Anca Vasiliu | Entre la gloire et la peau

Extraits




Mouvements
et leur image - reflet d’un arrêt, d’une corde qui vibre encore d’une inertie à peine visible,
d’un soupçon, ou un souvenir
force centripète dont le bouillonnement ne se devine plus, enfoui dans la chair,
là où le cri n’est que réduction de la béance à un interstice de quart de ton



*




Pluie du temps,
trame d’étoiles, nombre en image.

Rester sur le pas du temps, mesure sans mesure
cadence serrée comme un voile à travers lequel on regarde sans être vu,
(et sans voir, à la fin)
étouffant le visible sans supprimer son souffle
sans écarter le dernier rempart des phantasmes
sans juguler l’ultime désir
qui cherche encore des raisons au regard



Ombre, ombrages, plan sans travers, dans une épaisseur contenue, intérieure.
Tenir sur ce pas, sur le seuil
sans vaciller, sans même cligner des yeux, en équilibre inconscient sur la corde qui traverse
le vide
cette petite entaille, cette encoche dans la chair qui n’a pas l’air de faire le mal,
juste une blessure de l’être venue avec la naissance, un intervalle comme un sceau à jamais refermé, sans douleur, ni la moindre gêne
sauf un rappel du vent qui chuinte

[…]




*




nombre impuissant à rendre compte des particules du sable, répétition incapable de faire jaillir des parois le cri libérateur, le bruit du fracas, la porte
Sur la surface serrée et luisante les nombres coulent comme les prières égrenées sur le rayon à l’aube
ou au coucher
fils de…, fils de…, fils de…
noms et nombres
estampillés sur des murs
chair de la chair de la chair
et pourtant il s’oppose
le temps aux phénomènes
aux images
au monde

le circulaire vit et meurt à l’intérieur
la spirale ne s’épanche pas mais s’enfonce
lovée
dans une chair qu’elle meurtrit ou purifie du désir
seul le droit sort, s’il ne rencontre pas de semblable, et vise le point, l’unique, le véritable



*




là où l’humide rencontre le sec
une fine frange d’écume miroite le ciel avant qu’une nouvelle vague ne l’avale,
ou que le sable ne l’ait aspirée dans son anonymat de carcasse,
poussière de coquilles vides, de ressemblances infinies
transfigurées par quelque chose d’autre glissé comme alternative
à la réduction
au même



Anca Vasiliu, Entre la gloire et la peau, revue Nunc / Editions de Corlevour, 2020, 144 p., 18 €.

Extraits cités : « Le temps, lui » (incipit, p. 67, et extrait p. 72)


Anca Vasiliu, née à Bucarest en 1957, vit à Paris depuis 1990. Elle a une double formation : en philosophie et en histoire de l’art. Actuellement Directrice de Recherche au CNRS (Sorbonne Université).
Depuis 2000 elle dirige le séminaire de recherches portant sur la transmission des thèmes et des concepts philosophiques de l’Antiquité au Moyen-Âge.
Bibliographie sélective :
 Du Diaphane. Image, milieu, lumière dans la pensée antique et médiévale, Vrin, 1997.
 Dire et voir. La parole visible du Sophiste, Vrin (2008 ; prix « Zôgraphos » des Études grecques en 2009).
 Eikôn. L’image dans le discours des trois Cappadociens, P.U.F. (2010).
 Images de soi dans l’Antiquité tardive, Vrin (2012 ; prix « Montyon » de l’Académie française)
 Divines techniques. Arts et langage homérique à la fin de l’Antiquité, Classiques Garnier (2016)
 Penser Dieu. Noétique et métaphysique dans l’Antiquité tardive, Vrin (2018).
 Montrer l’âme. Lecture du Phèdre de Platon, Sorbonne Université Presses (à paraître, avril 2021).

17 mars 2021
T T+