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Claudette Oriol-Boyer / L'objet d'art scriptural

 

Voici un article publié en 1994 dans la revue Clés à venir du CRDP de Lorraine.
Après sa parution, en 1994, j'ai reçu de nombreuses réactions positives d'enseignants de français.
Je le verse comme une première contribution de ma part au dossier sur l'écriture d'invention au lycée que remue.net a ouvert.
On peut lire sur mon site un autre article sur ces questions. On trouvera également sur mon site la liste d'autres publications concernant le même sujet.
J'ai également mené une enquête sur les trois premières années de partenariat enseignant-écrivain dans les collèges et les lycées, dans le cadre des ateliers de pratique artistique de l'écriture dont l'ouverture avait été autorisée par le B.O du 17 mai 1990 (à la suite d'une demande que j'avais adressée à Jacques Lang).
Ceux que les résultats de cette enquête intéressent peuvent prendre contact avec moi par mél
Je me réjouis qu'enfin on parle de l'impact des pratiques d'écriture dans l'éducation du futur citoyen et je suis heureuse de tout ce que j'ai pu lire comme contribution à ce débat sur remue.net, site dont j'apprécie depuis longtemps la qualité et l'ouverture. J'adhère en particulier à ce que Raphaël Monticelli a écrit et qui me paraît un précieux témoignage.
Claudette Oriol-Boyer

le site personnel de Claudette Oriol-Boyer

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NOTE de Claudette Oriol-Boyer (22 avril 2001)

Il y a un an, l'éditeur Hatier m'ayant avertie qu'il allait mettre au pilon des milliers d'exemplaires du manuel de cinquième* qui encombraient ses locaux, j'ai récupéré ce lot et peux distribuer en spécimen le livre à ceux que cela intéresse. Ecrire à Claudette.Oriol-Boyer[@]u-grenoble3.fr

*collection "Lire, écrire ensemble": Français 5ème, par Christine Duminy-Sauzeau, Yvette Faure, Daniel Grappin et Claudette Oriol-Boyer, Hatier 1995.

Pour une didactique du français, langue et littérature

Revue Clés à venir n°6, octobre 1994, "Maîtrise de la langue" CRDP de Lorraine Claudette Oriol-Boyer


Les propositions du Ministre de l'Éducation nationale en matière de lecture, le renouvellement du Conseil National des Programmes et des Groupes Techniques Disciplinaires incitent les chercheurs à apporter leur contribution au renouvellement de la didactique de leur discipline. On trouvera dans ce texte des propositions pour des contenus, des méthodes et des manuels qui réalisent effectivement le décloisonnement des enseignements de langue et littérature.

C'est en tant que chercheur enseignant, formateur d'enseignants, écrivain que je présente ici quelques suggestions pour renouvellement de la didactique du français qui tiennent compte de réflexions menées depuis plus de dix ans avec des enseignants de collège et de lycée .Cadre des recherches

Dans le cadre du CEDITEL (CEntre de recherche en DIdactique du Texte et du Livre) de l'Université de Grenoble III, fut créé, en 1986, un GRAF (Groupe de Recherche--Action-Formation) Didactique de l'écriture, en accord avec la MAFPEN de Grenoble.

Ce GRAF a réuni, une fois par mois, une quinzaine d'enseignants du secondaire et des universitaires membres du CEDiTEL dans le but de définir des contenus de stages pour les enseignants, et de mettre en place des recherches liées aux besoins de la formation des maîtres.

Plusieurs Universités d'été en découlèrent , ainsi que la possibilité d'ouvrir (B.0 du 17 mai 1990) des ateliers optionnels d'écriture artistique dans les lycées et les collèges, en partenariat écrivain-enseignant .

