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dans l'attaque de "Sauver les lettres" contre l'écriture d'invention, ce qui passe à la trappe c'est la littérature contemporaine d'une part, la formation des enseignants d'autre part : et s'il était temps de déplacer un peu le débat ?

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au départ, cet amalgame du site "Sauver les lettres", dans une demi-page achetée dans Le Monde, et qui me paraît très insidieux

 

Citation : "Nous refusons que les élèves aient à travailler sur " un corpus de textes et documents " fourre-tout qui court d'emblée le risque de l'incohérence et de la médiocrité. Pas une seule fois le mot de littérature n'apparaît dans le projet de cette nouvelle épreuve écrite où, dans l'hypothèse la meilleure, les textes littéraires seront, de manière inadmissible, assimilés à de simples documents... Nous refusons " l'écriture d'invention ", exercice de collège qui par définition ne pourra faire pendant l'année l'objet d'aucune préparation donc d'aucune formation des esprits."

C'est la demi-page de publicité achetée dans Le Monde par le collectif "anti réforme" Sauver les Lettres...

La question est bien là : on est quelques-uns à prétendre que l'atelier d'écriture, ou l'écriture d'invention, est au contraire un vecteur puissant de transmission et de goût de la littérature.

Or, ceux qui mènent contre nous ce combat d'arrière-garde ont suffisamment de poids pour que, du moins c'est ce qu'on semble constater, personne n'ose plus envisager la moindre évolution... écriture créative, oui, mais à l'âge des culottes courtes, CM2 et 6ème: voilà où on en est.

Les enjeux sont pourtant de taille : réévaluation de l'enseignement de la littérature dans les facs de sciences, ouverture à la pratique créative dans les facs de lettres, présence des écrivains sur les campus, restauration d'un (tout petit) peu de littérature dans les formations de bibliothécaire et dans les IUFM...

Contrairement aux Etats-Unis, à la Suisse bien plus dynamique, et peu à peu l'Allemagne, on en est toujours en France au stade du bricolage, en particulier dans la formation continue des enseignants, et forcément c'est la totalité du débat qui en est faussée.

 

c'était mon bulletin du 10 avril - ci-dessous quelques réponses....

F. Bon

Cher Monsieur

Abonnée à la liste de diffusion de votre site, que je visite régulièrement, j'ai reçu ce matin un message dans lequel vous qualifiez d' "arrière-garde" le combat mené par le site "sauver les lettres", combat que vous semblez croire dirigé contre toute innovation et en particulier contre la pratique des ateliers d'écriture.

Bien que n'appartenant pas au collectif SLL (je ne suis pas totalement opposée à la réforme telle qu'elle existe en 2nde), il se trouve que je fais partie de ceux qui ont souscrit pour l'achat de cette page dans le Monde. Je l'ai fait en protestant contre le caractère outrancier de certains termes, mais enfin, je l'ai fait. Pourquoi? Pour fuir comme la peste le sujet d'invention? Peut-être, en tout cas tel qu'il m'a été présenté à travers l'exemple suivant:

"Rédigez une page de guide vert pour votre région"

Cet exemple (qui fut proposé au G.T.D.) a fait de moi une adversaire du sujet d'invention au bac, sujet pour lequel j'avais pourtant milité auparavant, notamment sur la liste "lettresd" (liste de débats de profs de lettres sur laquelle s'expriment, entre autres, des collègues de SLL). Le combat fut rude et je n'ai pas gagné (ni perdu, d'ailleurs)! Si cela vous intéresse, je peux vous envoyer une synthèse des échanges (bientôt disponible sur SLL). Vous y constaterez que des profs qui argumentent contre le sujet d'invention au bac s'y disent intéressés par les ateliers d'écriture, et que les arguments développés sont plus précis qu'un simple refus de toute nouveauté. Vous pouvez aussi aller voir la page suivante, consacrée aux sujets d'imagination:http://www.sauv.net/lecarme.htm Je crois qu'elle montre que ce collectif n'est pas fermé a priori aux sujets d'invention.

