« VOTRE HÖLDERLIN » (chapitre 1)

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Vous vous étiez promis que vous feriez un voyage sur les traces d’Hölderlin, l’hiver, dans le Massif-Central. Ce serait le voyage d’après. J’en rêvais sur mon lit d’hôpital. J’avais trouvé dans l’édition de la Pléiade, une note : le poète était passé en 1802 par une très vieille route. Elle porte aujourd’hui le nom de Route 89.

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VOTRE HÖLDERLIN



Dessin collage et stylo noir .G. H.



À Pierre Labrot


Holder line Route 89

Journaliers

Du 21 au 26 décembre 2012, vous êtes partis en Dacia Renault, de Paris-XIVème, vous avez pris vers 6 heures du matin l’autoroute Porte d’Orléans, pour rejoindre Feurs dans l’Allier et réaliser une traversée du Massif-Central qui devait s’intituler Holder-line.


I.
Le 21 décembre 2012

Il a croqué la Vitamine C toutes les deux heures et vous êtes arrivés à marche forcée à Feurs.

Sur le périphérique il faut déjà foncer, et d’abord il a fallu trouver la 20.

Il fait nuit noire à 6 heures du matin et sur ce ruban qu’on appelle le Périphérique parisien, la sortie de Paris, c’est la sortie du Vortex, Paris est un volcan qui projette son feu autour et c’est le Styx.

En bordure du Périph, les garages fermés, les coins tabac, les rideaux de fer, le paysage est sans vie, sans hommes, éclairé par de blafards lampadaires.

On dit que le Maire de Paris va refaire la Porte-d’Orléans, détruire le décor aimé de vos années 80, il serait bouffé dit-on par son environnement, dépourvu de sens lisible,un chaos urbain.

Un bras le long du corps, la nonchalance, le mouvement suspendu. L’allure du jeune Leclerc, dans un fatras indigne d’elle, suscitait l’émotion pour cela même ; lui, immortalisé dans son pas, joignait l’épique à l’ordinaire de la Porte, pour la redonner sans fin livrée à la lumière libératrice, l’arrivée triomphale, la joie.

La lumière livide des lampadaires peint en jaune verdâtre ces Hôtels de bandes dessinées, des faux voyageurs de commerce et des vrais justiciers de Jean-Patrick Manchette. Se rejoignent dans ses romans, la prise du pouvoir de la gauche et le néo polar. Le citoyen ordinaire, par hasard témoin d’un crime, défend sa vie contre une mafia souterraine. Et le Périphérique est si humain, avec ses courbes, les multitudes de point rouges - phares arrières - tous à même allure, c’est beau, voir c’est revoir le monde comme pour la première fois.


Un immeuble qui fume.


La brillance d’un pont.

« Adaptez votre conduite à l…˜hiver ».

Rayer le mot monde.

Au lieu d’écrire le monde, celle qui doit s’expliquer à elle-même décide alors de mettre trois points.

...

Le premier café est loin. On boit de l’eau d’Hépar... Léger inconfort. Boire froid. Vous roulez longtemps dans la pluie fine, le paysage est tellement noyé dans le gris sombre uniforme, le monde n’est pas né, c’est la pluie d’atomes rectilignes dont parle Épicure. Le « paysage » peine à se pouvoir nommer tel, le brouillard, le gris anthracite, les gouttes, les arbres essorés. Sur la route des Enfers, quitter Paris, c’est aller vers l’enfance, vers les Morts. Les villes sont des pancartes, des noms zoomés, vite écrasés par l’essuie-glace.

Moret, Veneux-les-Sablons

Montargis

Cosne

La Charité

Nevers

Saint-Germain-des-Fossés

Clermont-Ferrand

C’était La Ligne !

Les Trains passaient au fond des jardins, faisaient bouger les cerisiers, trembler la terre.


« Ce train dessert, desservira : Moulins, Saint- Germain-des-Fossés, La Charité, Nevers »

Et les idées de destinations inconnues, partaient dans le vent violent du train.


Jusqu’à Lyon - Perrache, très important, Lyon - Perrache, on ne sait pas ce que cela veut dire, et c’est la Gare. C’est le Réseau qui nous conduit, nous domine, le territoire encadré, l’Équipement, l’Étoile du Chaix. Image que je ressentais déjà, petite, comme légèrement scandaleuse, tout partait de Paris et y ramenait, et nous ?

Nous étions là UN POINT SUR LA LIGNE. Dans le Loiret, entre Tout, au beau milieu de Rien.

Heureux peut-être. Des Trains.

Divines locomotives crachantes, et leurs voix, leurs hurlements si distincts, dans la nuit. Machines. Folles.

Ils passaient quand nous dormions près de nos lits d’enfants, ils passaient sur nous, avec un frisson de plaisir, les pancartes accrochées, arrimées, filaient, et la queue du wagon, la dernière image. Un train est déjà un film, une bande cinématographique, et comme sa première forme grossière, primitive.

Avant Cosne, premier arrêt. Sur une aire déserte.

J’ai voulu essayer le petit gaz et la mini cafetière. Dans une cabine téléphonique sans portes.

Les toilettes, le froid, le papier, le minimalisme du confort. Tout parait bon.

Le thé, sous la pluie fine. Un camion s’arrête. Il pisse, repart, aussi sec. On ne se regarde pas.

Deuxième arrêt.