Les recherches et les formations ainsi mises en œuvre ont fait émerger la nécessité absolue d'établir une articulalion systématique entre les enseignements de langue et de littérature, entre les activités de lecture et d’écriture. Mais cela ne va pas de soi. Il ne suffit pas de l'affirmer, il faut le justifier et l'effectuer. C'est d'autant plus difficile que l'on ne trouve guère de manuels scolaires pour s'appuyer. Dans leurs préfaces, ces derniers affirment tous la nécessité de ces liens, mais, nous le verrons plus loin, la réalisation est loin d'être opérée et les enseignants ne sont pas toujours en possession de critères réfléchis et clarifiés pour sélectionner leurs manuels dans la bousculade de fin d'année.


Présupposés théoriques : la liaison langue et littérature


On hésite toujours entre deux appellations pour désigner ceux qui sont chargés d'enseigner la langue et la littérature française : Professeurs de Lettres / Professeurs de français.

Ce problème lexical en recouvre un autre sur le plan didactique : une mauvaise articulation entre l'enseignement de la langue et celui de la littérature dans l'institution scolaire.

Les causes en sont multiples.

Tout d'abord, à quelques exceptions près, les chercheurs en linguistique et les chercheurs en littérature n'éprouvent pas le besoin d'articuler leurs champs de recherche.

Les linguistes pensent souvent que les littéraires occupent des positions conservatrices en tant que gardiens de la tradition langagière et du " beau langage ", signe de reconnaissance d'une élite.

Pour eux, inversement, c'est la maîtrise de la langue dans ses usages ordinaires, évoluant et vivant de son oralité, qui est établie comme une priorité.

La lecture des textes littéraires devient alors, de ce fait, réservée aux élèves qui atteignent les filières classiques de lycée où l'on retrouve plus ou moins, comme dans les classes de rhétorique au XlXe siècle, les enfants issus de milieux socio-culturels favorisés.

A vouloir privilégier ainsi le seul apprentissage du français fonctionnel, on risque de favoriser le -maintien en place d'une élite : elle seule aura droit à une initiation artistique, elle seule aura la possibilité de rencontrer le travail accompli par les écrivains dans et avec la langue.

Quant aux littéraires, craignant que l'émotion, le symbolique et le mystère de l'art n'aient plus de place, ils ont tendance à regarder avec une certaine inquiétude ces linguistes, techniciens de la langue au cœur sec.

C'est pourquoi, après s'être détournée de la linguistique et du travail sur le signifiant, la critique littéraire est encore surtout interprétative. La " littérarité " est alors conçue non comme le résultat d'opérations langagières mais comme le simple produit d'une légitimation institutionnelle.

Le texte, objet d'art scriptural, disparaît au profit de son aventure lectorale.

Bref, linguistes et littéraires sont, chacun de leur côté, à juste titre mais pour des raisons inverses, persuadés qu'ils travaillent à l'avènement de ce qui est essentiel dans une société: la maîtrise de la langue et de la communication pour les uns, la construction de l'honnête homme et de sa culture pour les autres.

On le comprend, un tel cloisonnement empêche de penser l'articulation langue et littérature.

Pourtant, la linguistique est la seule discipline qui permette d'observer un texte littéraire à partir de sa matière constitutive, la langue, tandis qu'inversement, la littérature est un magnifique laboratoire d'expérimentation linguistique, à condition toutefois qu'on s'exerce à l'écrire et qu'on ne se contente pas de la lire.L’articulation lecture méthodique-écriture méthodique

C'est l'écriture d'un texte littéraire qui réclame en effet une intense réflexion sur le langage : en témoignent les manuscrits d'écrivains par leurs ratures et les écrivains dans leurs discours (correspondances ou journaux intimes).

Grâce à eux, on peut s'apercevoir que le texte littéraire, surtout lorsqu'il est fictionnel, est le lieu d'une liberté entendue comme le droit d'expérimenter toutes les de combinaisons, toutes les manipulations langagières que l'usage ordinaire exerce de manière cachée ou " subliminale ". Tout ce qui se passe dans l'ombre discrète de l'usage ordinaire du langage est grossi, théâtralisé par l'écriture littéraire.