On nous impose un nouveau bac, mal ficelé, conçu dans la hâte et la division entre factions rivales, dangereux pour les élèves (jetez un coup d'oeil sur l'argumentaire à propos de l'oral, vous serez édifié), après une simulation de consultation. Permettez nous de le refuser, sans pour autant en déduire que nous sommes tous hostiles aux ateliers d'écriture!

Très cordialement

Anne-Françoise Dorbec

PS: J'ai inscrit mes élèves de 2nde à un concours d'écriture sur internet, concours organisé par les académies de Nancy-Metz, Besançon et Strasbourg. J'ai également invité un écrivain (que j'ai découvert grâce à votre site) à venir répondre aux questions de mes élèves sur l'une de ses oeuvres, que nous étudions en ce moment. Ceci pour vous montrer que les souscripteurs de cette page dans le Monde vont même parfois jusqu'à la mise en pratique..

oui, j'ai peut-être réagi un peu viscéralement à un amalgame qui me dérange quand même en profondeur, là où on a tant de difficulté à se battre pour réinstaurer un peu de formation à la littérature dans les iufm, et surtout, surtout, faire comprendre qu'initier les futurs enseignants de lettres aux pratiques créatives ce n'est pas affaire de recettes à appliquer, mais d'un minimum de traversée des oeuvres contemporaines majeures, d'Artaud à Novarina - question d'ailleurs qui jusqu'ici est symériquement évitée par le GTD

il y a évidemment dans "Sauver les lettres" des questions justes, par exemple ce qui concerne l'ahurissant contenu des dictées au brevet de collège, niveau CE1.. mais quels dégâts cause le bac français, combien d'étudiants en sciences ne lisent ensuite plus jamais... et quelles aberrations de programme, considéré ce qu'il y a de fort, de vital, de revigorant dans la littérature

et des questions fondamentales à poser, dans la division par siècles qui régit toute l'université

pour deux auteurs qui me sont essentiels, Rabelais et Proust, certainement la même misère

la position "anti réforme" conduit à un immobilisme qui certainement fera plaisir à l'institution, mais qui me paraît suicidaire

en tout cas, merci de votre message et de votre confiance
F Bon

Comme A.F.Dorbec, j'ai écrit à F.B. pour lui signaler la maladresse qu'il commet en employant, dans la lettre aux abonnés de son site, l'expression "ceux qui mènent contre nous ce combat ".

Voici une copie d'un extrait du message que je lui ai envoyé :

Dans ta présentation du dossier que tu mets en ligne à propos du "sujet d'invention", tu commets une maladresse : "ceux qui mènent contre nous". Attention, il y en aura pour comprendre "nous" = FB +ceux qui défendent les ateliers d'écriture partout et en milieu scolaire + Viala, Boissinot, Weinland, parce que "nous", c'est nécessairement toi, et les autres ce sont ceux de l'institution. Certains peut-être liront ton texte avec cette idée que tu donnes - et donc peut-être ne comprendront pas ta position d'à côté.

Sauver les lettres n'est pas seul à se sentir floué et à craindre ce que tu appelles "le stylo qui muse", la dérive, le grand pastiche.

La liste Lettres & débats indépendante de S les L va s'émouvoir, il va falloir tenir le cap.

Pour comprendre sa position, il faut lire le texte qu'il adresse à Viala intitulé Apprendre l'invention. Je ne saurais bien sûr expliquer mieux que lui sa position ; cependant, j'affirme qu'elle ne va pas dans le sens de celle de Viala. Il part de l'idée ( premier paragraphe) qu'il faut pour écrire aujourd'hui s'en référer aux textes contemporains - Beckett, Faulkner, Claude Simon, Michaux,... Il répète en quelque sorte que Zola et Maupassant, en écriture, sont morts.

