noire, parait aujourd'hui plus proche de nous qu'elle n'a pu l'être naguère chez certains de ses propres témoins (Dorgelès ou Remarque) et l'atmosphère de la forêt vierge, pour ne citer qu'elle, dans L'âge de Rose s'avère sûrement d'autant plus parlante que l'auteur ne l'a jamais réellement connue.
L'éditeur n'ayant ni vocation de critique, ni vocation d'écrivain, il doit s'en tenir à ce qui lui est traditionnellement imparti, une Note de l'éditeur.
 

document 3 : entretien Claude Louis-Combet / Henri Lefebvre

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ENTRETIEN AVEC CLAUDE LOUIS-COMBET

Henri Lefebvre. Votre oeuvre est un croisement. Elle naît des intersections imposées entre le sexe et la foi, l'homme et la femme, la mythologie et l'autobiographie. Et le personnage de la mère est omniprésent dans votre oeuvre. Pouvez-vous exposer votre démarche en mettant l'accent sur les trois points qui semblent l'orienter : le rapport religion/sexualité, la mythobiographie, la mère.

Claude Louis-Combet. La mère - mais à travers elle et autour d'elle toutes les images de la féminité - est en effet omniprésente dans les récits. Mais je ne l'accueille pas autrement que comme une part de moi-même, qui est, je crois, moins liée à l'existence de ma mère biographique qu'à la transcendance d'une figure archétypique, collective, onirique, subconsciente. Pour ce que je crois en savoir, ma démarche a consisté à me détacher le plus possible de mon passé événementiel et des figures féminines qui l'occupaient pour m'introduire dans la familiarité des ombres, des images hors du temps, des puissances sacrées selon un mouvement de régression vers des formes élémentaires, sur fond de nostalgie de la confusion archaïque des genres et des espèces. Parce qu'elle s'attache à peu près exclusivement à élaborer le tissu de la relation à la mère, l'écriture, chez moi, tourne le dos à l'histoire, aux évidences de la réalité et même aux analyses de la psychologie. J'écris à peu près comme si le monde extérieur n'existait pas, comme s'il n'avait même jamais existé. Naturellement, cela ne veut pas dire que, dans ma vie, je suis insensible au monde et indifférent aux êtres. Loin de là. Mais l'écriture n'a rien à voir avec les apparences de la vie. Son cours s'est engagé sur une autre pente.

Quand j'ai commencé à écrire, j'ai travaillé sur mon petit capital de souvenirs. Je me suis appliqué à donner forme à quelques rudiments d'autobiographie. Mais il se trouve que je n'ai à peu près pas de mémoire des événements. Mon passé se ramène à quelques images, à des impressions sensibles, à une aura de sentiment. Presque rien,
 

D'autre part, comme au point de recoupement de ma culture religieuse et des aventures inconscientes de ma sensibilité, j'avais mauvaise opinion de l'individu, de l'ego, de l'amour-propre. Mais en même temps, j'étais très attentif à mes pulsions et très dominé par le sens de mes propres lointains, à ce point d'horizon où la mémoire qui s'abolit est aussi celle par laquelle commence l'histoire. J'avais absolument besoin, pour écrire, de m'ouvrir à autre chose que ma biographie sans pour autant renoncer à exprimer le fond de mon être. La mythobiographie est issue de cette contradiction. Je me suis approprié tout un champ d'existence étrangère à la mienne et je m'y suis mêlé. J'ai investi mes désirs, mes souvenirs, mes fantasmes dans les interstices vacants de légendes mythologiques ou de vies de saints. J'ai toujours eu besoin de me perdre pour me trouver. L'écriture est entrée dans cette direction. Quant au rapport entre religion et sexualité que vous évoquez comme un trait spécifique de ma démarche, je le vois ainsi : j'ai écrit à partir du point de rupture de deux strates fondamentales de l'expérience intérieure. D'une part, une éthique religieuse qui associe le sexe au péché. D'autre part, une esthétique archaïque qui fait du sexe une figure du sacré. Avec cela, débrouillez-vous. L'écriture tente de concilier les inconciliables. Naturellement, elle échoue. L'écriture n'est jamais que de l'écriture. Elle retient le cri. C'est tout ce que l'on peut lui demander.

H.L. Par l'exploitation des mythes, souhaitez-vous vous situer par rapport aux hommes, ou tentez-vous de définir la place des hommes par rapport à votre imaginaire ? L'usage des mythes ne répondrait-il qu'à une tentation de votre part pour définir l'homme que vous êtes en les réduisant de l'universel à votre dimension ?

