Michel Marcq / Pas demandé à venir au monde

La Douceur dans l'abîme / le livre

le site de l'ARS Nancy

Je n'ai pas demandé à venir au monde.

J'ai passé mon CAP à Nancy, et j'ai bossé chez Nordon, à l'époque ils faisaient école de soudure, c'était dans les années 1967. Après j'ai continué chez Nordon, chaudronnerie et grosse tuyauterie, pour les aciéries, et beaucoup pour les brasseries et l'alimentaire, grosse chaudronnerie.

En fait, je suis dans la merde depuis que je suis sorti de l'armée.

La prison. La première fois, mars 1968, six mois. Après, 1971, trente mois. Et la dernière fois, en 1975. Depuis, plus remis les pieds en prison, et inconnu des flics.

Ça, c'était pour mon père et ma mère, une vengeance. Ils m'ont rejeté : la taule c'était une vengeance, pour avoir mon nom dans le journal, et leur nom. Parce que mon nom, j'ai voulu en changer, on m'a dit non.

Je n'ai pas voulu naître, une erreur de la nature. Moi j'ai un nom, il n'est même pas français, il est belge, un nom de rivière.

Je travaillais encore pour Nordon, en déplacement. Ils m'ont envoyé à Denain, dans le nord, à Valenciennes, et à Pompey. Le plus long c'était à Denain. En Mobil Home. Les chantiers c'est impeccable, c'est là qu'on se fait les meilleurs copains.

Je commençais à en avoir marre. Quand il fallait rentrer dans les tuyaux. Puis pour en ressortir, attaché avec une corde aux pieds, et on tire. Les sorties des Cooper, l'air chaud qui repart dans les hauts-fourneaux, là-dedans on se promène, on ne sait pas où on va. Moi quand j'en ai marre c'est vite, fait, je prends mon sac et je m'en vais.

Là je me suis retrouvé tout seul. J'ai bossé à la Compagnie Electromécanique, je soudais les bobines de cuivre. Maintenant c'est Alsthom. J'étais en contrat indéterminé, je suis resté deux ans et demi.

J'ai eu cinq ans de répit, manúuvre, dans les travaux à publics, à Metz, chez Thépolt, travail souterrain pour les lignes électriques, ils enlevaient l'aérien pour mettre tout en souterrain, c'était marteau piqueur à longueur de journée.

Des boulots à la con, Luxembourg, Belgique, et l'Allemagne.

BMW, à Stuttgart, j'étais assembleur. On assemblait le châssis, à points de soudure par résistance. La machine passait, et bloum, bloum, bloum.

Forain, montage du grand huit, trois ans, de ville en ville, aussi bien ici à Nancy qu'au Luxembourg, en caravane. Pour ne pas être dans la rue. Aussi bien, j'avais mon toit, mon boulot, et un petit peu à manger. Il y a deux clans, les patrons, et les employés. Un patron forain, lui, il ne te traitera pas comme un chien. Sinon c'est comme à l'usine. Neuf heures tu laves, midi tu vas chercher à manger, après tu repars à deux heures, jusque sept heures, à sept heures tu repars, remanger. Chez lui tu payes pas. A l'époque c'était Super Railway, ils venaient de Strasbourg. Changement de propriétaire, fini.

J'ai bossé pour un profiteur, non, ce n'en est pas un, un mec qui t'emploie et qui ne veut pas te payer. J'étais à Charleroy, là-bas, Bench, et Bruxelles, manúuvre maçonnerie, payé à coup de lance-pierres. Huit mois.

J'ai foutu mon camp, je suis parti à Metz. Metz, c'était la galère la plus complète. La gare, il n'y a rien à Metz. On est foutu dehors à huit heures, et on rentre à six le soir quand ils veulent bien, et il faut payer cinq francs.

Après, c'était la déchéance la plus complète, je me suis amusé à aller de droite à gauche, et c'est là que j'ai commencé à avoir des accidents. Je me foutais de tout.

Valenciennes, j'ai perdu un úil, Belfort je me suis fracturé la colonne vertébrale et puis la rotule. Après j'ai eu droit à l'allocation handicapé adulte, à l'époque le RMI n'existait pas, sinon c'était la manche, ça a duré trois ans.

J'ai été me promener un peu partout, Besançon, Laons-le-Saulnier, Bourg-en-Bresse, Dijon, Valence, Aix-en-Provence, Avignon, Marseille, Montpellier, Béziers, et retour à Toul. Je prenais les trains de nuit, on n'est pas emmerdé, au moins.

Sur la route j'ai connu une copine qui avait sa famille à Toul. On en avait marre de coucher à droite à gauche, ses parents retapaient une vieille ferme, je faisais de la maçonnerie et du plâtre. Mais quand la maçonnerie a été finie, ils m'ont dit de partir.

Je suis revenu ici. Les tentatives de suicide. J'avais trouvé un meublé, j'appelle plus ça un squat amélioré, je payais deux mille balles de loyer, il me restait mille trois cent balles pour vivre. Ma dernière, la plus récente c'est l'année dernière. Je me suis tiré dessus, deux balles dans la panse. Les impacts, je les ai encore. Tout seul dans une piaule abandonnée. J'ai été à l'hôpital, trois jours après. Trois jours sans rien dire. Je voulais crever.

On n'a plus vite fait de se ratatiner que de remonter.