Il évoque son expérience d'atelier d'écriture mené à la BN avec des enseignants et des documentalistes de l'académie de Versailles. Je comprends, j'y étais. Et décrit la solitude non pas des champs de coton, mais dans un coton bien plus sordide où sont laissés ces enseignants ensuite. C'est une solitude administrative. C'est pointer que pour "enseigner" l'écriture d'invention - et cette écriture-là est beaucoup plus engageante que celle que nous trouvons décrite dans les dociuments rédigés par Viala ou Weinland - il faudrait simplement augmenter les exigences, et offrir aux enseignants des occasions de rencontres et des occasions d'écriture, et créer des liens institutionnels avec des écrivains.Car pour faire écrire hors du pastiche qui ne dit rien du monde d'aujourd'hui, peut-être faut-il écrire dans ces conditions précaires qui sont celles de l'atelier d'écriture qu'il décrit fort bien ( par exemple : "on saura ponctuer quand on aura su, une fois, s'en passer"). Je renvoie aux contributions que j'avais envoyées l'an dernier au site Pages d'écriture, dans lesquelles j'ai tenté de décrire le phénomène :

http://www.chez.com/verotibo/ecrit/ressces/chantal1.html

http://www.chez.com/verotibo/ecrit/9900/sarc/cjulimpr.html

FB est optimiste, il en appelle à "un centre de ressources" animé conjointement par des écrivains et des enseignants ; moi, j'en vois l'utilité - et d'ailleurs certainement pas pour aller vers un sujet de baccalauréat, du moins tel qu'il est proposé par le GTD ! Il est optimiste car il est probable qu'un enseignant de lettres ne peut à coup sûr déclencher des textes de qualité, on ne décolle pas facilement du pastiche (dans ma seconde contribution c'est d'ailleurs ce que je me reproche !), on peut aussi bien sûr admettre qu'il ne se sente pas en cela à sa place. Pourtant il dit clairement à Viala que le stage de formation à la BN "a été considéré par le rectorat comme un supplément d'âme", qu'il n'a pas été reconduit, et que les questions concernant l'enseignement de la littérature " valent moins qu'un huit centième des préoccupations rectorales".

FB pense au-dessus ou par en dessous le baccalauréat, c'est une faiblesse, mais je veux y voir un élargissement et une force. Il pense, lui, littérature et je vous invite à lire son texte qui dit que "l'enseignement, pour valider la nécessité du recours au langage, et son organisation en forme de littérature, doit marcher du même pas qu'où la littérature s'invente".

J'espère ne pas déformer sa pensée en disant qu'il faut écrire pour lire, et non pas comme on le répète sans plonger dans l'expérience que pour écrire ( = maîtriser l'écrit), il faut lire. Mes élèves qui ont écrit ( mais je ne me suis pas permis de les évaluer par une note - sauf cette année en Seconde, mais à tatons) ont lu. C'est d'ailleurs toujours comme cela : en début d'année, je commence par me lamenter ( "savent pas écrire,...oublient les "s" au pluriel, en mettent au singulier - jamais compris -, utilisent une syntaxe impossible, ...") ; un jour, j'ai confiance : je leur confie l'écriture et ils écrivent ; ensuite, ils lisent et l'heure de cours devient un échange, n'importe quel cours, Flaubert et La Tentation de Saint Antoine, Kowalski, ...

Cela ne résout d'ailleurs que cela : l'écriture ( qui n'est pas rhétorique) et la lecture.

Bref, je me réjouis que le débat se poursuive aussi ailleurs. Qu'un écrivain défende l'écriture, qu'il adresse un texte lui aussi à Viala se saississant de "l'écriture d'invention" pour rendre public ce qui peut se transmettre, c'est un pavé au fond de la marre.

Pour simplifier : le sujet d'invention de Viala and Co est à pleurer ; FB s'en mêle pour dire autre chose de l'écriture et de l'enseignement.

Chantal Anglade (Sarcelles)

Cher François Bon,

Je vous approuve entièrement, et j’ajouterais à votre formule : “un vecteur puissant [de connaissance] de la littérature”.

Les critiques de cet exercice d’imagination évoquent, entre autres, l'impossibilité de l’apprécier et de le noter. La difficulté est réelle. Mais les exercices de création font bien partie, sauf erreur, des épreuves de certaines agrégations, par exemple d’arts plastiques. Et on est bien parvenu pourtant à évaluer ces travaux.

