De ce " poème de la folie " daté en réalité
du 30 janvier 1843, Nicolas Waquet nous dit qu'Hölderlin y esquisse
en quelque sorte l'essence de La Grèce.
Cette traduction et ce commentaire dans Poésie 2004, n°
100/mars 2004, Hölderlin, actuel/inactuel, rédacteur invité
Jean-Yves Masson.
Laurent Margantin en a donné une recension essentielle : Hölderlin
vu de France, sur Acta
Fabula. Ce numéro fera date assurément par la qualité
des contributions et son sommaire
est parlant. Parmi bien d'autres mais préférentiellement,
l'article de Jean-Yves Masson : La fête de la vie (pourquoi lire
Hölderlin ?) a plus particulièrement retenu mon attention
par son étude attentive des différentes versions (et traductions)
de l'élégie Brot und Wein (Pain et vin), laquelle
contient la fameuse question " Wozu Dichter in dürftiger
Zeit? " "A quoi bon des poètes en temps de manque?",
qui suscita il y a quelques 25 ans une belle enquête sous l'égide
de Jean-Christophe Bailly et Philippe Alexis Baatsch, au Soleil noir,
et dont la relecture est toujours intéressante (dont une très
laconique réponse de Beckett).
Pourquoi lire Hölderlin, à quoi bon des poètes ?
Ce numéro de 160 pages y répond amplement, le " défaut
de communauté " dont Jean-Yves Masson crédite Hölderlin
d'être l'un des premiers à en avoir eu conscience consonne
tout particulièrement avec la préoccupation de philosophes
contemporains pour lesquels la réflexion sur la poésie
n'est pas étrangère (Jacques
Derrida, Jean-Luc
Nancy) et l'on citera la conclusion de de l'étude de l'auteur
des Poèmes
du festin céleste :
Partout chez Hölderlin surgit l'image pindarique de la coupe
d'or emplie de vin céleste qui circule d'âge en âge,
cette coupe de la communion qui symbolise par sa circularité
la communauté des hommes réunis autour du poète.
De cette " fête de la vie " que devrait être
la poésie, Hölderlin a eu la nostalgie, et il a pressenti
aussi que s'ouvrait un âge où elle serait plus que jamais
mise en doute. Et c'est en quoi Hölderlin nous concerne encore.
Car à l'autre bout du siècle, dans le Toast funèbre
écrit à la mémoire du poète de "
l'art pour l'art ", Théophile Gautier, Mallarmé
ne trouve à élever devant la tombe où repose
la totalité de ce qui reste du défunt, qu'une "
coupe vide où tremble un monstre d'or ", et ne peut qu'affirmer
l'orgueilleuse supériorité du poète qui a renoncé
à toute croyance : supériorité sur la "
foule hagarde ", bernée par les mensonges de la religion.
Le poète, pour Mallarmé, est un Maître: pour Hölderlin,
il est un serviteur. Ce n'est pas Hölderlin qui parlerait des
" mots de la tribu ", lui qui veut que les poètes
soient " Dichter des Volkes ", poètes du peuple,
parlant la langue de tous ; et si en effet il rêve de l'élever
jusqu'au plus pur, c'est parce que cette pureté est présente
dans n'importe quel acte humain, dans n'importe quel geste accompli
avec intégrité, c'est-à-dire intégralement.
Et c'est aussi, bien sûr, que sa pensée est tout autre
sur le rapport entre l'homme et le divin. Certains diront qu'il est
d'avant Mallarmé parce qu'il n'a pas eu cette révélation
du Néant qui est au coeur de la poésie de Mallarmé.
Il est possible de penser aussi que Hölderlin anticipe de très
loin sur l'avenir de la poésie. C'est du moins le pari que
je prends: non pour dire que ce qui a eu lieu depuis que son oeuvre
s'est interrompue serait inessentiel, mais parce que je trouve chez
lui d'avance une justification d'une poésie qui sait que le
dieu manque, mais que ce manque peut se changer en " aide ",
comme le dit la dernière version du dernier vers du poème
Dichterberuf,
aussi longtemps que nous demeurerons " en temps de manque ",
en temps de pauvreté et d'ombre, sans les dieux - puisque ceux-ci,
par leur retrait, nous ménagent. (cf. "
Un jour, les dieux se retirent" Jean-Luc Nancy)
Deux des contributeurs du numéro 100 de Poésie 2004,
Nicolas Waquet : La fascination du pur, Michèle Desbordes,
Il parlait du jour par-dessus les nuages, sont publiés
en cette rentrée chez Laurence
Teper, , le premier pour une anthologie " Poèmes
fluviaux ", la seconde pour Dans le temps qu'il marchait
, poème réuni avec celui publié dans la revue.
Nicolas Waquet, né en 78, poète et traducteur de l'allemand,
prépare une thèse sur les rapports entre poésie
et spiritualité. On ne s'étonnera pas qu'il ouvre ces
" poèmes fluviaux " par une " scène primitive
" où la prière du jeune Hölderlin dans le poème
" Les miens " réfléchit la pureté du
grand fleuve, le Rhin : " Innocent, pur était ce que
disaient nos curs d'enfant ".
