Sylvie Durbec | (bien difficile de) transformer la jalousie en ballon rond, par Tristan Hordé

Voilà un titre qui accroche le lecteur tant il est déconcertant, la relation entre la jalousie et le ballon rond paraît en effet bien difficile à établir. « Bien difficile », ces mots débutent tous les poèmes ou y sont repris, les liant sans pourtant que se forme un récit.

Le premier poème, après un « Bien difficile » posé comme un titre, se continue par des parallélismes et, également, par des éléments qui s’opposent. Au « café des Miroirs » en face du poète italien Dino Campana — mort en 1932 — que la narratrice ne peut rencontrer que par ses livres ou en rêve, correspond le « Caffè degli Specchi », célèbre café de Trieste que fréquenta notamment Joyce ; mais personne n’est nommé cette fois, ou plutôt un « elle » (« à me demander quoi voir /(…) / à part elle à part moi ») dont la venue n’est pas du tout désirée. Quoi voir dans le miroir ? Rien dans le noir, d’autant moins que la narratrice se dit « grise mais les yeux ouverts ». Elle part on ne sait où : un double mouvement s’effectue qui aboutit à l’introduction du ballon, « Y aller (…) / en revenir en repartir / avec un ballon / sous le bras ». Après un blanc typographique, un autre thème, essentiel dans l’ensemble des poèmes, est donné : « c’est une maison / qui commence / son histoire / ici ». Les deux motifs me semblent une illustration du titre de la plaquette ; d’un côté, les miroirs, ces « outils de rêve » selon Bachelard, qui symbolisent l’apparence, le fugitif, les cafés, lieux de passage, de dispersion, et le ballon qui ne reste pas en place, image du changement, de l’autre côté la maison, figure même de la sécurité et de l’intimité. Le poème se construit à partir de ces motifs bien peu conciliables et sollicite du lecteur qu’il les fasse jouer entre eux, faute de pouvoir les raccorder.

L’histoire de la maison n’est pas écrite, seules des bribes apparaissent sans être situées dans le temps ; il y aurait eu trois maisons et l’on passe de ce qui se construit à ce qui se défait : c’est là une figure de la vie. Des enfants viennent dans l’histoire, en accord (la famille) avec la symbolique de la maison, et avec eux le ballon qui roule, après lequel on court. Un autre élément positif est introduit, la porte ; elle relie la maison au monde extérieur, ouverte elle permet de « voir au plus loin / ce qui ne se voit plus ». Cependant, la maison aurait « sept portes / plus une », ce que le lecteur associe à un possible dédale ou à la Barbe Bleue du conte (le mot « sang » est présent). Les couples de mots de sens opposé sont nombreux — stopper / s’enfuir, entrer / sortit, anciens / modernes, ouvertes / refermées, avant / arrière, la nuit / le jour — image de l’instabilité, jusqu’à la relation entre « trahison » et « maison » en fin de vers : l’incompatibilité des deux mots, et les oppositions, signifient que toute quiétude est détruite, que la stabilité est mise en cause.

On peut ajouter d’autres données éparses, l’initiale du prénom des deux garçons (T et B) ou la mention d’un cahier caché, par exemple ; mais Sylvie Durbec sait ben qu’une histoire n’est pas faite que d’une accumulation de fragments et celle-ci, semble-t-il, ne peut s’écrire, faute « de faire tenir tout ça ensemble ». La plupart des histoires tiennent grâce à des inventions quand, ici, le projet est de trouver « bons mots exactes paroles », « bons mots exactes pensées ». De là, un poème-récit troué, plein d’incertitudes, mais qui captive le lecteur justement grâce à ses obscurités.

Sylvie Durbec, (bien difficile de) transformer la jalousie en ballon rond, le phare du cousseix, 2018, 16 p., 7 €.

11 juin 2018
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