Le fond de tout cela, c’est peut-être le fait que les professeurs de lettres, trop souvent, croient que le destin de la littérature se joue dans la survie tel quel de leur enseignement. Or le destin de la littérature, si elle en a un, dépend d’abord des écrivains. Et, partout où quelqu’un écrit, dans le cadre des institutions d’enseignement et surtout en dehors, la littérature est vivante. Ainsi, au lieu de réserver “l’écriture d’invention” aux classes de collège, on ferait sans doute mieux de traiter les autres exercices, par exemple celui de la composition française, la fameuse “dissertation”, comme des exercices d’invention.

Pierre Campion (Ile et Vilaine)

Je vois dans les deux camps le même souci d´échapper à la médiocrité et à la trivialité dans l´enseignement des lettres. Ayant travaillé dans différents collèges en région parisienne, je ne peux pas dire que j´ai rencontré beaucoup d´enseignants passionnés par leur métier et par la littérature. Il me semble même que nombre d´entre eux détournent les gamins de la littérature (et ce n´est pas seulement de leur faute). Beaucoup ressassaient les mêmes auteurs et les mêmes sujets, ce que j´ai pu observer également en tant qu´élève de lycée. Visiblement, il leur manquait quelque chose comme une inspiration qui aurait dû leur être communiquée pendant leur études ou par des proches. Plus tard, pendant mes études universitaires, je me suis rendu compte que cela tenait certainement à un conditionnement mis en place par l´université elle-même, incapable d´aborder la littérature comme une expérience et une réelle ouverture au monde. On ne parlait que du texte et du style, et on se coupait ainsi des sources vives qui poussent quelqu´un à écrire. D´avoir constaté ce carcan universitaire dans lequel il fallait accepter de se tenir correctement – CAPES, agrégation - si l´on voulait avoir l´opportunité d´enseigner en lycée m´a conduit quant à moi à gagner mon pain autrement qu´en enseignant. D´autre part il me paraissait impossible d´écrire moi-même et de donner des cours où l´on m´imposerait plus ou moins un certain nombre d´auteurs et de méthodes que je n´appréciais pas. Aucun Etat ne devrait pouvoir décider de ce qui est à enseigner ou pas, comme aucun ministère de l´éducation ou de la culture de ce qui vaut d´être lu ou pas, au nom de valeurs souvent trop nationales et marquées par la mode.

Bien sûr qu´il faudrait davantage d´ateliers d´écriture, mais là aussi, pour y faire quoi ? Il me semble qu´au nom de la « créativité » on perd de vue que toute écriture – poésie ou prose – doit être orientée. Je veux dire par là qu´elle doit répondre à des impératifs qui ne sont pas simplement « littéraires ». L´écriture engage un rapport au monde, et l´invention serait là aussi de confronter des élèves avec une expérience du réel stimulante et neuve, expérience qui engage les sciences naturelles, la géographie, l´histoire, la philosophie. Pour ce que je connais des ateliers d´écriture, on en est très loin.

La question n´est donc pas entre : atelier d´écriture ou cours à l´ancienne, mais ce que l´on entend en général par « éducation ». La littérature et la pratique de l´écriture, vraiment réorientées, peuvent être des vecteurs puissants de connaissance et d´éducation.