C.L.-C. Je crois que dans le traitement littéraire des mythes auquel je me suis appliqué, de la plus libre façon, avec une désinvolture apparente mais avec, au fond, une pieuse angoisse, les deux pôles que vous distinguez - l'universel et le singulier - ne fonctionnent jamais l'un sans l'autre. Je dois à Jung d'abord puis à Bachelard l'idée selon laquelle l'enfoncement en soi-même par la rêverie, par la réélaboration poétique de l'expérience vécue, conduit nécessairement à un noyau ou à un foyer d'imaginaire qui constitue le fait même de l'inconscient collectif. Plus on s'efforce de cerner le soi, dans son obscurité, plus on se rapproche des songes religieux de la vieille humanité. Des archétypes tels que la Mère dévoratrice, l'Androgyne, la Vierge féconde, le Dieu sacrifié dominent l'imagination à la recherche de ses sources. Le problème est de leur donner une forme littérairement consistante, frappée au coin de l'authenticité personnelle. L'entreprise d'expression mythobiographique n'est pas une tentative de réduction du patrimoine mythologique à des fins de satisfaction narcissique mais plutôt une ouverture du coeur et une solution sublimée du désir à travers des images immémoriales, qui sont les gardiennes de l'âme. Ainsi tend à s'estomper la frontière entre le rêvé et le vécu, entre le moi solitaire et les foisonnantes puissances qui ont peuplé l'imagination des hommes depuis le commencement.

H.L. Ne perdez-vous jamais de vue la dimension autobiographique de votre projet d'écriture ?

C.L.-C. Non. Je ne la perds pas vraiment de vue. J'en ai une conscience pour ainsi dire atmosphérique, aucunement pesante, aucunement contraignante. Quand je développe la matière d'une fiction, je suis à l'écoute d'une parole qui est déjà toute formulée en moi. Je n'ai pas le sentiment d'être vraiment actif, mais plutôt passif, réceptif. Le livre s'écrit tout seul, à peu près sans rature. La difficulté, pour moi, n'est pas dans l'invention d'un récit ou dans la pratique d'un style, mais dans ma capacité de recueillement. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, je suis, avec l'âge, beaucoup plus vulnérable à ce que j'ai appelé, dans un poème, les incidences du jour. Écrire n'est pas difficile. C'est vivre qui l'est. Ou plutôt, c'est le maintien de l'équilibre entre la vie et l'écriture. Pour moi, je l'avoue sans fausse honte, l'écriture, dans mes choix, a toujours passé au second plan. Elle n'a jamais été le motif principal de mon existence. Je lui ai consacré le minimum de temps nécessaire : deux heures par jour, chaque soir, pas davantage... mais je m'éloigne de la question posée. En vérité, dans le travail de fiction, je me projette tellement dans les personnages que je mets en scène - des personnages qui sont surtout des ombres, des figures oniriques - que toute l'entreprise me semble être l'expression d'un monologue intérieur ininterrompu. Cependant je crois pouvoir affirmer que ce monologue n'est aucunement un bavardage avec moi-même. Il est porté par un grand silence. Il est la face prise en mots d'une obscurité dont je sais que je ne viendrai jamais à bout. Le récit qui sort de là n'est pas précisément autobiographique. Il est plutôt, par rapport à moi, dans une relation d'existence qui dépasse largement les aspects anecdotiques de mon histoire.

H.L. Vous n'avez pas connu votre père ou très peu. Vous avez été élevé dans un univers de femmes dont votre mère était absente. L'éducation que vous avez reçue a-t-elle favorisé votre penchant pour la littérature ?

C.L.-C. J'ai grandi dans un milieu économiquement très pauvre, que les vicissitudes de la vie avaient ruiné. Il n'y avait pas d'hommes : ni père, ni grand?père, etc., ils étaient tous morts. Mais ils existaient dans la mémoire, dans la parole familiale. J'étais le seul élément masculin. Et les femmes, mère et grand?mère, étaient très puissantes sur mon esprit et ma sensibilité. Chacune incarnait un pôle diamétralement opposé et également nécessaire pour le développement de l'enfant que j'étais. Je crois que mon besoin d'expression par l'écriture s'est enraciné très tôt et profondément dans la rupture d'équilibre entre les personnalités de ces deux femmes qui présidaient à ma destinée. J'étais un enfant rêveur, mal adapté à la vie. J'ai vécu, en secret, beaucoup de fictions bien avant de me mettre à en écrire de nouvelles. La fiction était, pour moi, le moyen magique de résoudre les contradictions de la vie. Et puis là?dessus, et très tôt, est venue se greffer l'expérience religieuse avec toute la suite de ses avatars.

H.L. Ne vous a-t-il pas été nécessaire de renoncer à votre foi pour écrire? Écrire, est-ce lié chez vous à une absence de foi religieuse ?

