Des hommes remarquables

Jean-François Rosquin

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Je suis revenu à Nancy, parce que c'est mes racines. Je suis revenu à pied. J'ai rencontré un Algérien, un homme remarquable. J'ai vu une Estafette, une 4L qui faisait demi-tour. C'était la première voiture qui s'arrêtait. Il m'a interpellé : Les Français, ils te laissent tomber sur la route ? J'ai dit : Je vais à Nancy. Il répond : Je vais te monter jusque là-haut. Il y avait une bise glacée, et c'est cet Algérien qui me dit : Les Français ils ne te prennent pas en stop ? Je lui ai expliqué mon problème, je lui ai dit que je n'avais pas de solution. Il m'a emmené dans une station, café. Tu comptes t'en sortir? Bien sûr, évidemment, c'est mon pays.

 

 

Moi j'ai commencé mineur.

C'était mon parrain qui était mineur, j'ai vu dans mon enfance tous les mineurs sortir.

Dans ma famille, on a toujours été partageur. Les mines : Sancy, Anderny, Malavillet, Fontoy.

Je fais partie d'une grande famille, les de Wendel on travaillait pour eux. Mes oncles étaient des hommes remarquables.

J'ai eu une enfance, j'étais bien.

C'était à Sancy, à cent kilomètres d'ici.

Les voisins de palier, j'allais souhaiter la bonne année, je revenais avec cinquante balles. Ma grand-mère m'a dit : Tu les laisses là, tu iras chez le boulanger, tu t'achèteras des bonbons. Des gens qui étaient avenants. Tous mineurs. On a tous été au charbon.

Je suis descendu dans les mines, j'ai été effrayé. La mine, c'est l'impression de descendre dans un gouffre. Je n'ai pas stationné, je suis remonté et j'ai bien fait. J'avais entre dix ans et quatorze ans, avec mon parrain. J'ai dit : Moi, je ne suis pas une taupe. Il m'a dit : C'est le métier.

J'ai le souvenir des Italiens de mon village, pastacciuto à l'italienne. On était voisins, un coup on allait chez la personne, un autre coup chez l'autre personne.

Ma grand-mère avait un petit pécule. J'allais aux champignons, on prenait un rond de champignons, le panier rempli. La grand-mère : Tu nettoieras, moi je fais la popote, partage de boulot. De temps en temps je ramenais des pigeons ramiers. C'était l'époque où ce n'était pas interdit.

Les grenouilles, à l'épuisette. Dans le bac, et puis on les dépeçait petit à petit. Les escargots.

Ma grand-mère c'était Clémence Jung, luxembourgeoise. Elle ne m'a jamais tapé. Il y a des gens dans le pays qui essayaient de sensibiliser ma grand-mère pour que je ramasse une danse, elle ne m'a jamais mis une danse.

Mon père était manoeuvre, ma grand-mère n'a pas voulu que je sois manoeuvre. Dans le village, on ne pouvait pas faire de métier, c'était seulement les mines ou les aciéries.

Mais j'étais le dernier de la classe, dans mon pays, avec un agriculteur. Mais l'agriculteur il a hérité de son père. Moi je vais là-haut, il me dit : Là il y a à manger, tu restes là. Paysan et homme de la ville, ça revient au même.

Il y avait un curé qui me bastonnait. J'ai quitté le pays. Lui, le voisin discute, il nous mettait là-haut, et le curé, il passait, il nous fichait son poing dans la gueule. Des petits bambins comme ça, au certificat d'études.

Il faudrait qu'ils réfléchissent sur leurs trucs. J'étais en évasion de lycée, j'avais le maire et le curé qui me faisaient la chasse à l'homme. mais il y avait des remparts autour du village, je laissais tout ça derrière moi, mais deux jours après ils me ramenaient à Sancy.

Ma grand-mère : Tu l'as mérité, t'as fait le con. Mais elle a été discuter avec le curé, c'était le plaisir de taper.

Ma grand-mère m'a dévié, pour que je fasse des études à Nancy. Ma grand-mère est morte, mais s'il y a un septième ciel, elle doit regarder ça.

C'était Nancy qui m'intéressait. au niveau coup de pinceau, je suivais. J'ai suivi des cours de dessin, mais pinceau je suivais. De fil en aiguille ils m'ont laissé dans mon milieu.

Je suis arrivé à la Malebranche, avec des types sévères, mais réglo. Vous faites les cours, vous nettoyez. Maison Matisse, tous des grosses cylindrées. J'ai fait mon CAP de décorateur-peintre, et après j'ai fait autre chose.

Bernard Ramel, à Saint-Max, il faisait des tableaux, qu'il exposait à Sainte-Epvre.

