Le dernier des sept poèmes que j'aimerais vous lire est le texte liminal, sans titre, de la sixième suite de La Terre âgée, "Un temps de Velléda":
Si ce poème n'a pas de titre, comme les six autres qui, en quelque sorte, le complètent, l'ensemble des poèmes en a un: "Un temps de Velléda". Velléda, s'agit-il de cette prophétesse germaine qui, au temps de Vespasien, prédit la victoire de Civilis et des Bataves révoltés contre l'empire romain en 69, et qui, après avoir été trahie par les siens, figure dans le triomphe de Domitien? Ou Velléda, serait-elle ce personnage des Martyrs de Chateaubriand, cette druidesse infidèle à ses vÒux de chasteté qui finit par se suicider, emblème par excellence de la passion malheureuse?

Le poème, effectivement ‹ et en cela il ressemble a tous ceux qui suivront ‹ paraît vouloir prendre ses distances par rapport à toutes ces références historiques ou littéraires, d'autres même que je n'arrive pas à cerner. Il fuit toute tendance allusive ou emblématique et cherche à s'installer dans la plus simple des optiques descriptives et méditatives. Voici, ainsi, le poème de la transparence aveuglante de ce qui est là ‹ une simple route ‹, sa paradoxale quasi-imperceptibilité, son innocence dans l'espace et le temps, sa persistance malgré le temps, sa fidélité, ce geste qui consiste à s'offrir comme "lieu de regard", d'ouverture, comme signe de ce qui est possible, des formes possibles de l'être. Tout, d'ailleurs, est paix, acceptation, accueil du simple, qualités se reflétant dans cette structure prosodique et strophique si peu prétentieuse, si peu criarde, si peu préoccupée de ses propres prestiges esthétiques. Le poème comme un simple cheminement, une simple progression sur cette route-ci de l'être dans la discrète flagrance de son déploiement, de sa spécificité révélée mais si facilement oubliée ‹ ses mouvements qui penchent et remontent, ses ornières, ses juxtapositions (forme, barrière, pré). Puis, tout d'un coup, le poème du banal, de l'insignifiant s'ouvre sur la fraîcheur, la beauté de l'ordinaire, d'un paysage vécu comme temps et lieu d'émerveillement, d'intensité inattendue mais qui attend et qui redynamise l'acte de voir le visible, d'être avec le visible, et ceci d'une façon radicale. Car ici le voir, et l'être, puisent dans les ressources d'un invisible, d'un indicible pourtant là, s'offrant comme preuve à la fois de ce qu'il est (l'absent de tous prés?) et de ce qu'il soulève et porte (ce pré si vert)... Règne cependant une discrétion, une réserve qui fuit toute intellection trop méticuleuse, trop fastidieusement contraignante. Mais, simultanément et paradoxalement, cette même discrétion encourage la méditation, pousse à éprouver, soupeser la légèreté qu'elle génère, à vivre non pas une dérive de la pensée mais ce flottement du sens obscur des choses qui sont.