Argenteuil, fin de résidence
Chaque mercredi, le RER direction Argenteuil. Le matin, des jeunes d’une classe UPE2A du lycée Nadia et Fernand Léger. L’après-midi, des adultes de la Médiathèque Elsa Triolet.
Chaque atelier commençait par un rituel « échauffement d’écriture », les poignets se réveillant alors sur la feuille, la boue du crâne qui se décolle petit à petit des parois. Une fois le chronomètre sur zéro, les textes produits par les mains étaient lus par les bouches. On s’aiguisait la langue, s’affûtait les oreilles. C’est une histoire de corps. Enfin, un texte plus personnel était reposé sur la table. Raturé, retaillé, affirmé, revendiqué ; de séance en séance on creusait son sillon.
J’ai eu l’honneur d’entendre des voix se lever, des mots se croiser, d’autres se heurter, parfois s’étreindre.
J’ai eu la joie de voir des majuscules s’embraser, des verbes exploser, des phrases s’écrouler, le silence se faire et des textes s’écrire sur les débris d’un vieux monde.
Des textes d’une telle justesse. D’une telle puissance. A en redresser les corps.
De ces ateliers, j’espère retenir tout ce qui n’a pas été écrit. Nos sourires de bienvenue, nos rires de complicité, notre rigueur lorsqu’il s’agissait des émotions, nos discussions politiques et littéraires enflammées, les musiques partagées et tous ces parcours uniques en un seul point mêlés.
Je garderai aussi la bienveillance active de chacune de ces personnes comme une leçon personnelle, précieuse. Certaines avaient parcourus plus du double de kilomètres que moi sur ce globe. Certaines y avaient vécu le double de mes années. Toutes ces personnes ont eu le courage, l’intelligence, l’audace de prendre ce qu’il y avait à prendre d’un jeune blanc-bec à peine né. C’était infime. Au mieux, j’aurai été un briquet de plus sur une intense mèche. Elles ont fait, et elles feront le reste.
Je crois bien que nous nous sommes partagé une infinité.
Une très belle continuation à chacune de ces personnes, dans leurs vies comme dans leurs écritures.
Et pourtant, elle tourne l’heure depuis ce matin, hier, aujourd’hui. Et pourtant, et pourtant, elle tourne. Qu’est-ce que j’ai fait dans tout ça ?
La terre tourne, les affaires tournent, le monde tourne, l’Histoire tourne… Elle tourne pourtant cette petite horloge posée sur le buffet- que je regarde à différents moments de la journée. Elle ne s’occupe pas de moi. Et pourtant elle tourne, je n’ai presque rien fait. Et pourtant depuis que je suis levée, elle n’a pas arrêté de tourner.
Et pourtant, il tourne ce rendez-vous, ce moment, il tourne comme au début d’une valse, il tourbillonne avec toutes mes questions. Qu’est-ce que je vais dire ? Qu’est-ce que je vais répondre à ces questions, à ces questions-pièges ? Non, je ne crains rien, et pourtant il tourne ce rendez-vous qui m’attend, qui approche. Il tourne dans ma tête, depuis hier. Il a tourné toute la nuit.
Et pourtant on tourne, on avance, on recule, on s’invente une histoire, on tourne autour de la question ; on brasse et rebrasse plusieurs solutions ; on cherche, on ne trouve pas, on anticipe, ce n’est pas satisfaisant, et pourtant on tourne, oui on tourne, on tourne en rond, on n’a pas la clef, on n’a pas la solution, on réfléchit encore.
Ce soir on aura trouvé.
MCW, 6 février 2020
Ce rebord de fenêtre attend que je vienne m’y asseoir pour voir… pour voir au loin la mer, un petit triangle de mer seulement entre une haie de lauriers et des tamaris serrés les uns contre les autres. Ce rebord de fenêtre attend fièrement que je l’habille de couleurs vives, de géraniums et de jonquilles. Ce rebord de fenêtre c’est mon refuge.
Cette table basse m’a toujours fascinée. Elle est rouge incrustée d’une scène chinoise dorée. Elle était toujours placée à côté du piano, en attente de quelques notes d’une petite mélodie douce. Elle était en bois, d’un bois précieux et dégageait une odeur de santal. Je n’avais pas le droit d’y toucher, ni de la déplacer, ni même de m’y asseoir. Quel secret renfermait-elle ? C’était « La » table basse de mon arrière-grand-mère.
Le lobe d’oreille de cette table basse était peut-être le secret dont on m’avait écartée. Son lobe d’oreille était peut-être le témoin de quelque chose que je n’étais pas encore parvenue à percer. Oui, avec son lobe d’oreille elle avait tout entendu.
Cette alarme brève m’a réveillée de mon songe, de cet état de léthargie douce après le repas que nous prenions dehors sur la terrasse. Cette alarme brève m’a fait sursauter en retentissant dans mon lobe d’oreille. Cette alarme brève, j’aurais voulu l’arracher et la prier de ne jamais nous déranger.
Ce sentiment fort, je l’ai ressenti dès la première minute, en les rencontrant. Ce sentiment fort m’a donné confiance en eux. Ce sentiment fort m’a emportée loin, très loin dans l’amitié, dans le partage et dans l’échange.
MCW, 4 mars 2020
Viens voir les vagues
Les vagues ne se sont pas calmées, elles ouvrent leurs mâchoires
Elles montrent leurs dents blanches
Ecoute les vagues
Furieuses, bruyantes, les vagues grondent au large
Les vagues ondulent, avancent, courent, se rattrapent les unes derrière les autres et vont mourir sur la grève en éclaboussant les passants
Regarde les vagues
Les vagues roulent, s’enroulent, se déroulent
Puis elles reculent, les vagues se retirent au large
Elles vont donner la main à d’autres vagues comme pour faire une ronde puis reviennent se briser contre les rochers
Viens voir les vagues
Des vagues à collerette blanche, des vagues bleutées, transparentes, nacrées, vagues éphémères
Un vent violent, strident, sifflant, les pousse toujours plus vite
Les vagues dansent toujours plus haut toujours plus loin
Regarde les vagues
Immenses elles touchent le ciel puis retombent sur la plage, déposent des bijoux-cailloux
Elles effacent le sable, murmurent quelques embruns
Elles regardent le ciel, le ciel scintillant regarde les vagues.
MCW, 4 mars 2020.
Au bout du petit matin, je décidai de me lever, à tout petits pas pour ne pas les réveiller. Ma chambre est sombre, les murs paraissent grisâtres, juste un rai de soleil la traverse et l’éclaire. J’avance doucement jusqu’à la fenêtre du salon. J’entrouvre délicatement les volets et je sens le souffle de la rosée fraîche qui pénètre dans ma poitrine. Un mélange de plantes méridionales se dégage.
Au bout du petit matin, je sors de la maison. Je marche sur le gravier qui craque et pique agréablement ma plante des pieds. Je vais tout au bout du jardin et je m’arrête devant un bouquet de pivoines odorantes. Elles sont posées sur la table de jardin, nimbées de brume du petit matin. Elles attendent un vase pour y être recueillies et nourries.
Au bout du petit matin, je fais encore quelques pas. Je passe à côté des petits massifs de thym, de romarin, de sauge et d’origan. Je vais, dans la matinée, revenir les prendre par la main et les cueillir pour parfumer le repas de Grand-Mère. Toutes ces plantes et toutes ces fragrances m’enivrent. Au bout du petit matin, elles me disent que la journée va bien commencer.
MCW, 11 mars 2020.