Un supermarché, les gens, souvent lourds, mal vêtus, font des courses pour Noël, un planton observe, un homme aux pieds-nus, dans des sandales, des cheveux longs, le signe de la pauvreté, le négligé français ? On ne sait pas. Tout le monde achète. Pas trop semble t’il, ça ne déborde pas. Des femmes venant d’un foyer, achètent ensemble pour tout un groupe. Une liste. Ce qu’il faut.

Vous aussi vous achetez, des soupes pour chauffer directement, de l’eau, encore. Du pain. Rillettes.

Cosne-sur-Loire.

A Cosne, vous allez directement au bord de la Loire. Regarder la carte routière.

Allez, fais des images. Il explique la caméra. D’abord ouvre l’écran, sur le coté, appuie sur le premier bouton le plus près, qui fait sortir le zoom et surgir le premier écran indiquant le contact.

Puis le bouton derrière, appuyer, « enr »= enregistrement s’affiche, C’est bon, c’est tout ? Oui.

J’ai commencé à filmer. En fait à parler, en tenant la caméra. Compagnons de voyage, vous vous expliquez. Holder LINE.


C’est une forme, tu prends un itinéraire, tu choisis, et tu racontes une histoire dessus. Ca suffit pour faire un film.

Des mots sont venus, de parler en avançant, de penser à lui, Hölderlin.

Qu…˜il a dû traverser cette France-là, oui, la même, cette France calme et hivernale. Il a du voir ces vieilles demeures de notables, posées partout de loin en loin au bord des fleuves, aux plus beaux endroits, leurs volets blancs, aux lattes cassées, le ciel plombé, comme aujourd’hui.

Peu importe qu’il n’ait pas vu cette gabarre un peu détruite, laissée là, avant le grand pont autoroutier, vous en contrebas, sur les berges, si belles, le fleuve droit qui file, la gabarre arrimée, entourée d’eaux sales, de débris de plastiques, de saletés sans nom, dans les mousses.

J’en oublie l’essentiel. Qu’il faut filmer le fleuve. C’est que je ne sais pas faire ou que je crois que je ne sais pas, au lieu de me lancer, d’essayer. Toujours la même timidité, les mêmes interdits stupides.

Et le spectacle est si grand, un peu plus tard, regrets, mais c’était ça ! Et pourquoi je n’ai pas fait d’image !

La Loire est passée frôlant le cœur, occupant tout le paysage, en deux bras, de l’amont vers vous, de toute sa force accumulée, ramassée de partout, de tout le Massif, rapide elle, le Tout, l’ébranlement.

Car le fleuve c’est l’Illimité qui s’éprouve contenu dans de justes limites.


Le fleuve c’est la joie, la jubilation de l’Illimité, de se sentir contenu, tenu dans des bras, embrassé dans et serré par les bords, l’Illimité aime à se sentir ainsi, dans des limites, celles qui lui sont données par, sa joie est palpable. C’est ce qu’il dit.

On peut même dire qu’il y aspire.

À être comme une femme par exemple, dans les bras d’un homme.

La même chose au fond.

Car, à Cosne, c’est un tournant, le fleuve dit Loire, avec des îles qui ne parviennent pas à masquer sa plus grande largeur, son courant redouté, sa force, la Loire ! Et qui n’est pas navigable ...

Il y a des arbres grands sur des îles grandes, et la gabarre, seule, et une ancre qui rappelle qu’on y fondait à Cosne des ancres gigantesques, dont celle-ci, pesant plusieurs tonnes, comme un cœur posé sur l’embarcadère, elle a été retrouvée dit-on par les Américains dans le port de Saint Nazaire.

Tout se tient.

On n’est pas loin non plus des « des arts, des armes et des Lois ».

Du Bellay et la manufacture d’armes.

C’est donc ici le pays du fer, et de l’eau qui continue ou qui commence. Vers la mer.

Après il y aura une pancarte : Pouilly-sur-Loire, qui fait penser au vin, celui qu’on a bu près de la Porte d’Orléans, chez Perret, rue Daguerre, et un peu plus loin, tous les petits pays qu’on traverse dont on n’aura qu’à peine le temps de lire le nom, X / et M / Loire, à la diagonale. Zooms avant et arrière que la voiture fait sans que vous y pensiez. Et comme ça, sur l’écharpe des noms, on s’en va vers Moulins ce qui veut dire qu’on est déjà dans le bassin de la Loire et de l’Allier, de la LOIRE + ALLIER. Ce qui veut dire qu’on remonte le cours de ce plusieurs fleuves dit Loire et qui en est la réunion impressionnante et qu’on a vue, qui faisait presque peur. Pourtant les noms sont doux, à Cosne, la Loire reçoit le Nohain. C’est le terrible et c’est le doux.

Et c’est normal d’avoir peur, comme de ne pas avoir peur, et de tous temps les routes aussi sont les mêmes car en effet elles ont toujours suivi comme les habitations posées en miroir, le cours des fleuves, des rivières et elles doublent les cours d’eau et multiplient les chemins, les points de fuite, accélèrent les choses et les hommes, accroissent leurs désirs.

Et c’est là que je dis que les fleuves sont la première écriture, avant l’homme, que les fleuves ont écrit  : les monts se sont dressés et les fleuves ont coulé et ils ont dessiné toute la physionomie que nous voyons aujourd’hui, nos paysages, et l’écriture ce sont les fleuves, les Premiers, et Eux seuls qui ont écrit, et ils ont raviné, creusé la terre, et les laves sont devenues des cailloux, des galets, des plages, des sédiments, des prairies.


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15 décembre 2015
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