Lorsqu'on en prend conscience, on ne s'en laisse plus conter aussi facilement.

Mais cela ne se produit que si l'on apprend à effectuer une lecture distanciée. Si l'on se contente d'une lecture primaire où les mots collent aux choses, d'une lecture référentielle qui promeut l'illusion réaliste, on demeurera toute sa vie un lecteur de collections, " de gares " pour qui lire, c'est vivre, on n'atteindra jamais ce moment de distanciation où l'on perçoit le texte comme un objet fabriqué. On manquera cette intense activité métalinguistique qui " décolle le mot de la chose " (selon la formule de Jakobson) et qui est la condition des progrès langagiers d'un individu car (toujours selon Jakobson) ces derniers " dépendent de sa capacité à développer un métalangage, c'est-à-dire à comparer des signes verbaux et à parler du langage ".

Dès 1924, Bakhtine avait mis en lumière les limites de l'identification, cette maladie infantile de la pratique lectorale :

" Le premier moment de l'activité esthétique est l'identification : je dois éprouver – voir et connaître-ce qu'il éprouve, me mettre à sa place, en quelque sorte coïncider avec lui (...). Mais cette plénitude de la fusion intérieure est-elle la fin dernière de l'activité esthétique (...) ? Pas du tout : à proprement parler, l'activité esthétique n'a même pas commencé (…).

L'activité esthétique ne commence proprement que lorsqu'on revient en soi et à sa place ".

C'est à partir du moment où le lecteur prend sa distance avec le texte qu'il conquiert la capacité de modifier ce qu'il lit, c'est-à-dire le pouvoir d'écrire.

On peut dire que tout scripteur est un lecteur qui a su adopter une écoute productive lui permettant de réécrire, en les transformant, les textes qu'il lit…y compris ceux qu'il vient d'écrire.

Art de l'aliénation, la lecture doit devenir art de l'altération, seul moyen pour un sujet de percevoir son altérité, et par là même, son identité.

C'est donc une écriture et une (re)lecture distanciée qu'il faut apprendre à effectuer ; une (re)lecture qui permet au sujet de ne pas faire corps avec son texte et d'accepter les modifications proposées par l'enseignant, sans percevoir cela comme une agression sur sa personne.

En apprenant ainsi à passer très rapidement d'une lecture fusionnelle à une lecture distanciée, l'élève pourra découvrir que si lire, c'est fictivement vivre plus, lire c'est aussi effectivement écrire un peu ou même beaucoup, vraiment, passionnément…

En écrivant ainsi la littérature, on sera amené à expérimenter tous les usages de la langue, sans exception.

On le voit, il est donc absurde de penser qu'il pourrait y avoir d'une part, un enseignement de la langue, et d'autre part, un enseignement de la littérature.

L'un ne va pas sans l'autre.Se relire pour découvrir l'autre

Chaque texte littéraire ainsi produit peut être perçu comme une variation langagière unique dont le code spécifique est à découvrir.

Et le plus étonnant est que l'auteur lui-même doit aussi décrypter le(s) codes qu'il a utilisé(s) sans le savoir. En apprenant à se relire, il apprend à démasquer l'autre en lui, à accepter cet étranger qu'il est à son insu.

Au contact d'une telle pratique, il s’habitue à chercher la norme qui régit les paroles de l'autre, à considérer comme normales les différences langagières et donc à mieux communiquer avec l'autre.Les obstacles

Mais proposer une didactique de la langue par un entraînement à l'usage artistique de celle-ci ne va pas de soi.
S'y opposent en effet bien des représentations :

– une idéologie du don (commu-nément répandue chez les littéraires) qui interdit toute didactique de l'écriture artistique ;

– une idéologie socio-institu-tionnelle du "littéraire " (commu-nément admise par d'autres littéraires) qui tend à occulter les caractéristiques linguistiques sur lesquelles on pourrait fonder la spécificité du texte littéraire.