Laurent Margantin

le site de Laurent Margantin

Le cul entre deux chaises

et c’est peut-être aussi pourquoi je me suis tenu debout pour faire cours trente-sept années de dépit et d’amour, sachant bien et voulant le faire entendre, que c’était ailleurs que ça se passait, ailleurs, c’est –à- dire hors des positions assises, des grilles et tentatives d’école pour réduire l’inconnu au connu, ce qui s’appelle pour les esprits sages, selon Nietzschze, " comprendre "... Colère, à l’époque, de lire dans l’avant-propos du Lagarde et Michard, et peut-être est-il encore en mains ici ou là, comment ils comprenaient, à quoi ils réduisaient, un poème ( paix à Baudelaire maintenant parmi les " morts, les pauvres morts " en compagnie de Mariette, l’un des quatre intercesseurs ) disant que Les Aveugles " serait moins vrai de nos jours où les aveugles se conduisent de plus en plus comme des voyants ", ce qui en dit long sur l’idée que ces deux astres se faisaient de la communication littéraire, " Contemple-les, mon âme, ils sont vraiment affreux ! ", du rapport de la poésie à la création, sur ce qu’ils prétendaient le " vrai " d’une oeuvre ; mais le vrai est que par force ils n’avaient pas lu Michon et ce qu’il dit du petit Banville, ils connaissaient seulement Thibaudet, et reproduisaient allègrement son commentaire d’Aube, qui est, n’est-ce pas, " seulement " une promenade matinale ou une rêverie – une manière de se pommader l’âme - quand tout le drame - entre autres choses à l’infini car, en compagnie des élèves, je n’ai jamais lu deux fois de la même manière ce texte – quand tout le drame donc de l’adolescence peut se sentir là, il n’y a qu’à confronter le texte à cet autre qui est comme son double, " Les déserts de l’amour ", expérience d’un " pauvre jeune homme qui veut la mort ce semble "... Et ce n’était pas que nous fussions tous contre tout axe de lecture, nous avions connu aussi des joies dans les livres de critique, aimé par exemple ce que Serres, il y a longtemps, c’est vrai, disait de Don Juan et du don, de Pascal et du décentrement, de La Fontaine et de la relation d’ordre dans sa série des Hermès, et tant d’autres qui nous ont appris à lire ; mais ce que tous disaient n’allait pas contre la vie, la portait au contraire, confrontant l’oeuvre à sa propre part d’inconnu et d’irréductible, nous renvoyant à la pensée de notre propre énigme ; la Littérature, on voulait le dire et le faire entendre, et c’était cela que nos bons maîtres nous avaient montré, car il y avait eu, il y a, de bons maîtres, n’a que de la vie à communiquer ou elle n’est rien ; de la vie, c’est-à-dire du rythme, et ce qui pousse nécessairement à prendre la parole à son tour, et à dire.

Mais le cul entre deux chaises, parce qu’il fallait " noter " aussi et " préparer au commentaire ", à la " dissertation ". Et il fallait tout autant donner les armes justes de la rhétorique, apprendre aux enfants à ne pas se laisser faire par les sophistes… Et alors, dira-t-on, qui notera vos textes d’invention, et selon quels critères d’évaluation.

Voilà bien le drame ! Qui possède les armes pour évaluer le plaisir du texte, plaisir du texte lu, plaisir du texte écrit, qui possède les critères d’évaluation du plaisir, qui notera la joie de trouver, le sentiment de soudain " y être ", qui dira, quand enfin on y est, dans le bon rythme : vous êtes dans le bon rythme ; et que cela vaut pour toutes les heures d’errance et de lecture à vue basse ; qui notera cela et comment.

Oui, le cul entre deux chaises, et l’ayant oublié quelques rares moments de grâce, quand on a pu partager, d’égal à égal, élèves et prof, devant la langue devenue promesse, que le sens du texte n’était rien d’autre que ce qui était advenu cette heure là, en ce lieu là, dans cette compagnie-là, et pour une brève vérité. Dans la communauté de la classe.

Alors on voyait se pencher des têtes vers la page blanche, ou revenir le lundi suivant avec une feuille à montrer. De certains, on entendra des échos plus tard.

Mais toujours, comme on voit, le cul entre deux chaises, même si on se sentait mieux là qu’assis.

Alors, vienne vite le temps de ceux qui savent comment conduire à l’écriture d’invention.

Jean-Marie Barnaud

 

Anne-Françoise Dorbec, une nouvelle intervention

Je ne suis pas certaine qu' on puisse établir un lien de cause à effet entre la forme actuelle du bac de français et un désintérêt des étudiants en sciences à l'égard de la littérature. Je ne suis pas même sûre qu'il y ait corrélation. Il me semble que le phénomène est plus ancien et plus complexe. Mais peut-être disposez-vous de données que j'ignore? En tout cas, vous m'accorderez, je pense, qu' un sujet d'invention genre "guide vert" n'y changera pas grand chose!

