Un coeur en or, ou quoi ?

retour La Douceur dans l'abîme


Un jour, en 1983, j'étais à Cirey-sur-Vezouze. Et ce jour-là, de cette année-là, il y a eu une tempête à mort. Il y a eu des grêlons, tout, je me trouvais sous la flotte.

J'avais dix-neuf ans, vingt ans. Je vous jure, j'ai eu peur ce jour-là.

Parce que mon père m'avait foutu dehors. Et un jour je marchais sur la route, j'ai entendu la voix du seigneur, et les éclairs dans le ciel. Je parlais avec, tranquille : Dieu, tu veux me donner une image ? Montre-moi que t'es vivant.

Et je voyais des éclairs partout. Et je voulais aller me jeter dans la flotte.

Et ce jour-là, j'ai entendu une voix, qui me disait : Continue, mon pral. C'est : Continue, mon frère, en manouche. Tu iras loin.

J'ai fait deux cents kilomètres à pied. J'ai continué, j'ai continué, j'ai continué. Et au bout du rouleau, j'ai été voir les flics. Je leur ai dit : J'ai faim. Non, on n'a rien à manger.

J'ai continué, j'ai continué, j'ai continué jusqu'au bout.

Et j'ai senti qu'il y avait la frayeur dans moi. J'avais des frissons, tout.

On me disait, c'est le Diable ? Ou c'est le Christ ? C'était à Cirey-sur-Vesouze. J'ai réfléchi.

J'ai été à l'église, j'ai prié, j'ai embrassé les pieds du Christ, j'ai dit : C'est pas ça. C'était à Cirey-sur-Vezouze. Ils m'en veulent tous. Mais c'est pas ça.

On est tous les uns les autres dans ma peau, à moi. Vous êtes tous avec moi.

Depuis quinze ans, j'ai toujours ça dans la tête. La voix, je l'entends toujours. Je sais que Dieu est là, avec moi, maintenant. Si le monde vient à craquer, je serais là pour vous sauver la vie.

Si je peux faire venir le monde, je pourrais. Comme j'ai des moyens, je peux le faire venir. C'est moi qui peux refaire venir le monde. Signé : Jésus.

Je vais dire la vérité : si je n'arrive pas à refaire vivre le monde, ce sera la fin du monde. Dans tout le monde, il y aura une femme, et un homme pour refaire le monde.

On va tous disparaître. Moi je ne rigole pas là-dessus. Quand ils m'ont foutu dehors, j'ai vadrouillé, à droite, à gauche. Et c'est là que ça a commencé.

Et je continuerai jusqu'au bout.

Et même s'il y a le diable, avec l'alcool, je le tue. Il m'a bousillé au début, il m'a tué, et je ne meurs pas. Pourquoi ? J'ai un cøur en or ou quoi ? Va trouver ça. Moi je n'arrive pas à trouver, si j'ai un cøur en or, ou quoi.

J'entendais des voix, et Dieu me parlait. Il me disait : Continue, continue, ne cale pas !

Et il y avait du manouche, Dieu me parlait en manouche : Tchava, frère en manouche, continue ton chemin.

Et j'arrive toujours au même point. Et j'arrivais toujours à Cirey-sur-Vesouze.

Ici je les aime bien. Regardez les têtes. C'est mes frères.

J'ai le coeur qui va mourir, tellement je les aime bien.

Santiago Parilla