C.L.-C. Je pense que si j'étais resté fervent dans mon giron chrétien, j'aurais sans doute écrit autre chose et peut-être autrement. Mon rapport à l'écriture a été moins une affaire de relation à Dieu et à la foi que de relation à la mère. Quand le moment est venu où Dieu s'est absenté de ma vie, au terme de mon adolescence, cette absence n'a fait qu'élever le niveau d'une absence beaucoup plus ancienne et fondamentale, ancrée dans les fantasmagories oedipiennes. C'est sur ce fond?là, ou plutôt à partir d'une certaine blessure d'être dont la mère était l'origine, que le besoin d'expression s'est affirmé. La nostalgie du Dieu perdu s'est mêlée intimement à la nostalgie de la mère inatteignable, inétreignable. Mais qu'il s'agisse de Dieu - celui du christianisme - ou de la mère, biographique ou mythique, la nécessité d'écrire procède d'une situation existentielle. Elle puise sa vigueur dans la profondeur de l'exil. Elle témoigne du désir de retrouver les origines - l'enclos du lieu primordial et le temps d'avant l'histoire. Quant à ma position par rapport à la foi, je l'entends ainsi : je ne suis ni croyant ni agnostique, je ne suis surtout pas athée ni sceptique. Je suis comme une maison qui a été habitée et qui est à présent et depuis longtemps désertée. Il reste toujours quelque chose de la présence. Je crois que je n'ai jamais réussi à faire le deuil de la mort de Dieu. La mère non plus, je n'ai pas pu en déblayer mon horizon. Je demeure nostalgique et mélancolique, tandis que le temps raccourcit.

H.L. Vous avez été profondément marqué par l'oeuvre de Nietzsche. Que vous ont transmis son oeuvre et sa pensée?

C.L.?C. Mon rapport à la pensée de Nietzsche a été essentiellement émotionnel. La parole poétique de Nietzsche m'a frappé en plein coeur de mon christianisme, alors que je portais le froc, que j'avais prononcé mes voeux de religion et que je vivais dans une ambiance intellectuelle entièrement dominée par le thomisme. La lecture clandestine de Nietzsche, dans les traductions élégantes et fluides d'Henri Albert, était pour moi comme une fontaine en pleine sécheresse. Je m'y suis abreuvé sans réserve. Je crois que Nietzsche m'a sauvé de la mort spirituelle. Il m'a délivré de toute une pesanteur de rationalité chrétienne que je ne pouvais assimiler. Il a joué un rôle capital dans ma rupture avec la vie religieuse. Mais il ne m'a pas guéri du christianisme. Par la suite, je me suis désintéressé de la pensée de Nietzsche lorsque celle-ci s'est trouvée accablée par l'abondance des gloses universitaires et récupérée par le snobisme de l'intelligentsia. Alors je me suis tourné plutôt vers Kierkegaard.

H.L. En alternance avec les oeuvres romanesques, vous publiez des essais. Le roman vous semble-t-il insuffisant pour exprimer le "secret" dont vous êtes redevable en tant qu'homme et en tant qu'écrivain, qui fonde votre personnalité et votre oeuvre ?

C.L.-C. La place des essais dans mon travail correspond à peu près à ce qu'étaient naguère, dans la formation religieuse, les retraites spirituelles : un moment de retour sur soi-même, d'examen de conscience, de réflexion sur le chemin suivi et à suivre. Ils expriment un certain besoin de recul et de lucidité par rapport à la démarche engagée dans les fictions. Curieusement, ces textes un peu abstraits et qui ont une portée assez générale me paraissent plus chargés de matière autobiographique que les romans. En tout cas, ce ne sont pas des ouvrages qui proposent une théorie de l'écriture. Ils ont plutôt une valeur de témoignage, d'aveu. Naturellement, l'aveu ne porte que sur ce qui est dicible et intelligible. Le secret demeure au fond, hors d'atteinte, - au fond et au fondement. Qu'il s'agisse des récits, des essais ou des poèmes, mes textes me paraissent toujours insuffisants à exprimer ce que je voudrais dire et que je ne parviens pas à formuler. C'est pourquoi dès qu'un ouvrage est achevé je m'empresse de l'oublier. C'est à peu près comme s'il n'existait pas, comme si je ne l'avais jamais écrit. La béance reste entière.

H.L. Vous éditez des oeuvres spirituelles. Pouvez-vous expliquer cet attrait qui est le vôtre pour les auteurs mystiques ?

