Les lecteurs feront connaissance avec la "manière d'ailes " d'Heather Dohollau dans deux de ses articles ci-après. Que Michaël Bishop trouve ici toute notre gratitude.
"De Seule Enfance à Matière de lumière"
Après son essai sur Segalen et une étude sur Rilke (1974-5) paraît le premier recueil de poésie d'Heather Dohollau : Seule Enfance (78). C'est un livre d'une simplicité et d'une profondeur exquises. Ses préoccupations sont nombreuses mais toutes visent l'essentiel: la réalité et le temps, le visible et l'invisible; l'équilibre entre l'ici et l'ailleurs, l'amour et la finitude; l'énigme et la simplicité d'être; la présence des anges et le "poids" du néant. Se présente ici une voix poétique "dans un lieu de rien pour la poursuite de tout". Alors que nous sommes condamnés à passer, notre passage est plénitude: "Trouvant dans le vide immense/les lieux fidèles/d'un paradis jamais perdu".
La Venelle des portes (1980), avec un beau frontispice, comme ses deux livres suivants, de Tanguy Dohollau, nous plonge à nouveau, avec peut-être une intensité plus grande bien qu'avec la même sérénité, dans l'exploration des profondeurs infinies de notre être fini. L'écriture est riche au point de vue spirituel, tranquillement pénétrante et allant à l'essentiel, remplie avec un sens de la simplicité en aucune manière réducteur. A nouveau, ce dont elle traite est multiple: les liens de la terre et de l'âme, la signification que tout peut prendre pour notre intériorité; ce qui dure à l'intérieur de ce qui passe; la reconnaissance de la grâce d'un instant; au centre: l'amour. Dans cette perspective, l'esprit et la matière deviennent réciproquement fidèles, acquièrent pertinence l'un à l'égard de l'autre; l'imaginaire apporte vie, fécondité, germination. "Vivre, c'est fermer les yeux" peut-on nous dire; et bien que le ton ne soit jamais didactique, il témoigne constamment de l'urgence: "Pourquoi ne faisons-nous pas/le plus important,?/Pour garder l'impossible intact". Bien que nous soyons déjà en paradis, il nous faut nous souvenir de tout.
Après la Réponse, une méditation fine et délicatement respectueuse sur les dernières heures de Jules Lequier, dans laquelle de si nombreux facteurs cruciaux de l'existence sont (re)vécus et pesés, Heather Dohollau a publié Matière de lumière.
Ce volume traite des mystères simples de l'opacité et de la lumière, de la matière et de l'âme, la musique et le néant, la mort et la naissance, le déclin et le renouveau, de la présence et de l'absence.
Les équations tirées ne sont pas banales, elles sont offertes avec une rare humilité, sans prétention, et une utilisation claire et non abusive d'une puissance poétique révélée.
La poésie pour Heather Dohollau, c'est aussi un abri sommaire, un lieu où l'on rassemble et l'on retient, près de la disparition et de la mort, et cependant c'est un chemin de lumière fragile et d'ombre vacillante (cf. Torcello). L'amour cherché est au-delà de toutes apparences, limitations, impuissance, juste comme la réalité est un baptême continuel de ce qu'il semble ne pas être, du divin. Nous sommes les hiéroglyphes de la profondeur/dans la profondeur même, plaide le poète. Tandis que, alors, la nomination contient toujours un élément de leurre, la perte est en un sens impossible. La voix poétique d'Heather Dohollau vient d'avoir "écouté l'Éternel parler de ses arbres". "Comment perdre... est un poème sans titre, qui aurait pu être pris presque au hasard dans Matière de lumière:
Michaël Bishop Dalhousie University
(Studies in Twentieth Century Literature, Vol 13, N° 1, hiver 1989)
traduction Ronald KLAPKA