J'aimerais que vous nous disiez si vous jugez opportun de proposer un sujet d'invention au bac. Si oui, pourquoi? Comment le concevriez-vous? Quels critères d'évaluation? Comment mettre une note à un texte qui sera peut-être plus chargé affectivement et plus symbolique du moi qu'un devoir traditionnel? Comment éviter, d'autre part, que le sujet d'invention devienne le "sujet-refuge" d'un grand nombre de "fumistes", ou que sa préparation se transforme en "bachotage" de "recettes" fournies par des éditions parascolaires ou des profs emplis de zêle? Comment y préparer les élèves? Dans quel cadre horaire, si l'on ne veut pas délaisser les exercices traditionnels de commentaire et de dissertation (nos horaires ont été diminués...)?

Je viens de vous résumer les arguments de mes collègues lors du débat évoqué dans mon précédent message. Ils ne sont pas négligeables! Je crois que tout réside dans le choix des sujets et des critères d'évaluation, qui devraient être conçus de façon à éviter au maximum ces écueils, en même temps que dans la mise en place d'une structure de préparation (heures, contenus). Cela suppose une réflexion approfondie et de sérieuses et nombreuses expérimentations... Un passage en force, avec sujet débile, n'est certainement pas la solution! Qu'en pensez-vous?

A-F. D.

nota : Alain Viala, consulté, dément formellement avoir jamais proposé cet exemple de faux "Guide Vert" comme thème de "sujet d'invention" - j'ajouterai personnellement qu'un remarquable livre de fiction d'Alain Nadaud, L'Iconoclaste, Quai Voltaire, 1989, se présente sous la forme de la reconsitution d'un ancien guide Baedeker des ruines d'Istambul, et qu'on trouvera dans Espèces d'Espaces de Georges Perec une formidable proposition d'écriture de faux guide touristique londonien - les questions formelles posées par "Saint-Tropez" de Nathalie Quintane, chez POL ce mois-ci, prouveraient aussi que cette notion d'écriture "à contraintes", narration fondée sur l'acceptation d'une réalité pré-existante, est un thème d'écriture fondamental et très riche : le passage de "A la Recherche du Temps perdu" où Proust fonde l'illusion de réalité de son Balbec imaginaire par les étymologies de Brichot en est un autre exemple... ce contre-exemple, tendant à désinformer sur les enjeux du travail de Viala avec une caricature qui lui est étrangère est donc particulièrement mal fondé... à condition, là encore, de savoir présenter l'exercice et d'en définir les enjeux - FB

 

L’école et ses vacances, par Bruno Tackels

Enseignant en Arts du Spectacle,
Responsable des ateliers théâtre de Rennes 2

Même en périodes de vacances (ou peut-être grâce à elles), je me sens concerné par les affaires scolaires – surtout quand elles font débat, comme ici, sur la question des "inventions d’écritures" dans l’enseignement du français. Je tiens à dire, d’abord, que ce sont les mots de Jean-Marie Barnaud qui m’ont touché, et donné la force, l’exigence d’écrire, en ce jour Pascal, sur ces questions scolaires.

Voilà déjà une manière de dire quelque chose, comme préambule au débat proposé par François Bon. Oui, les mots vont vivre, donnent envie de vivre, oui les mots sont notre medium, vecteur, levier, mode d’adresse pour dire, propager, faire voir et entendre, et comprendre. Ces mots là, nous devons les protéger, les aimer, empêcher qu’un catafalque vienne les paralyser en discours paresseux. Oui, quelle que soit la discipline enseignée, pour nous, enseignants, la force vient de la langue. Il importe donc de la garde vive, et d’en faire autre chose qu’un pure outil communiquant. Il importe que nous aimions les mots, et que nous inventions, par eux, avec eux, les modalités de transmission des savoirs.

Inventer les modalités pour la transmission des savoirs. Voilà d’une formule condensée l’idée qui m’anime, et me "tient debout" depuis onze ans que j’enseigne.