C.L.-C. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, mon intérêt pour la littérature spirituelle n'a pas pris naissance dans le milieu religieux où ma formation se poursuivait. Les ouvrages de spiritualité dont la lecture était obligatoire dégageaient pour moi un immense ennui. A cette époque, à dix-huit ans, à vingt ans, je n'avais de goût que pour la poésie, des Romantiques à Claudel, avec un enthousiasme tout particulier pour Baudelaire et les Symbolistes. Mon goût pour les textes d'inspiration mystique et spirituelle s'est développé plus tard, hors de toute influence extérieure, comme une phase durable de maturation personnelle. Cela correspondait à une intériorisation de plus en plus grande de mes expériences vécues. Je me suis intéressé aux vies de saints à partir de 1975, lorsque j'ai commencé à écrire Marinus et Marina. La littérature hagiographique m'est apparue comme un véritable trésor d'imaginaire, à peu près inexploité. C'est au cours de l'élaboration de Marinus et Marina que s'est imposée à mon esprit l'idée de la mythobiographie. Quant aux écrits des auteurs mystiques ou spirituels, ils ont peu à peu nourri mon sentiment nostalgique de la foi disparue. Ils ne m'ont pas ramené à une quelconque adhésion religieuse. Mais ils n'ont pas cessé d'alimenter mon goût pour le recueillement, l'intériorité, et ma fascination pour les abîmes de l'absolu. Les territoires de spiritualité qui m'ont le plus attiré ont été les mystiques rhéno-flamands du XIV° siècle et l'école française du XVII°, siècle dont la langue est particulièrement admirable. Une des chances considérables de ma vie a été, en 1986, la rencontre avec Jérôme Millon et Jacques Prunair qui venaient de fonder la collection Atopia que je dirige actuellement. L'édition est un moyen privilégié pour faire partager mes goûts. C'est là une expérience dont je ne me lasse pas et qui pourrait survivre à mon propre silence si je cessais un jour d'écrire.

H.L. Vous semblez dire parfois - entre les lignes - la vanité de l'écriture, en dépit de ses bienfaits manifestes. Comme si, chaque jour, vous vous obligiez à l'écriture plutôt qu'à la contemplation. Pourquoi la page écrite plutôt que la page blanche?

C.L.-C. L'écriture n'a jamais été une fin, à mes yeux. Elle n'a jamais été pour moi l'occupation la plus importante de ma vie. L'épithète d'écrivain accolée à mon nom me paraît aujourd'hui encore un peu déplacée et farfelue. L'écriture, depuis le commencement, a été une affaire entre moi et moi, à l'abri, autant que possible, des puissances médiatiques. Elle s'est opérée sur le fond d'un manque, d'une absence, d'un défaut et d'une faillite. Plus jeune, plus optimiste, moins lucide, j'ai pu croire, un moment, qu'elle pouvait combler le vide, fût-ce en l'exprimant. Aujourd'hui, j'en suis bien revenu. L'écriture est une tâche à laquelle je suis rivé en raison d'obligations que j'ai prises - et par rapport à moi-même et par rapport à quelques autres. C'est un projet qui met en jeu le sens éthique de ma vie. Mais je n'y puise guère de satisfaction et très peu de plaisir. Simplement, lorsqu'il m'arrive de rester quelques jours sans écrire, j'ai mauvaise conscience, alors je me force à reprendre la plume. J'ai une mentalité de laboureur. Quand j'ai entrepris un sillon, je vais jusqu'au bout. Mais il est vrai que j'aimerais pouvoir m'arrêter, définitivement, à condition que cette suspension de l'activité soit un accomplissement. Cela ne pourrait être que si la Présence me remplissait - et alors je serais hors d'histoire et n'aurais plus aucune raison de raconter des histoires. Mais à dire vrai, je n'attends rien de tel. Écrire signifie être séparé. Jamais le texte ne tiendra lieu de ce qu'il cherche à dire et qui le fonde. Là-dessus, je suis sans illusion. Mais je ne suis pas pour autant porté au culte de la page blanche. Celle-ci ne m'a jamais fasciné. Une page blanche, c'est du papier qui peut servir à n'importe quoi. Elle n'exprime, en elle-même, aucune valeur particulière. Elle n'a jamais fonctionné comme un symbole dans mon esprit. J'aime les pages bien remplies, la prose abondante et forte. Ou alors, il faut tout arrêter. Il me semble parfois - parfois seulement - que cet acte décisif pourrait se produire si tout à coup, réellement, je pouvais me mettre à prier. La prière annulerait toute raison d'écrire. Elle remplirait cet espace et ce temps vacants que l'écriture a échoué à combler. Quelle délivrance, alors !

document 4 : Claude Louis-Combet, une dissertation de jeunesse

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Paru dans le Bulletin n° 3, janvier-février 1957, de l'Ecole pratique de psychologie et de pédagogie de l'Université de Lyon, ce texte est le premier signé par Claude (Louis-) Combet. Il est reproduit in extenso dans la Revue des Sciences Humaines n° 246. Université de Lille III avril-juin 1997.

document 5 : Régine Desforges, "Crazy Horse"

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Crazy Horse, une c hronique de Régine Deforges

" On imagine ce que Baudelaire eût écrit sur le strip-tease... "
Jean Duvignaud.

 [...]

Je revois la magnifique cambrure de Rita Renoir (qui, dans les années cinquante-soixante, aurait pu servir de modèle aux dessinateurs des couvertures des romans de Peter Cheney, James Hadley Chase ou Jean Bruce) au centre de la cage de bambou qui la retenait prisonnière. Rita Renoir - qu'on appelait " la tragédienne du strip-tease " et qui, devenue comédienne, fut l'interprète de Picasso, d'Obaldia, d'Euripide, d'Antonioni ou de Bourgeade - affirmait que " le strip-tease est un acte dramatique ". Mais c'était aussi pour elle un acte érotique : " Quand j'ai fait un bon strip-tease, quand ça a bien marché, il s'est passé quelque chose entre le public et moi et quelque chose de vrai, quelque chose qui existe... C'était une chose directement sexuelle entre les spectateurs et moi. " Beaucoup de danseuses éprouvent cette sensation, mais peu ont le tranquille courage de le dire. [...]

