Antonio Vetri / Oublier Mulhouse

La Douceur dans l'abîme / le livre

le site de l'ARS Nancy

A Syracuse, ma mère travaillait dans un magasin d'exportation, de tomates et citrons.

J'ai commencé à l'âge de dix ans à travailler, ils m'ont fait laisser l'école pour travailler avec elle. Je me levais à une heure du matin, on commençait à deux heures du matin. On portait les caisses, et ma mère triait les tomates. On était cent trente, cent quarante. La pauvre maman, elle rentrait, elle faisait son linge, elle faisait à manger, elle faisait tout. Elle a quatre-vingt-quatre ans, maintenant.

Et des fois je ne rentrais même pas à la maison, je dormais dans le magasin.

Mais après, moi j'ai fait les fugues, plusieurs fois. À Bologne, à Turin, à Rome, Trieste.

Je me suis toujours arrangé. Avant, c'était pas comme maintenant, on avait plus confiance aux gens. On se débrouillait pour trouver à manger, à dormir, on ne faisait pas de mal. Quand je revenais à Syracuse, ma mère m'embrassait. Mais après, je repartais de nouveau.

A Turin, on était à cinq, on a fait un cambriolage. J'avais des sous, je suis parti à Lyon, puis je suis rentré. Il y en a un qui a parlé à la police, et ils sont venus jusque chez moi à Syracuse, me chercher. Ils m'ont pris. Je suis tombé en prison.

Sept ans pêcheur. Un petit bateau, on était à cinq, avec mon frère, le plus grand que moi. Nous on pêchait des espadons. On commençait l'après-midi, et on terminait le matin à cinq ou six heures. Après, dodo, et à trois heures, au boulot. J'ai travaillé, beaucoup. C'est pour ça que maintenant je n'aime pas aller à la pêche.

On allait jusqu'en Grèce, on manquait un mois. Il y avait cinq couchettes. Un qui conduit le bateau, et quatre qui dorment. On faisait le chargement, on revenait en Sicile, on vendait et on faisait le partage des sous. Maintenant je regrette d'avoir quitté ce petit bateau : Folgore, le fulgurant. Le patron, c'était un ami de mon frère.

La pêche au thon, ce n'était pas tout seul. Quatre ou cinq bateaux autour. On mettait les filets, les thons, ils passent par milliers, milliers. Et les pêcheurs, ils se jetaient pour prendre les thons dans les filets, et c'est une chose merveilleuse pour un pêcheur.

Il n'y a plus personne en France qui travaille avec les filets.

Je suis venu à Mulhouse. J'ai fait treize ans cariste, chez Peugeot, c'est-à-dire à donner du boulot aux autres. C'est un beau souvenir, mais après quitté Peugeot, ça reste ici.

Il n'y a personne qui vient, il n'y a personne que moi je cherche.

Je veux oublier Mulhouse.