Le débat ne peut être dans l’opposition binaire jouant l’invention contre la compréhension, l’écriture contre la critique, l’enseignant contre écrivain, la rigueur scientifique contre le spontanéisme de la poésie. Ces schémas sont moribonds, et personne n’a raison, s’il pense devoir défendre l’une ou l’autre de ces forteresses. Car, comme leur nom l’indique, elles appellent un enfermement, les forteresses. L’enseignement n’est pas (ou ne doit plus) se vivre comme un lieu d’enfermement (pas plus qu’il ne peut se contenter d’une revendication du tout est permis, possible, pensable). Ces schémas, décidément, ne sont plus possibles, ni pensables. Ils ne devraient plus être permis…

Il est temps de poser de nouvelles bases, de nouvelles rencontres, à commencer par les lieux de formation des formateurs, globalement entièrement prisonniers de cette logique d’enfermement : il faut donner aux futurs enseignants le désir de faire passer leur savoir en lien avec les écrivains. Car au fond les uns comme les autres défendent la même vie – les uns l’inventent, les autres la transmettre. La seule différence tient dans les délais d’émission. La transmission se fait en général avec retard par rapport à l’invention. Comme s’il fallait une génération pour être vraiment bien sûr que cette écriture est digne de s’enseigner.

Exemple : aujourd’hui, un enseignant de collège, de lycée ou d’université peut tenter d’intégrer l’oeuvre de Valère Novarina dans ses cours. C’est périlleux, incertain, difficile – mais c’est globalement possible. Joris Lacoste quant à lui, de vingt ans son cadet, n’est pas "enseignable" n’est pas aujourd’hui enseignable dans l’éducation nationale. On pourrait multiplier les exemples à l’infini. A chaque fois la même logique : comment s’assurer qu’un corps vivant donnant lieu à de la vie va pouvoir s’intégrer au corps (mort) de la littérature à transmettre ? Là réside la vraie question, dans toutes ses cruautés. Mais elle ne se tranchera certainement pas en demandant aux enseignants de savoir aujourd’hui qui seront les panthéonisés de demain. Voilà encore un schéma d’hier. Il est beaucoup plus juste de prendre les choses à l’envers : parmi tous ceux qui écrivent, beaucoup (beaucoup plus que prévu) souhaitent confronter leur pratique d’écrivain avec des classes, en partenariat et en dialogue constant avec les enseignants permanents (sur le mode de ce qui se passe pour les classes avec mention théâtre). Ces confrontations, si elles se passent vraiment (c’est-à-dire en vérité, à l’aune de vérité d’une réelle exigence de l’art, et de celui qui le porte), ces confrontations entre l’art et l’école ne déforcent en réalité personne. Bien au contraire. Elles montrent clairement aux élèves l’exigence de l’écriture (sans leur faire croire qu’ils sont des génies ou qu’ils ont forcément du talent). Quant aux artistes et écrivains, on constate qu’ils y apprennent beaucoup, eux aussi. Et qu’ils aiment venir en ces lieux pour y découvrir d’eux-mêmes, au-delà du don qu’ils y font.

La question de la "note" n’a du coup plus vraiment de sens. Le travail d’écriture posé par chaque élève (et surtout pas de façon optionnelle) devient l’une des strates du travail conduit dans le cours de français. Strate qui peut (qui doit) donner lieu à un avis, un regard, une impression de l’écrivain-pédagogue – mais qui ne peut se ramener à la note d’évaluation traditionnelle. Autrement dit, il me semble que ce type d’acte doit nécessairement être doublé d’une autre activité pédagogique (conduite par l’enseignant-titulaire), fondée sur des méthodes et structures plus repérées, mais en lien avec cette expérience d’invention par l’écriture. Les deux champs doivent pouvoir dialoguer, et très naturellement. Avec un bémol, évidemment cruel : il faut que la rencontre ait lieu, et bien lieu entre l’enseignant et l ‘écrivain. Sinon, l’écriture et le savoir continueront leur divorce interminable.

Voilà donc quelques remarques, à chaud, suite à ma lecture de ces premiers linéaments de débat sur une question brûlante. Une question que je ne connais pas très bien dans les lycées, mais que je fréquente assidûment depuis six ans dans l’université (où les questions se posent en fait de manière très proche).