L'article en totalité dans l'Humanité du 23 mai 2001

document 6 : revue Prétexte, n° hors-série, entretien Jean-Christophe Millois et Claude Louis-Combet

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Source : Prétexte 4 et réed. Hors-série 8 - nous les remercions de ce travail en partage et amitié

Revue Prétexte : Depuis la parution de Infernaux Paluds en 1970, vous avez publié une trentaine d'ouvrages - des fictions, des poèmes, des essais, des traductions. Très tôt vous avez acquis la reconnaissance de vos pairs, dont certains ont vu en vous une des figures les plus importantes de la génération. Toutefois vous restez un écrivain peu connu, que la grande presse ignore singulièrement. Pensez-vous que la difficulté de vos thèmes soit un obstacle à la réception de votre oeuvre ?

Claude Louis-Combet : Il est vrai qu'il n'y a jamais eu de bousculade de presse autour de mes livres. En langage de statisticien, on peut noter un certain pic lors de la parution de Marinus et Marina (1979-1980). Et ensuite une occultation progressive. Pendant plus de dix ans, il n'y a, à peu de chose près, pas eu une ligne sur mon compte dans la grande presse. Toutefois, avec la publication de L'Age de Rose, celle-ci semble sortir de sa torpeur. France-Culture, par contre, m'a toujours manifesté de l'intérêt. Je suis tellement habitué à cette ignorance de la part de la critique que je n'en ai plus aucun souci. Un article de fond dans une page littéraire d'un grand quotidien me paraîtrait incongru. Je vois autour de moi monter les fusées des nouveaux-venus, dès le deuxième ou le troisième ouvrage. Spectacle bizarre, hors du temps dans lequel je me situe.. Ma position à l'écart de la scène me laisse entièrement libre d'écrire comme je l'entends. Je n'ai pas à me mesurer à des commentaires puisqu'il n'y en a pas. En persévérant dans l'entreprise d'écriture, je poursuis une aventure intérieure qui n'intéresse que moi et les quelques êtres intimement mêlés à ma vie. Il ne s'agit pas d'audience mais d'existence... Quant à la reconnaissance de mes pairs, que vous évoquez, c'est quelque chose d'assez nébuleux. J'ai eu très peu de relations avec des écrivains de ma génération et pour ainsi dire aucune avec ceux  des générations plus anciennes. Il faut dire que je n'ai jamais rien fait pour entrer en contact avec des hommes de lettres. Je n'en avais pas besoin. Je ne sais pas du tout ce que je représente dans la configuration littéraire actuelle. La reconnaissance, l'intérêt, la sympathie me viennent de plus en plus de jeunes et très jeunes auteurs. Mais je ne cherche pas à interpréter cette situation. Je dois dire aussi que l'Université s'intéresse à mon oeuvre. Un colloque m'a été consacré à Lille en 1995, et les Presses Universitaires du Septentrion ont publié le beau livre de José-Laure Durrande : L'OEuvre de chair. A Besançon, le centre Jacques Petit est en train de constituer un fonds de mes archives manuscrites. Je ne suis pas aussi inconnu que l'on pourrait croire.

R.P. : Dans L'Enfance du verbe, votre premier essai, vous analysez longuement les raisons pour lesquelles vous ne parvenez ni ne souhaitez avoir recours à l'autobiographie, genre auquel vous préférez l'hagiographie et la biographie. Pourtant, à la lecture de vos récits, on le sentiment de partager avec vous une expérience extrêmement intime qui vous appartient en propre. Ces récits, que vous nommez «mythobiographie» ou «vie imaginaire», ne sont-ils pas une manière oblique, et peut-être habile, de se confesser au lecteur ?

C. L-C :Quels que soient les genres que j'ai abordés, j'ai le sentiment que mon projet littéraire est resté essentiellement autobiographique. En fait, je n'ai jamais dépassé la question de l'origine de l'écriture, liée radicalement à un lointain passé de mon histoire personnelle. J'ai construit toute mon oeuvre sur le désir de parler de moi à un être qu'il m'était impossible d'atteindre et de rejoindre. Mais l'autobiographie narrative, événementielle, m'est apparue rapidement fastidieuse. Le moi me dégoûte et la réalité ne m'intéresse pas. J'ai donc cherché ailleurs, du côté des récits mythiques ou des biographies plus ou moins historiques ou légendaires, un champ d'expression, beaucoup plus vaste et riche que ma propre expérience vécue. Cependant cette expérience demeure, d'une façon insistante, et veut être signifiée et entendue. Il en résulte un projet que j'ai qualifié de mythobiographique où l'on voit le narrateur épouser la cause fantasmatique de ses personnages en leur injectant toute sa tension d'imaginaire. La biographie devient l'écran de projection d'une rêverie personnelle qui s'alimente elle-même à de multiples sources (mythologiques, oniriques, culturelles, esthétiques, spirituelles, mystiques).  