– la formation de l'enseignant de français qui ne le prépare en aucune façon à être un enseignant d'écriture kkklittéraire ;

– l'absence de pratique artistique de l'écriture chez la grande majorité des chercheurs qui, de ce fait, abordent toujours les phénomènes étudiés du côté du lectoral ;

– l'absence des écrivains dans l'école ;

– les contenus des épreuves d'examens ou de concours encore massivement dominés par l'écriture informative/argumentative ;

– l'écrasante domination des actions lecture (sans réflexion sur le lien lecture-écriture) qui véhiculent une conception de la lecture de type " réaliste " ne favorisant pas la " créativité ".Pour une redistribution des tâches

Des pratiques de lecture et d'écriture méthodique dans toutes les disciplines

Il est clair que cette articulation lecture-écriture mise en place dans le cours de français doit aussi devenir fondamental dans l'enseignement des autres disciplines.

Cela signifie que l'enseignant de français doit collaborer avec ses collègues des autres disciplines pour les aider à effectuer, avec leurs élèves, une lecture et une écriture méthodique des textes relevant de leur spécialité. Ainsi, par exemple en histoire, en biologie ou en mathématiques, on pourra s'exercer à lire-écrire des passages de manuels scolaires.

Cela implique donc une prise en charge partagée par la communauté enseignante du rapport à la lecture et à l'écriture dans l'école.

Quoi de plus normal ? Pourquoi déléguerait-on au seul enseignant de français le rapport à la lecture et à l'écriture ? C'est trop pour un seul homme.

Mais si l'on agit ainsi, que restera-t-il donc à faire en cours de français ?


Spécificité de l’enseignant de français-lettres


Que reste-t-il de spécifique ?

L'apprentissage d'une réflexion métalinguistique systématique, appliquée à l'usage ordinaire du langage en liaison avec son usage artistique qui lui donne toute sa mesure.

Au lycée en particulier, si on ne rencontre pas la littérature à part entière, et cela avec l'ensemble des élèves, c'est toute une société qui risque de perdre le contact avec ses écrivains.

C'est en effet à partir de son entrée au lycée que l'adolescent atteint une maturité intellectuelle et affective lui permettant d'aborder les textes littéraires les plus élaborés.

Les cours de français doivent proposer un travail approfondi sur la littérature afin de former des lecteurs avertis et aussi afin de susciter quelques vocations d'écrivains…

Actuellement, les élèves de lycée acceptent de faire de la littérature parce que cela sert à passer le bac.

Dès qu'ils ont terminé leur épreuves de français, comme le prouvent les enquêtes, ils ne liront même plus un ouvrage de littérature par an…

Notre enseignement n'a pas su leur donner de vraies motivations.

Notre société perd sa culture. Tout se passe comme si l'homme de la rue n'avait pas besoin de connaître la littérature de son pays.

Pourtant, les enquêtes montrent que le désir d'écrire un livre est très répandu chez les Français qui regrettent alors de ne pas être en mesure de passer à l'acte.

Il faut bien le dire, l'école est aujourd'hui sans doute coupable de laisser se développer une paralysie des adultes face à l'écriture sous toutes ses formes.

Et lorsqu'elle tente d'y remédier, elle n'a pas assez d'ambition : elle n'offre pas à ses élèves le plaisir profond de la création littéraire, de cette rencontre difficile mais délicieuse dans et par la langue.

L’école doit donner les moyens d'écrire, de s'apprivoiser avec le langage, d'expérimenter ses limites et sa puissance.

C'est à cette seule condition qu'elle pourra offrir au plus grand nombre la joie que procure la mise au monde d'un bel objet d'art scriptural dans la compréhension active du langage de l'autre.

C'est à cette condition aussi qu'elle remplira véritablement sa mission d'éducation.

