Une nageoire pour arroser au jardin


La direction, c’est Mairie des Lilas.
La ligne, c’est la numéro 11 du métro parisien, le chiffre qui compte double.
C’est le poème de Cendrars que je relis, ce bruit de basse-cour. Poser ma voix.
Aussi le texte de Duras. On respire.
Porte des Lilas. On descend.
C’est l’attente au feu, la rue à traverser, les travaux, re-rue, puis boulangerie Aux délices des Lilas, épicerie, 2e feu, pont franchi, le périph en dessous, terminus des bus, 3e rue à traverser, La Grande Récré, Aubert, rue des Frères-Flavien, ça approche, la voie cycliste en sens inverse, éviter d’être renversée là,
jusqu’à pousser la porte, traverser le grand hall, monter les escaliers et composer le code au 2e étage de ce bâtiment des années 1970 qui sent le savon.
Porte droite, code à 4 chiffres top secret et bip ! J’y suis.
C’est un salut timide dans l’entrée.
C’est une partie de dames interrompue pour installer les tables d’écriture.
C’est une salle jaune, sol, murs, plafond, jaune poussin, avec fenêtre et cris d’enfants au-dehors.
C’est une casquette bleu marine, les yeux bien cachés.
C’est une oreille gauche, avec pansement.
C’est une main fraîche qui serre la mienne.
C’est une femme discrète, qui me prêtera l’un de ses livres préférés, ça, plus tard.
Les prénoms que je note. Je voudrais ne commettre aucune erreur sur les prénoms surtout.
C’est un sourire entendu quand fusent les premiers jeux de mots.
C’est Jean Serien et le pharaon Georges Labouteille. C’est Jules Ferry qui passe en voiture.
Aussi celui qui commence à écrire avant même que la proposition ne soit terminée,
comme une urgence.
Aussi celle qui compose un poème neuf et gomme beaucoup, réécrit, cherche le mot exact.
Il faut se lancer des défis, dit quelqu’un.
Et pouvoir être convaincu du pouvoir que j’ai en moi, ajoute-t-il sur le papier.
C’est celui qui écrit en russe et se traduit aussitôt. Pour nous qui ne parlons pas russe.
C’est apparaître,
à part être,
être à part.
Le silence d’écriture que scande la sonnerie Big Ben.
Puis c’est une voix qui lit, une autre qui suit. La mienne, parfois. Et l’envie de répéter.
Images justes. Découvertes. Enchaînements surprenants.
Un petit mot, ça veut dire beaucoup de choses, constate Mohamed.
Papiers exquis. On tourne. Faites passer.
Et au bout des deux heures, c’est la fatigue aussi, de tous.
L’envie de fumer. J’ai la cervelle ravagée, murmure quelqu’un.
Les textes me sont donnés, pour être saisis.
Les tables rangées.
C’était bien, me dit-on.
Des aurevoirs moins timides des uns et des autres. De moi aussi.
À lundi prochain ou sinon le suivant !
Oui, si je suis encore là, me répond-il.
Porte droite, code à 4 chiffres top secret et bip ! Je sors.
Escaliers, hall, voie cycliste, rue, terminus, pont, périph, rue, travaux, rue, feu.
Sur la ligne numéro 11 du métro parisien, le chiffre qui compte double et plus encore, ce sont cette fois leurs textes que je lis et relis.
Direction À la mer Libération EXtrême, n’est-ce pas Alex ?
Et dans ce métro qui bourdonne et donne chaud,
je souris et je me dis alors que je voudrais trouver ce soir,
tout comme Sidonie,
une nageoire pour arroser au jardin.

5 octobre 2011
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