R.P. : L'impuissance de l'écriture à résoudre «l'ambiguïté de toute expression humaine» est une question qui traverse toute votre oeuvre. On peut évoquer ces lignes tirées de Blesse, ronce noire : «Et s'il (Trakl) avait commencé à écrire des poèmes, s'il s'était engagé avec exigence et persévérance dans la mise en forme de la beauté, par l'alliance, extraordinairement sensible et rigoureuse, du mot exposé et du sens inavoué, c'était seulement pour fixer la trace de son itinéraire de perdition /.../» (p. 87). Faut-il en conclure que l'écriture, telle que vous la concevez, est vouée à l'échec ?

C. L-C :Je suis de plus en plus porté à croire que l'écriture, pour ce que j'en sais et par la pratique que j'en ai, est nécessairement vouée à l'échec. L'écriture est, pour moi, l'aveu d'impuissance de la vie face à l'exigence impraticable du désir. Elle est un acte de renoncement. Elle tourne le dos à la vie, mais elle ne remplace pas la vie. Elle apporte, à la façon du rêve, une satisfaction hallucinatoire. Elle concrétise l'insondable faiblesse du créateur devant lui-même, devant ses appétits, sa brutalité, son irrationalité. Par rapport à cet échec fondamental, que l'on peut dire métaphysique, l'échec en matière de notoriété, de reconnaissance de caste, ne pèse d'aucun poids. Il n'y a même pas d'amertume.
 R.P. : Dans cet ordre d'idées, ne pensez-vous pas que l'échec, et partant la souffrance, la culpabilité, l'absence, sont des avatars séculaires de toute création artistique ?

C. L-C :Je n'ai aucun complexe - ni d'infériorité ni de supériorité - à me considérer à ma place dans la lignée des Romantiques. Ce que l'opinion des doctes peut en penser me laisse indifférent. Profondément, je me sens relié à une longue tradition de sensibilité esthétique et spirituelle pour laquelle, effectivement, souffrance, culpabilité, absence sont au fondement de la nécessité d'expression. Avec la prise de conscience apparaît l'urgence de la création comme fuite en avant dans l'imaginaire. C'est à peu près tout ce que l'écriture m'a appris.  

R.P. : Des mères, Mère des croyants, Miroir de Léda, Beatabeata, Le Roman de Mélusine : une bonne partie des titres de vos livres affichent votre attention particulière à la femme - la mère mais également la soeur - et aux obsessions dont elle est le siège. Les mâles, de fait, quand vous les faites vivre, en sont totalement tributaires, soit parce qu'ils sont fils, soit parce qu'ils sont frères. Il semble en outre que les grands absents de toutes ces fictions sont les pères...

C. L-C :Mon rapport à l'écriture est, depuis le début (vers douze ou treize ans), lié à mon rapport à la mère. Naturellement, il m'a fallu du temps pour m'en rendre compte. L'oeuvre s'adresse à la mère, évoque la mère, raconte des histoires de mère, s'efforce, par quelques tours de magie verbale, de se déployer dans l'épaisseur charnelle et psychique de la mère - ou plus rarement de ses avatars : la soeur, la jeune amante. Parler du féminin, parler au féminin, signifie, pour moi, que je suis, dans l'activité de création littéraire, dans l'état de la réceptivité la plus large à une parole inconsciente qui transmigre soudain dans la clarté du texte. De cette expérience, d'essence amoureuse, le père est nécessairement absent. Son absence autorise toutes les audaces.  

R.P. : Vous vous défendez d'être un théoricien, préférant préserver un rapport intuitif à l'écriture plutôt qu'intellectuel. Vos récits se ressentent de cette position, car là où l'on devine une pensée et une culture très poussées, il n'y a jamais véritablement ni discours ni thèse qui pourraient énoncer fermement votre appréhension de la littérature. Cela dit, vous avez publié de nombreux livres sur votre expérience d'écrivain (et sur celle des autres) ; vous êtes en outre l'inventeur d'un genre, la mythobiographie, dont vous justifiez pleinement l'usage (v. Écrire de langue morte). Ces essais, et partant les interrogations et les positions qu'ils mettent à jour, ne trahissent-ils pas, au fond, une tentation de conceptualiser votre propre pratique ?