J'ai été travailler chez Lagarde, des travaux à faire pour les Beaux-Arts, pas mal de trucs comme ça.

A l'extinction de ma grand-mère j'ai décidé de prendre mes ailes, tout en pensant à ma grand-mère, et à Félix, mon grand-père. Il n'y a jamais eu d'anicroche entre nous, parce qu'on est en famille. Maintenant, qu'est-ce qu'il me reste, des cousines, je suis obligé de faire un tour, c'est quand je vais à Trieu, en Meurthe-et-Moselle, pays de Maurice Ouvion, champion de saut à la perche, un homme remarquable, à l'époque c'étaient des perches en bois.

On a fait les campagnes, pas en temps de guerre, mais seize mois. Aucun problème avec les généraux, les chefs, les adjudants. A Nancy, avenue de la Garenne, en face du parc Sainte-Marie.

Je ne suis pas manoeuvre, j'ai fait les finitions du TGV Atlantique pour Alsthom à Belfort. Belfort, huit ans, des excellents copains, des excellents amis.

Il y a les balances qui racontent des tas de conneries, puis on est bec-de-gaz. On ne peut pas s'exprimer, et je ne suis pas allé me coucher, c'est pas mon rôle. Je veux bien discuter avec la personne, mais je veux pas être embêté sur la discussion.

Je n'ai jamais douté de rien, seulement il faut de l'amitié, de la compréhension.

Naturellement, j'étais en désaccord avec mes chefs, je suis revenu à Nancy, à Belfort ils ne m'ont jamais revu.

Un jour il faut qu'on parte, alors on part en beauté. On boit un coup, on part.

Je suis revenu à Nancy, parce que c'est mes racines. Je suis revenu à pied. J'ai rencontré un Algérien, un homme remarquable. J'ai vu une Estafette, une 4L qui faisait demi-tour. C'était la première voiture qui s'arrêtait. Il m'a interpellé : Les Français, ils te laissent tomber sur la route ? J'ai dit : Je vais à Nancy. Il répond : Je vais te monter jusque là-haut. Il y avait une bise glacée, et c'est cet Algérien qui me dit : Les Français ils ne te prennent pas en stop ? Je lui ai expliqué mon problème, je lui ai dit que je n'avais pas de solution. Il m'a emmené dans une station, café. Tu comptes t'en sortir ? Bien sûr, évidemment, c'est mon pays.

Sancy je n'y étais pas retourné depuis vingt ans. J'ai été attardé à Trieu, j'ai été mettre une gerbe sur la tombe de ma grand-mère. La seule voiture qui passait, ils m'ont reconnu. Ça a fait jaser dans le village.

Les gens du village, j'arrivais en pleine nuit, j'allais au cimetière sur la tombe de mes grands-parents. Il y avait toujours une voiture qui passait. J'allais sur la tombe de mes grands-parents, j'avais raison ? J'allais à la messe, aussi. Mais comme ma famille n'allait pas dans ce sens-là, je préfère des initiatives individuelles.

Je voulais m'inscrire à l'université, mais il me fallait deux mille balles. Il y a une grand-mère qui m'a dit : Écris tes mémoires. J'y songerai.

J'étais piégé par des gars qui étaient plus hauts que moi, mais plus cons que moi. C'était il y a huit ans. Le type il a voulu que je sois clochard, mais je lui ai prouvé que je ne serais pas clochard.

J'ai fait des chantiers de peinture. J'ai travaillé avec des grands. A Nancy, chez Ramel, c'était pas des manoeuvres. J'ai travaillé avec des maîtres, qui exposaient à Stanislas. Ils m'ont appris mon métier. Ils ont contribué que j'ai une place.

Il y en a beaucoup qui sont morts, mais six mois après, c'est resté dans le cerveau.

J'ai fait trois ans de rue, à Laxou. Le maire de Laxou m'a aidé, je tiens à le remercier. Je suis retourné au foyer où j'étais avant, quand j'étais élève, à Louis-Sadoul. J'ai été très bien aidé. Des gens qui m'ont évité des courants d'air. ils m'ont filé des couvertures.

J'ai continué mon, parcours. Pas au pied de l'arbre, mais au sommet, progressivement.

Là je suis obligé d'être au foyer, mais ils savent très bien que je vais repartir, je veux réussir ma vie.

En ce moment, je réfléchis à ce que je peux faire. Mais il y a une marge de sécurité importante.

Je laisse mijoter. Il n'y a pas de retard, rien du tout. Les mines ferment. Une ouverte de temps en temps.

J'ai bien la maison de ma grand-mère, mais je ne vais pas rester là, sans rien.