La poésie,
pour apprendre à vivre |
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21- Maria Zambrano, la parole délivrée du langage
Les aphorismes proposés au lecteur résultent d'un choix dans l'ĝuvre par Gonzalo Florés et non d'un projet délibéré. Toutefois la forme de pensée et d'écriture de Maria Zambrano (élève d'Ortega y Gasset, amie de Machado) s'y prête particulièrement, et pourra nous inviter, à l'instar de son ami Edison Simons à « léviter » : "Il est rare
de rencontrer en cette vie un guide spirituel, tel que le fut Miguel de
Molinos pour Christine de Suède. L'édition établie par Gonzalo Flores n'est pas répartie en chapitres ni en thèmes, néanmoins la structuration est sous-jacente et organise un parcours de lecture tel qu'approcher ce que Maria Zambrano appelle « raison poétique » soit perceptible et constitue un lien précieux voire un maillon indispensable pour aborder les livres qui ont précédé ²je pense surtout à de l'Aurore , ce livre proprement inouï², mais aussi Clairières du Bois, Sentiers, Délire et Destin et ceux qui nous sont annoncés chez Corti : Les rêves et le Temps, Poésie et philosophie (traduction Jacques Ancet). Tandis que paraissent les premiers tomes de Dernier royaume, il est tentant de relever cet aphorisme : "Quelques poètes lucides (...) ont su que la nostalgie qui les dévore non seulement se rapportait à l'enfance, mais à un temps antérieur à tout temps déterminable. Et ils savent que leur passion de la parole a pour but de lui rendre son innocence perdue grâce à laquelle la leur serait retrouvée; en vérité atteinte." (127) ce qui nous permet de nous rapporter à celui-ci : "La prouesse de la philosophie grecque fut de découvrir et de présenter comme sien cet abîme de l'être situé au-delà de tout être possible, ce qui est la plus poétique des réalités, la source de toute poésie." (19) et dans celui-là, repérer une manière d'être : "Si nous comparons les techniques d'annulation des puissances psychiques qu'expose Saint Jean dans l'ascension au Mont Carmel, à la réduction des passions que déclare Spinoza dans le livre IV de son Ethique, nous verrons le même processus et le même dessein : convertir l'âme en cristal de roche." (Jean de la Croix sera de plus en plus présent dans l'ĝuvre de Maria Zambrano : cf la finale du discours de réception du prix Cervantès, ou encore dans "Sentiers": De la nuit obscure à la plus claire mystique). Nous ne pouvons que souhaiter au lecteur que ces apophtegmes auront saisi, emporté, de rejoindre les "bienaventurados" évoqués à la fin de la conférence de Massimo Cacciari: "Ceux-ci ne sont pas les «bienheureux» ascètes de l'extase; ils ne sont pas étrangers aux passions de l'âme, ils n'oublient pas la nécessité de l'agir. Simplement, ils sentent avec une force originelle ces passions, ils agissent véritablement par nécessité, ils correspondent immédiatement à la «voz abismatica» qui les réclame." Pour en donner image, c'est avec ces réflexions de la philosophe sur la Tempesta de Giorgione (p129) que nous conclurons:
La Tempête de Giorgione est, simplement, la nature qui se laisse voir sans que cela lui importe, comme il n'importe pas à l'étoile que quelqu'un la regarde, tout comme il n'importe pas au fleuve, à l'eau, au feu, si quelqu'un va se brûler ou s'approche, peu importe. Tout cela paraît d'une grande sérénité et, en même temps, d'une immense indifférence. L'énigme principale du
tableau (La Tempête de Giorgione) est la suivante: un événement
qui ne survient ou ne menace pas, un feu qui ne dévore pas, une
pluie qui ne mouille pas, un éclair qui ne va pas tomber et, s'il
tombe, c'est comme s'il ne tombait pas. (129). |
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