C. L-C :Je ne suis pas un théoricien - en aucun domaine. Les quelques essais que j'ai produits (L'Enfance du verbe, Écrire de langue morte, Ouverture du cri, Le Péché d'écriture, Miroirs du texte) procèdent essentiellement d'une interrogation sur le sens de ma démarche de créateur de fictions. Ces textes ont eu, pour moi, au moment où je les écrivais, valeur d'examen de conscience, au sens où on l'entendait autrefois dans la formation spirituelle chrétienne. Au terme de quelques récits ou romans, j'en venais à m'interroger sur ma démarche, sur son origine, sur sa signification par rapport à mon expérience de la vie. L'effort d'analyse et de théorisation, pour lesquelles je n'ai aucun goût ni aucun don, n'a jamais eu d'autre visée qu'une certaine clarification dans mon travail d'expression. La théorie de la littérature ne m'a jamais intéressé. Le terme de mythobiographie n'a aucune valeur de manifeste. Il s'est imposé lorsque j'ai cherché un mot pour désigner, en ce qu'il avait de spécifique, mon projet d'écriture de fiction. Il s'agit d'une conceptualisation minimale mais cependant nécessaire, pour moi tout au moins. Mais je ne me considère pas comme l'inventeur d'un genre. Huysmans avec Là-bas, Barrès  avec La Colline inspirée avaient ouvert la voie depuis longtemps.

R.P. :  Vos textes exhument, si l'on peut s'exprimer ainsi, des obsessions, des croyances, des frayeurs, que chaque être refoule. Vous exhortez le lecteur à fouiller, en même temps que vous-même, son propre mal aux racines de son existence en ayant recours à des mythes, à des personnages obscurs ou à des faits occultés que les livres mentionnent à peine. Vous évoquez souvent la contemplation et le repli comme moyens d'accorder le «moi avec ses sources les plus sûres». Or ce repli s'accompagne inévitablement d'un désengagement à la fois à l'égard de l'Histoire et des problèmes contemporains, c'est-à-dire des problèmes politiques, sociaux, idéologiques... Vous sentez-vous concerné par votre époque ?

C. L-C :Il y a dans ma vie comme, je le pense, en toute existence humaine, une dimension plus ou moins diurne et une dimension plus ou moins nocturne. Chez moi, le clivage est assez radical et l'écriture procède entièrement de l'ombre, du subconscient, de l'intemporel, du mythe et du rêve. Cela ne signifie pas que, par ailleurs, je sois absent au monde et à l'histoire présente. Simplement, le monde réel et l'histoire actuelle ne m'intéressent pas en tant que matière d'écriture. Lorsque j'écris, j'écris comme si le monde extérieur n'existait pas. Moins le monde existe, plus il y a de chances que l'écriture surgisse. Mais cela ne m'occupe pas plus de deux heures par jour. Le reste du temps, je suis très attentif aux réalité du monde - politique, économique, social. Je me sens très concerné par mon époque. Mais la vision que j'en ai confirme mon pessimisme face à l'avenir. Je pense qu'il n'y a pas de salut. Il y a place pour des gestes privés. Mais je ne crois pas à des solutions collectives. Nous allons vers davantage de souffrance et vers une humanité de plus en plus incapable de donner un sens à la souffrance.

R.P. :  Quand vous considérez votre parcours depuis votre premier texte jusqu'à aujourd'hui, avez-vous le sentiment que votre oeuvre a évolué, et que votre situation d'écrivain face à la page a changé ?

C. L-C :Si je m'efforce de prendre du recul par rapport à mon oeuvre et de la placer en perspective, je distingue deux moments. L'un commence et s'achève avec Infernaux Paluds (1970) que j'ai écrit au long de dix années. L'autre commence avec Miroir de Léda (1971) et se poursuit sans rupture jusqu'à l'heure actuelle. Il y a eu un temps consacré à une tentative autobiographique plutôt narrative et réaliste et, d'un seul coup, l'inauguration d'un autre temps voué à la mise en forme d'une matière mythique, onirique, légendaire ou hagiographique. Je ne distingue pas, dans ce parcours, un progrès linéaire, une succession de thèmes, un changement de style. Il s'agit plutôt de l'approfondissement et de l'amplification de quelques fantasmes fondateurs. On trouvera dans mon oeuvre des récurrences obstinées. On y trouvera aussi, me semble-t-il, des situations ou des mises en formes diversifiées. J'ai le sentiment profond d'écrire dans la continuité, dans la durée, dans la fidélité. Il ne peut en être autrement. L'oeuvre est l'expression de la vie en son secret.  

R.P. : Vous êtes également directeur de la collection Atopia pour les éditions Jérôme Millon. Pouvez-vous nous parler de cette activité ?

