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Didine |
Je vis dehors depuis il y a si longtemps.
Mes parents, ils habitaient rue Laflize, et après rue Mangin. Ça a été tout cassé, rue Laflize. Même la boulangerie n'y est plus.
A l'âge de douze ans, je faisais la manche, pour nourrir mon petit frère et ma mère. Avoir du pain, du lait, du sucre. A treize ans je dormais dehors. On était enfant. Je n'ai jamais eu froid de ma vie.
Juste avoir du pain, du fromage. J'avais des sous pour mon petit frangin, un litre de lait, une baguette.
A vingt ans, pour l'armée, j'ai été à Verdun, mais au bout de quatre mois, épilepsie, réformé.
Avant j'allais à Laxou, on faisait du bois, des cendriers, des bateaux, de tout, c'était bien. Mais quand j'ai eu mes crises d'épilepsie, ils ne voulaient pas me garder.
Faire la manche, et tout ça, et puis manger. Manger, boire et puis c'est tout. Avoir des clopes. Si je n'ai pas mon tabac c'est fini, je suis malheureux.
Des fois, ce n'est pas moi qui commande, ce n'est pas moi qui est en moi. Si j'ai envie de faire quelque chose, si j'ai envie de retourner la table, je retourne la table : c'est celui qui est en moi. Ça arrive, que je fasse quelque chose, il faut que je le fasse.
Là, pour l'instant, je reste tranquille, personne ne veut le croire, que j'ai quelqu'un en moi. On m'a fait des radios, ils n'ont rien vu du tout. Je pourrais tuer, même. Comme là, j'ai cassé un carreau. Ça ne prévient pas, pas du tout, c'est lui qui m'oblige à le faire.
Moi, ma vie elle est foutue. Parce que tout ce que j'ai sur le c–ur, ça va se perdre. Je ne peux pas dire tout ce que j'ai sur le c–ur.
Je voudrais bien retourner à mon enfance. Comment c'était avant.
J'en ai rien à foutre de la vie.