Station to station

Curieuse de cette petite maison, étrange survivance devant le millénaire

Mon exploration cycliste du canal devait logiquement déboucher par une flânerie àpied. Je me suis programmée, toute seule comme une grande, ma dérive au fil de l’eau. Les mânes de Guy Debord me le pardonnent, dérive est peut-être un mot prétentieux pour le suivi sans risque d’égarement d’une voie déjàconnue. Mais choisir la marche plutôt que le vélo, c’est s’autoriser des pauses, des détours, des divagations. Sous le soleil radieux du 4 octobre, j’ai donc marché, jusqu’au parvis de la basilique de St-Denis, où la ville fêtait ses associations.

À pied, les gens vous saluent. Aimablement, d’un « Â le soleil vous va bien, pour trois passants àla ligne  » près du pont de Flandres, sur cette portion parisienne qui fait face àl’urbanisme conquérant – et banquier– des nouveaux quartiers bordant la ligne de tram entre la porte de la Villette et celle de la Chapelle. C’est la rare portion de l’autre rive offrant des aménagements au promeneur fatigué ou au contemplatif.

Je croise un homme déjàaperçu en vélo, coiffure rasta sur visage marqué, qui hante (quotidiennement) cette portion de la rive. Regards de reconnaissance. Un jour, peut-être j’oserai l’aborder.

Frontière passée, après la jolie maison de l’écluse n°2, du quai de l’Allier au quai Gambetta. Je suis àAubervilliers, et un peu larguée : bordant deux zones où la piste du canal s’est muée en vieux pavés irréguliers et rails désaffectés, je côtoie des usines ? Entrepôts ? qui ne m’offrant que leur dos restent anonymes. Embardée, par la rue de la Commune de Paris devenue, du canal au boulevard Félix Faure, un étroit sentier coincé entre des palissades métalliques et des façades sans fenêtres. Boulevard Félix Faure, je découvre les façades des entreprises que j’ai longées : un entrepôt chinois de matériaux et une fabrique de lingerie, Valège, qui possède un magasin non loin de chez moi, avenue de Flandres.

Retour sur le canal. L’industrie de la fringue, pourtant réputée en déshérence en France, aurait-elle tout envahi ? Les enseignes que j’aperçois, rive gauche, annoncent toutes de la confection ou des produit de maquillage. Face àmoi, Aubervilliers, non loin du nouveau métro Front populaire est une suite de chantiers : floraison de nouveaux immeubles, parfois (encore) ponctués d’une survivance incongrue de façades délabrées. Me viennent àl’esprit les propos d’une amie, pilier de longue date de la vie sociale et culturelle albertovilarienne : « Â la précédente municipalité avait livré la ville aux promoteurs  ». La production de béton, m’apprend les balises d’informations balisant le parcours, est une tradition locale : en témoigne l’alignement de bétonnières pimpantes sur l’autre rive, comme ces tas de sable, où l’on pourrait si aisément dissimuler...quoi ?

Dans le sens Paris St-Denis, l’ écluse n° 3 est indiquée inaccessible. Do not trespass, danger. En fait, de l’autre côté, son portail (aux grilles hérissées d’étranges tulipes) est ouvert. Je pourrais même descendre facilement plus près de l’eau et jouer la petite sirène du canal sur un rocher qui la surplombe. Trois rats de bonne taille m’en dissuadent. Je préfère grimper sur la passerelle, d’où j’aperçois un impressionnant dépôt de ferraille, surplombant cette zone restée sans aménagements, où j’ai déjàcroisé des glaneurs de matériaux boire l’apéro de la fin de journée.

Face àmoi, la façade rive gauche fraîche d’un immeuble rouge attire le regard ; M’approchant, je lis un panneau de promotion de réhabilitation du quartier du Landy. Je suis donc si près de ce quartier frontalier des deux villes, Aubervilliers et St-Denis, qui jouxte la garer de RER B de La Plaine. Quartier dont j’ai exploré, côté dyonisien, l’étonnante « Â petite Espagne  », lieu d’arrivée, d’habitation et d’auto construction des réfugiés républicains espagnols et qui des traces, rescapées d’une réfection au demeurant plutôt réussie (au prix de loyers passablement coà»teux) du quartier.

Vue du Landy depuis la passerelle près de l’Ecluse n°3.

Rive droite, les industries ont laissé place àdes immeubles résidentiels, et, parfois des alignements de petites maisons en parties murées, dont je ne sais si elles sont habitées ou non. Sous l’autoroute A86, je passe l’autre frontière qui sépare Aubervilliers de St-Denis – amusée de la seule idée de frontière aquatique. Une ligne droite, aménagée, agréable, avant l’autoroute du Nord, face au mastodonte du stade hérissé des ses mâts. Je grappille quelques prunelles déjàflétries dans les haies : ces baies acides, je m’en régalais enfant dans la campagne auvergnate, je crois bien que c’est la première fois que je vois des prunelliers taillés bas en haies et bleus de fruits.

Ciao canal, je prends la tangente par la porte de St-Denis, dans la rue Gabriel Péri toujours explosive de vie , entre les salons de coiffure africains pleins àcraquer, ses boutiques, ses échappes vers d’étroit passages et son éventail d’architectures.

Direction la Basilique, son parvis hérissé de stands, et la récompense de la marcheuse àl’étal des Bretons de St-Denis.

P.S. Les photos sont toujours "tendance floue." Va quand même falloir que je me décide àle faire changer, ce fichu objectif de mon téléphone.

13 octobre 2014
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