C. L-C :Le hasard d'une rencontre a fait que je me suis trouvé associé au développement de la collection Atopia dès sa naissance, en 1986. Le projet vise à la réédition réactualisée de textes qui s'inscrivent dans les marges et les oubliettes de la littérature spirituelle d'inspiration chrétienne, avec une prédilection sensible pour le XVIIème siècle. Objectivement, mon travail consiste à rechercher des textes rares qui n'ont pas été réédités depuis longtemps ou qui sont même inédits. Il me faut aussi chercher des préfaciers - spécialistes ou, comme moi, simples amateurs éclairés. Le programme est inépuisable. Une masse de textes attend l'heure propice, dans l'obscurité des bibliothèques. Mais les conditions de publication sont difficiles. Il nous faut trouver une clientèle d'esprits curieux, sensibles à la littérature spirituelle mais dégagés des credos contraignants. Quant à moi, je considère que ce travail d'éditeur fait partie intégrante de mon oeuvre. Les auteurs auxquels je me suis attelé - Louise du Néant, Marguerite Porete, L'abbé Boileau, Étienne Binet, Jean Pierquin - sont autant des créatures de mon imagination que des personnages de l'histoire. Profondément, la lecture des auteurs spirituels ou mystiques chrétiens prend un sens par rapport à l'expérience religieuse de ma jeunesse que je n'ai jamais fini d'interroger.  

R.P. : Comment, enfin, considérez-vous la situation de la littérature contemporaine ?

C. L-C : Je n'ai aucune vue d'ensemble de la littérature contemporaine. Il y a profusion de textes dans toutes les directions de la pensée, de la sensibilité, du style. Cela ressemble à la fameuse description de la bataille de Waterloo par Stendhal. On voit passer des hommes à pied, d'autres à cheval, on ne sait d'où ils viennent ni où ils vont. Les célébrations, les consécrations, les coups de pub, tout cela est éphémère. Comme le temps est mesuré et la lecture sérieuse, il faut s'ingénier à découvrir les textes dont on a besoin. Ils ne vont pas forcément dans le sens de ce que l'on écrit soi-même. L'important est que l'exigence d'expression (qui donne qualité à l'écriture) soit fondée dans l'existence, en ce que celle-ci présente de singulier, d'irremplaçable. Dans l'avalanche des ouvrages qui accablent les librairies, le lecteur lui-même écrivain cherche sa proie dans les coins secrets, non à l'étal, mais dans les rayons oubliés. Le meilleur de la littérature contemporaine est entre les mains des petits éditeurs. En dehors des rééditions des classiques ou des auteurs de leur propre fonds, les grandes maisons d'édition n'ont à peu près rien à offrir. Le paysage littéraire est confus et incertain mais l'instinct de proie, éduqué par la pratique de l'écriture, est infaillible, en tout cas pour le besoin que l'on a. C'est lui seul qui découvre le poète ou le romancier ou le philosophe ou l'historien, devenu brusquement et impérativement nécessaire. Pour moi, les grandes lignes du paysage littéraire se dessinent dans le tracé d'un certain  paysage intérieur d'interrogations, de sentiments et d'émotions. Je n'ambitionne pas du tout d'accéder à une vision perspective des courants d'expression de la sensibilité moderne ou contemporaine. D'énormes pans de culture me font défaut. Mais j'en ai d'autres.

Propos recueillis par Jean-Christophe Millois.

document 7 : Claude Margat , à propos de "Blesse, ronce noire"

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Les livres auxquels on s'attache tout particulièrement sont souvent ceux dont l'énigme clairement formulée demeure jusqu'à la fin entière. Ils ressemblent à la vie dont on use et abuse sans jamais en percer le mystère, ils fixent dans leur page le flamboiement d'une passion. Il n'est pas à la mode que cette passion s'exprime avec pudeur et moins encore qu'avec un aplomb tranquille, un auteur s'applique par de courts essais à en explorer la zone obscure. Claude Louis-Combet ne s'est jamais beaucoup soucié des modes. Il en a donc évité les turbulences et ajoute avec son dernier livre une pièce supplémentaire à une –uvre abondante dont l'unité aujourd'hui flagrante fait de lui un auteur phare de sa génération. Avec Blesse, Ronce noire, Claude Louis-Combet signe un nouveau roman biographique assez bref dont le thème est l'amour incestueux que vécut le grand poète allemand Georg Trakl avec sa s–ur. Après maints détours exigés par une quête dont le projet dépasse le seul objet littéraire, Claude Louis-Combet revient à la source même de la longue méditation mystique dont il ne s'est jamais écarté. Le transfert « en écriture » de l'impossible androgynat illumine ici une conscience charnelle dont l'extension avait antérieurement produit le très beau Mémoire de bouche publié en 1977 à la Différence. Mais alors que dans ce précédent livre la fusion mystique semblait atteinte par immersion de la conscience dans le tout féminin et rendre à l'oubli la tragédie de l'unité rompue, Blesse, Ronce noire en réinstaure le drame. L'approche, par le souffle, du mal d'écriture aboutit donc dans la vision de ce roman. Sans doute ne rejoint-on jamais mieux autrui qu'en écrivant selon son c–ur, dans le recueillement de sa propre intimité dévoilée. Une prose dont les lecteurs du prochain siècle ne pourront faire l'économie.

© Claude Margat | République Internationale des Lettres numéro 13, Mars 1995