Cela suppose plusieurs modifications importantes : un changement des programmes, des méthodes, des épreuves d'examen et des manuels scolaires et de profondes modifications en matière de formation des maîtres.Vers de nouveaux programmes, de nouvelles épreuves d'examen

Si l'on admet de redistribuer entre toutes les disciplines le rapport à l'écrit et à l'écriture, il paraît normal d'accorder la priorité à l'usage artistique du langage dans l'enseignement du français.

L'objectif poursuivi sera alors la compréhension des textes littéraires (décodage référentiel, générique, stylistique, à la lumière de la linguistique, sciences de l'observation), leur interprétation (à la lumière des sciences de l'interprétation comme la sociologie, la psychanalyse, l'histoire, la philosophie) et leur production avec une attention constante :

– aux opérations linguistiques qui fondent la spécificité de chaque texte,
– au processus de production scripturale (examen des avant-textes et des manuscrits à la lumière de la critique génétique),
– au processus de production lectorale (étude de la réception d'un texte),
– à l’histoire littéraire entendue comme histoire du rapport à l'écriture et à la lecture littéraire au cours des siècles.Sur le plan méthodologique, on reliera toujours la lecture à l’écriture.

Et puisqu'il est permis dans Clés à venir de reconstruire un peu le monde tel qu'on le souhaite, voici quelques propositions à partir desquelles un échange de réflexions pourrait advenir.

Par exemple, au lycée, on pourrait reconstruire les programmes et les épreuves de la manière suivante :


Programmes pour le lycée

– Maintien des programmes actuels en matière d'étude de textes littéraires : du XVIe siècle au XXe siècle.
– Proposition d'une liste de questions et de problématiques en relation avec la lecture et l'écriture des textes littéraires.


Epreuves du Bac

L'enseignement de la langue étant relié à la lecture-écriture de textes littéraires, on ne maintiendrait à l'écrit que deux types de sujets liés tous deux à la littérature.

Premier sujet: Sujet d'argumentation autour d'une problématique d'écriture-lecture du texte littéraire (cf. questions au programme).

Deuxième sujet : A partir d’un texte littéraire (extrait ou texte bref):

– production d'un texte personnel sur une consigne d’écriture reliée au texte de départ (suite de texte, pastiche, transformation),
-- rédaction d'un commentaire composé.

Ces deux points sont intimement liés et permettent à l'élève d'exercer à la fois sa compréhension intuitive et sa compétence métatextuelle.

Suppression de l'épreuve de résumé qui n'a pas de lien évident avec la littérature.

Suppression de l'épreuve de composition française de culture générale, la culture générale étant testée aussi bien dans d'autres disciplines.

Quant à l'oral, il comporterait l'explication d'un des textes (littéraires) présentés par le candidat au nom d'un groupement de textes ou à partir d'une œuvre intégrale. L’explication serait l'occasion d'aborder une ou plusieurs des problématiques d'écriture- lecture répertoriées dans la liste des questions figurant au programme.


Contenu de l'enseignement


Dominerait la liaison lecture-écriture.

On accorderait la plus grande importance aux passages des Instructions Officielles de seconde (réimpression 1991) concernant la lecture méthodique et on insisterait sur son lien obligatoire avec des pratiques d'écriture méthodiques.

Pour cela, on peut reprendre, en la modifiant un peu, la phrase suivante:

" Les exigences d'une lecture méthodique ne doivent pas faire oublier que la rencontre avec les textes littéraires a pour fin d'aiguiser le plaisir de la lecture individuelle et de susciter chez l'élève non seulement une réflexion personnelle mais l'envie même d'écrire. " (I.O. 1991, p. 18) qui pourrait devenir:
" Les exigences d'une lecture et d'une écriture méthodiques ne doivent pas faire oublier que la rencontre avec les textes littéraires a pour fin d'aiguiser le plaisir de la lecture et de l'écriture individuelles et de donner à l'élève non seulement une réflexion personnelle mais également l'envie même et les moyens d'écrire ".

