"Lumières du nord" est le titre d'une suite de poèmes paraissant dans Pages aquarellées en 1989. Voici le deuxième des sept poèmes dont se compose cette suite:

Voici, rassemblés, quelques mots pour chanter la calme beauté d'une nuit d'été qui invite à dîner dehors sur une terrasse. "Strophe pour une agapê", dirait Denise Le Dantec: agapê: repas et amour. Poème qui plonge dans la divinité, la magie d'un temps à la fois suspendu, illimité parce que divinisé en quelque sorte, l'humain se transmuant en ce sacré vite oublié, qu'on croit inhabitable, les dieux venant, revenant jouer nos vieux rôles oubliés, déconsidérés, et poème pourtant pris dans l'expérience de l'éphémère, d'une fragilité mortelle qui, cependant, ne menace jamais, temps et lieu qui sauvent, où tout ‹ fleurs, dieux, jour, papillons ‹ garde et protège, illumine et pacifie. Le réel, ainsi, loin de se déréaliser comme chez un Moreau ou un Redon, ou, de manière plus surréaliste, chez un Ernst ou un Magritte, retrouve sa dimension intrinsèquement merveilleuse, souriante, surnaturelle (comme dirait Lyall Watson), naturellement extraordinaire: les fleurs et les papillons qui s'y abreuvent, cette lumière du soleil couchant qui est à la fois ce qu'elle est et un miel qui s'offre, cette porte qui devient tableau, micromonde enchanteur, "inexpecté" comme disait Verlaine de son propre symbolisme ‹ tous les phénomènes vécus de ce moment si fugitif, si sublimement effaçable, baignent dans cette paix qui est aussi bonheur ‹ mais pas le "bonr" ironique du Rimbaud d'Une Saison en enfer ‹ bonheur et pénétration, mieux amour, des "choses du simple" ‹ mais loin de toute intellectualisation, toute conceptualisation. Dohollau choisit de ne pas s'écarter de l'expérience de cette banalité qui reste notre seule et si grande richesse. Le minimum, ainsi, fascine; ce que Michel Deguy appelle, dans son beau poème de ce même titre, "l'insignifiant", obsède et séduit; les humbles "traces" de notre passage ‹ quelques verres qui traînent, quelque vêtements abandonnés sans le savoir au moment de quitter la table, paraît-il ‹ de telles traces font l'objet d'une méditation éclair, prises, serties, dans la conscience de la poète comme des pierres précieuses mais divinement ordinaires. Tout, ici, est récupération contemplative et glorification discrète de ce qui est, comme il est, étreinte de l'innocence exquise de ce qui est, de ce mystère de notre "occupation des sols" (comme écrit Echenoz), de ce mystère des infinis réseaux relationnels de ce qu'on appelle l'être, le temps, l'espace.