Asile / Paul les oiseaux
Peu à peu, un portrait se dessine, celui d’une femme (une patiente) qui vit dans un lieu clos ("chambre 4") où la blancheur se décline partout, des murs à la blouse du médecin et du soleil d’hiver à la pâleur des mains quand "le sang n’arrive plus aux doigts". Elle n’a pas de nom. C’est Elle, tout simplement.
« Elle est là
finit par se mettre
un peu de rouge velours sur le visage
c’est sans importance
les anges se maquillent lentement »
Son quotidien est répétitif, ponctué du matin au soir par les repas, la toilette, les visites chez le Doc, l’ennui, la somnolence, la prise des médicaments. Il y a pourtant une part d’elle-même qui échappe à l’enfermement, une fenêtre qui s’entrouvre, propice aux rêves, à l’imagination, aux odeurs et aux bruits de la mer toute proche.
« Doc
"j’arrive en corneille"
je peste pour voir
me cache dans les roncières
sur la falaise
"je sors en aigle de mer"
descends les champs
garde le leurre l’eau brûlée
pour la mort vraie
cela rôde cela veille
l’oubli m’attend »
Doc est son confident. Le seul auquel elle peut dire, par bribes, en quelques mots (volés au silence), ce que fut son passé et où elle en est de ses craintes, de ses peurs.
« Doc
l’homme que j’ai connu
a fait corps avec la pierre. »
La poésie d’Erwann Rougé est concise, épurée. Tout n’est pas dit. Il laisse place à la suggestion. Ne dévoile que le minimum. Pudeur et délicatesse s’accordent pour respecter l’intimité de celle qui est hospitalisée pour "rattraper ses nerfs". Elle parle peu. Utilise des mots justes et simples pour dire son fracas intérieur. Il arrive que le dehors pénètre en elle, par fragmentations lentes, en l’invitant à sortir pour apercevoir l’oiseau noir auquel elle s’identifie parfois.
« Elle regarde la corneille
la corneille la regarde »
Erwann Rougé : Asile, éditions Unes.
Près de vingt ans après sa publication aux éditions Le Dé Bleu, Paul les oiseaux, d’Erwann Rougé reparaît aux éditions Isabelle Sauvage. L’auteur a repris et resserré son texte, le dotant d’un sous-titre : (portrait). Le poème se construit autour de la figure de Paul, être ultra-sensible, à l’écoute de tout ce qui l’entoure, étonné par ce qui bouge dans le ciel, les arbres, l’eau des flaques ou de la mer. Ayant gardé les yeux et le vocabulaire imagé de l’enfant qu’il n’a jamais cessé d’être, il se sait différent et sent d’étranges vibrations s’emparer inopinément de son corps.
« Regarde et regarde la sterne
avec le même mouvement du cou
pique la mer, pique le ciel
crie le dedans encore une fois
serre les genoux et les épaules
vole l’esprit à l’oiseau
ce qui est lui
et l’ivresse d’après »
Le titre est emprunté à Paul les oiseaux ou la Place de l’Amour, texte d’Antonin Artaud (cité en exergue) qui l’avait lui-même trouvé dans un récit de Marcel Schwob consacré au peintre florentin Paolo Ucello.
Erwann Rougé : Paul les oiseaux, éditions Isabelle Sauvage.