Dans cette optique aussi, on remplacerait la formule de la page 15 des I.O. :

" L’étude de la langue inclut celle de ses emplois littéraires, les textes littéraires offrent une matière remarquablement variée pour des travaux écrits et oraux. "

par

" L’étude de la littérature inclut celle de la langue dans ses emplois ordinaires, les textes littéraires offrant une matière remarquablement variée pour des travaux écrits et oraux. "

La didactique de la littérature comporterait :

– l’observation d’un texte (en tant que produit fini),
– l’observation de son processus de production scripturale (étude des avant-textes, les brouillons) et de son processus de production lectorale (étude de la réception d’un texte),
– l’interprétation du produit et des processus observés afin de mettre en lumière leur interaction, l’écriture d’un texte,
– l’apprentissage méthodique de la relecture et de la réécriture.

Tout cela afin que l’apprenti écrivain apprenne à être partie prenante d’une histoire littéraire toujours en train de se faire.On conserverait

– Le groupement de textes, mais il se ferait obligatoirement autour de questions d’ordre stylistique. Seraient exclus les groupements thématiques. Trois groupements seraient suffisants.
– L’étude d’une œuvre intégrale.
– La question d'ensemble (liée a la liste de problématiques au programme).On ajouterait

Entre la lecture des textes littéraires et l’écriture du commentaire composé, plusieurs pratiques intermédiaires de lecture et d’écriture méthodique, comme :

– écriture méthodique de textes littéraires en liaison avec la lecture méthodique,
– exercices de lecture et d'écriture de sujets de commentaire composés,
– lecture méthodique de commentaires composés,
– lecture méthodique de commentaires composés rédigés, afin de préparer la mise en écriture du commentaire composé à partir d'un plan.

Dans cette nouvelle optique, l’enseignant de français cesse d’être dans ses cours un homme à tout faire.
Il assume dans ses heures spécifiques un enseignement de la lecture et de l’écriture littéraire et à cette occasion, une réflexion systématique sur la langue dans tous ses usages.
Il aide les enseignants des autres disciplines, à mettre en place un apprentissage de l’écriture dans leur discipline.


Modalités de travail

– travaux en groupes hétérogènes,
– travaux par groupes en ateliers (dans le cadre des modules et après évaluation),
– activités d’écriture méthodique en atelier avec les élèves en difficulté,
– activités de recherche en atelier,
– expérience de partenariat avec des écrivains,
– travail interdisciplinaire sur l'écriture dans toutes les disciplines,
– pédagogie du projet d'écriture, travail des brouillons.

Cela suppose une nouvelle définition des modalités de l'évaluation des produits.


Vers des manuels d'un nouveau type


Si l'on veut travailler dans cette optique, il faut des manuels qui aient pour objectifs de :

– décloisonner orthographe-grammaire et mise en texte,
– réaliser la liaison langue et littérature,
– articuler lecture méthodique/ écriture méthodique,
– donner au texte littéraire sa portée linguistique et culturelle,
– prendre en compte les recherches actuelles dans ces domaines.

Cela signifie pour l’enseignant des outils permettant :

– une préparation rapide, efficace et allant à l'essentiel tout en lui laissant son libre-arbitre grâce à la présence des savoirs textuel et théorique nécessaires à une séquence didactique,
– le décloisonnement et l'articulation des contenus : l'orthographe, la grammaire devraient toujours être abordées en situation, la lecture et l'écriture étant en interaction constante,
– un usage des savoirs en contexte au moment précis ou la lecture du texte l'exige,
– une attention à chaque texte dans ce qu'il a de plus spécifique sur le plan linguistique,
– des propositions de productions commentées et évaluées pour chaque travail d'écriture proposé.

Cela signifie pour l'élève des outils permettant :

– une relecture aisée,
– le passage à l'écriture et l'élaboration de vrais projets d’écriture personnelle qui dépassent la simple application d'une recette,
– le travail à la maison en retrouvant l'essentiel du cours,
– une familiarisation progressive avec un discours critique que l'élève peut comprendre, parce qu'il est toujours donné " en situation ",
– l'acquisition d'une autonomie (en fin de livre sont proposées des solutions pour les consignes d'écriture),
– l'exploration buissonnière et buissonnante de multiples pistes…

C'est donc un véritable outil de dialogue entre l'école et la maison, l'enseignant et les parents, l'enseignant et l'élève, qui doit être proposé.