Dans sa substantielle postface , à laquelle s'ajoutent de précieuses
notes, Nicolas Waquet, indique à quel point d'emblée le
fleuve suscite chez le poète une véritable construction
spirituelle : ainsi pour le Danube, dont le flot emplit, jusqu'aux ombres
glacées, la maison d'enthousiasme, tandis que dans La migration
Sous l'attouchement léger de la lumière,
Le sommet enneigé déverse sur la terre
La plus pure des eaux
Ainsi le traducteur s'inspirant de Hans
Urs von Balthasar, traduira le récurrent " herrlich
" par glorieux, faisant du sacré " une effraction sublime
". Religieux, qui s'exprime dans l'hymne " Germanie "
Evoque la trois fois,
Ineffable pourtant, telle qu'elle est maintenant,
Innocente elle doit rester.
Dans sa très belle conclusion, le traducteur nous suggère
(ce que fait aussi sa traduction) : " Mais ces fleuves, qui
supportent les métaphores de la palingénésie, de
la force créatrice du génie artistique, qui dans leurs
cours, suivent le mouvement culturel de la translation artium, ces grands
fleuves philosophiques ne renverraient-ils pas au fond à un fleuve
intime, intérieur ? "
Oui, la figure du fleuve, fleuve réel et fleuve rêvé-
irrigue l'ensemble de la poésie hölderlinienne : le rassemblement
de ces poèmes " fluviaux " ne pourra qu'en convaincre.
On connaît Michèle
Desbordes auteur de romans remarqués : le récent La
robe bleue ,récit de l'attente de Paul Claudel par sa sur
Camille, internée, peut-être a-t-on lu L'Habituée.
Ou encore
Le commandement, une sombre litanie confiait Jean-Claude
Lebrun, lui qui disait à propos de La
demande, que Michèle Desbordes atteignait ici à la
pure beauté, avec un art exaltant l'humain mais ce n'est pas
la "
fascination pour l'élément liquide " mais plutôt
la marche, le " Lent retour " d'Hölderlin à Nürtingen,
avec la répétition des jours, la solitude, le silence.
Dans le temps qu'il marchait qui donne son titre au recueil précède
un court texte, Il parlait du jour par-dessus les nuages sorte
de portrait du poète :
Bien des fois il parla du feu du ciel et du silence des hommes.
De ce que, disait-il, c'était qu'écrire. Il disait qu'il
n'était rien encore et que peut-être il ne serait jamais
rien. Il parlait de rêve et de ferveur, de cet emportement qui
le prenait par quoi il en venait à oublier le monde, au plus
froid des sommeils il disait qu'il rêvait encore.
L'écriture de Michèle Desbordes, toute en imparfaits,
en ellipses, en pudeur, donne ici par exemple un surprenant portrait
de mère :
Elle était petite et sèche, et de moeurs austères,
depuis toujours accoutumée au peu de choses qu'il fallait pour
demeurer ici-bas. D'elle il disait qu'elle avait conclu un pacte avec
la douleur.
Parfois elle lui demandait s'il l'aimait.
Nul ne sut jamais ce qu'elle pensa des poèmes qu'il écrivit.
Ni ce que dans la petite maison froide du Neckar, elle connut ou imagina
de la vie qu'il menait. Car on le sait elle l'imagina, et plus d'une
fois ressentit l'inquiétude et la réprobation. L'âcre
et entêtante volonté des mères.
Avec la même sobriété sera dite la mort du poète
:
Le lendemain dit-on fut un jour de soleil et de ciel bleu, avec
dans le bas du ciel, la brume très douce qu'on voit aux matins
de juin, comme plus tard encore, quand on le porta au cimetière
de Tübingen, sous un laurier qu'il y avait près d'une grille.
Le second poème évoque le retour de Hölderlin en
Allemagne, sa longue marche depuis Bordeaux, alors que précepteur
des enfants du consul de Hambourg, il a appris la mort de Suzette Gontard.
" En peu de temps beaucoup de choses ont pris fin "
écrivit-il.
Poème de l'attente, de la marche, des détours de l'errance,
avec ses reprises, de souffrance, tout comme si l'on marchait dans la
tête du poète :
Et qu'il ne l'avait jamais revue malgré la hâte la
Marche sans fin malgré les nuits passées
A marcher
De celle qu'il n'avait jamais revue :
Et lui quand elle le regardait il l'aimait il
L'aimait Dans ses robes de tulle noir De calicot bleu comme
Ses yeux Quand elle regardait il tremblait (Et restait-il un lieu
une nuit pour dire pour forcer le ciel la forêt ? [
]
On saura gré à l'éditrice d'avoir réuni
ces deux poèmes, le second éclairant de tout son bleu
si bien le premier , qui commence ainsi : Il disait combien il avait
le goût du voyage, mais le plus loin qu'il alla fut aux frontières
de Bohême, et en France, à Bordeaux, d'où l'on sait
qu'il revint dans un grand désarroi.
La destinée du poète avait aussi beaucoup frappé
Heather Dohollau qui
avait rassemblé ses amis à l'enseigne de ce beau poème
traduit par Jouve, lors du colloque
de 1996:
Les lignes de la vie sont aussi différentes
Que les chemins, ou que les confins des montagnes.
Ce que nous sommes, Dieu pourra le compléter
Là-bas par l'harmonie, l'éternel et la paix.
Paix que donne si bien son Hölderlin
à la tour.