Si l'on observe les manuels (de lycée ou de collège) actuellement en cours, on peut remarquer qu'ils affirment tous à peu près la même chose dans leur préface : le décloisonnement des activités, la liaison lecture-écriture.

Ce n'est donc pas à partir de la préface que les enseignants peuvent percevoir les différences. Comment choisir ? Sur quels critères ?

Il faut avant tout observer comment ces principes sont appliqués.

Quand les groupements de textes sont thématiques, il est clair que l’attention à la matière verbale est moins importante que dans le cas où les textes sont regroupés en fonction de techniques ou de problématiques théoriques.

Si les textes sont des prétextes à des leçons de grammaire, cela veut dire que le rapport au texte n'est pas primordial.

Si on ne rencontre aucune formation à la réécriture-relecture, cela marque l'absence de prise en considération du processus de production scripturale.

De même, quand les illustrations sont en rapport avec la seule thématique des textes, on doit être déçu car il serait plus formateur de rencontrer des images dont la facture semblable à celle du texte éclaire les mécanismes mis en jeu.

Enfin, il faut remarquer que l'habitude empêche de prendre un recul critique.

Pourquoi se satisfait-on du manuel qui pose des questions vouées à rester sans réponse de la part de l'élève qui, solitaire, le feuilletterait ?

Pourquoi en collège se contente-t-on volontiers de questions de compréhension référentielle sur des textes littéraires dont précisément l'intérêt réside dans le travail de la connotation ?

C'est en effet dès le collège que l'on doit former les futurs lycéens lecteurs et producteurs de textes artistiques;

Pourquoi les auteurs de manuels de collège ne prennent-ils pas la peine de présenter leur lecture dans le manuel en utilisant le langage conceptuel qui sera ensuite demandé pour les dissertations en lycée ?

Pourquoi les manuels ne gardent-ils pas la mémoire de ce que le professeur dit en classe sur un texte, exactement comme un manuel de mathématiques qui permet la révision du cours à la maison ?


Conséquences sur la formation des maîtres


Il serait donc urgent de former les enseignants de français :

– aux pratiques artistiques du langage oral ou écrit,
– à lire-écrire avec leurs élèves,
– à connaître, afin de les utiliser en synergie, les diverses recherches sur les textes littéraires et leurs processus de production,
– à collaborer avec des écrivains, des libraires, des imprimeurs, des bibliothécaires,
– à être des personnes ressources pour l’apprentissage de l’écriture dans les autres disciplines.


DOCUMENT ANNEXE


A propos de deux manuels scolaires
Comme il ne suffit pas d'émettre des vœux, nous avons tenté de produire deux manuels de Français pour le collège (Ed. Hatier) qui correspondent à ces orientations tout en restant strictement dans le cadre des instructions actuelles. Il doivent être utilisé en articulation avec un livre de grammaire pour préciser les notions de langue abordées chaque fois dans un contexte textuel.
Leur présentation du manuel de sixième ici même permettra peut-être qu'on les regarde mieux, avec une attitude distanciée certes, mais en accord avec leurs présupposés.
Le manuel de Français 6e. (Collection lire-écrire ensemble dirigée par Claudette Oriol-Boyer), Hatier, 1994 (auteurs : Christine Duminy-Sauzeau, Yvette Faure, Daniel Grappin, Claudette Oriol-Boyer).1 - Structure du manuel de sixième
L'ouvrage est organisé selon une progression logique permettant de passer :
– d'un travail sur les micro-structures (la lettre, la syllabe, le mot, la phrase),
– à un travail sur les macro-structures (structure d'un récit, composition d'un poème, élaboration d'un dialogue, structure formelle d'un texte).
Il comporte plusieurs parties divisées en chapitres.
Les titres des parties sont significatifs : Rencontre avec le livre-La lettre et l'image (Du dessin à la lettre, De la lettre au dessin, Créer une métaphore, Portraits) - L'oral et l'écrit (Ecrire des sons, Les liaisons, De virgule en virgule, Un point c'est tout) - Le travail des mots (La nature dans l’île de la grammaire, S'apprivoiser avec le dictionnaire, Croisons les mots, Fabriquez vos définitions, Mots tordus pour tôt mordus) - Prose et vers (Ecrire en prose / Ecrire en vers, Un son qui revient, Des sons qui reviennent, Des rimes en chiasme, Des phrases qui reviennent) - Le récit (Comment finir ? Comment commencer ? A pas de géants) Dialogue et récit (Théâtre : de la page à la scène, Théâtre ou récit, Discours direct et discours rapporté).2 - Structure d'un chapitre
Chaque chapitre poursuit des objectifs d’apprentissage concernant la liaison lecture-écriture-langue. Il comporte :
– Un texte d'appui.
– Plusieurs parcours de la lecture-écriture.
– Trois temps dans chaque parcours :
. lire pour écrire (lecture méthodique),
. écrire (écriture méthodique à partir de consignes),
. réécrire (dans certains chapitres, à partir de textes produits par des élèves de 6e, il est proposé une relecture méthodique suivie d'une réécriture méthodique sur consignes).
– Une rubrique Lire encore invite à circuler dans le manuel et ailleurs sur le mode : Si vous voulez découvrir un texte qui… lisez…
– A la fin du chapitre un groupement de textes à lire. Ces textes sont choisis parce qu'ils mettent en œuvre des opérations d'écriture proches de celles que l'on a étudiées et pratiquées dans le chapitre.3 - Choix iconographique
Les images sont choisies essentiellement parce que leur construction fait écho aux mécanismes analysés dans les textes.

4 - Circulation: un manuel dont vous êtes le héros

La circulation dans le manuel est soigneusement programmée.
La formule magique des livres dont vous êtes le héros (Si vous voulez maintenant lire, relire, découvrir, vous familiariser avec… allez à la page xx), guide l'élève dans un parcours dont il se sent l'acteur.
Ainsi le lecteur est invité à circuler :
– l'intérieur d'un même chapitre : il est sans cesse renvoyé du texte d'appui au dossier de texte,
– à l'intérieur du manuel selon ses besoins ou ses désirs : des astérisques renvoient au lexique final, des incitations à la lecture le conduisent vers d'autres extraits ou d’autres chapitres,
– à l’extérieur du manuel, dans la bibliothèque du monde : des indications d’œuvres complètes figurent à la fin de la plupart des chapitres.
Grâce à ce système de renvois en étoiles proposés à la fin de chaque chapitre, l’élève est engagé dans la voie d’une culture sans frontières.5 – Responsabilité de l’enseignant
L’enseignant, quant à lui, trouve un support pour élaborer un cours qui suivra sa dynamique propre. Il préparera lui-même aisément les questions de lecture auxquelles le manuel répond. Il décidera la quantité de temps qu’il désire consacrer à un texte en ne travaillant pas forcément sur tous les parcours proposés. Il regroupera comme il l’entend des textes éloignés les uns des autres parce qu’ils se ressemblent. Il pourra choisir de s’attarder sur un des extraits présents dans le dossier de textes plutôt que sur le texte de départ.
Enfin, tout comme un enseignant de mathématiques ou d’histoire, le professeur de français pourra renvoyer l’élève au livre, pour réviser ou compléter le cours, raviver sa mémoire, faciliter son travail personnel.
Ce renvoi final à la lecture du manuel sera indispensable pour que l’élève rencontre, dès le collège, les bases du langage critique qu’on lui demandera de manipuler par écrit, dès son entrée en seconde, pour commenter un texte.