Il est évident que ces débats sont urgents et précieux, car il y va de la sur-vie de la littérature, et du désir qu’elle suscite, et des forces qu’elle donne. Quelle que soit le niveau dans les eaux du savoir, on comprend mieux les choses quand on a touché du doigt, même d’un doigt petit. Oui le savoir, avec ses pleins et ses formes entières, a sans doute besoin du vide, et de ses vacances improbables – école et vacance, l’art avec le savoir, et non plus contre. Cette intuition simple est en train de faire son chemin . A nous d’inventer les étapes suivantes. Sortir de l’entre-deux inconfortable (le cul entre deux chaises dont parlait Jean-Marie Barnaud) pour assumer de passer le gué, ensemble.

Bruno Tackels

et réponse de Jean-Marie Barnaud à Brunot Tackels

S'il s'agit en effet non plus d'opposer les deux forteresses de l'invention et de la critique (Ah Guillaume, notre ami, qui déjà jugeais, dans ta Jolie Rousse, cette longue querelle de la tradition et de l'invention, de l'Ordre et de l'Aventure) mais de tenter de les joindre, deux petites choses encore :

Un :

- montrer aux élèves que la position critique qui, observant un produit fini, en cherche les lois de fonctionnement n'est qu'une posture parmi toutes celles que la lecture autorise; que, comme je le disais l'autre fois, il n'y a de sens qu'à partir du geste qui s'approprie le texte et le réinvente, le maître étant là pour garantir qu'on ne s'égare pas dans la voie des faux-sens, et pour éclairer ledit geste par sa propre connaissance du corpus général de l'auteur et des conditions historiques, voire biographiques de la genèse, parce que, quand même, lire, c'est aussi apprendre à percevoir les différences et l'altérité .

Deux :

- faire comprendre que inventer, c'est découvrir à mesure qu'on va. Et là, offrir les textes incontournables. Et Montaigne, qui en a dit sur ce sujet, Pascal, Mauriac, Simon, Duras etc. parmi tant. Aller, comme dit Apollinaire, à l'aventure ; ou Char : " trouver la réalité de ces poudreuses enjambées qui livrent un printemps derrière elles ", parce que toute écriture d'invention est peut-être bien dans son essence aphorisme. Et voyez ce que dit Deleuze dans Nietzschze et la philosophie sur cette figure.

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copie de mon envoi par e-mail le mardi 17 avril

C'est un crime qu'on prépare

dit Bertrand Poirot-Delpech, dont les coups de gueule de grand marin sont habituellement plus positifs, et qui prend au pied de la lettre le manifeste "en haine"... quand on vous dit que cela fait du dégât, et que, de notre côté, ne pas répondre serait vraiment signifier tendre la nuque - voilà la citation exacte du célèbre et estimé chroniqueur académicien, telle que la transmet Anne Roche (Univ Aix-en-Provence, co-auteur du classique "L'atelier d'écriture", Albin-Michel)

A R : Je trouve ceci dans Le Monde du 11/O4/O1, signé Poirot-Delpech, intitulé "Chers défavorisés" (je ne recopie que la dernière colonne, qui nous concerne):

"Chers Défavorisés,

Si ça se trouve, vous allez entendre parler d'un nouveau programme au bac de français. Méfiez-vous !
A l'abri du jargon technico-vasouillard dont la pédagogie a le secret - corpus, travail d'écriture, problématique, argumentatif - les théoriciens et les bureaux du ministère rêvent d'éliminer l'enseignement de la littérature française et de ses beautés, réputées des vieilleries inégalitaires.

Sans que ce soit avoué tout à fait, l'enseignement secondaire, comme le supérieur avec ses filières au rabais, croit vous faciliter la tâche en effaçant l'atout qu'offriraient, face à la fréquentation des chefs-d'oeuvre, des naissances plus dorées que les vôtres.

Sachez seulement que, sous couvert de rééquilibrer les chances de départ, la réforme les aggraverait définitivement. Plus que jamais, l'élite se recruterait parmi les enfants nés avec des "Pléiade" au salon. La République tendait à obtenir que Racine et Molière illuminentégalement les carrières et les existences de tous. Une démagogiebrouillonne veut vous priver de ce droit et de ce bonheur, vous les premiers.

Cela s'appelle un crime."

(Fin de citation).

Plus rigolo

ou plutôt, plus "Jibelo" puisque c'est sous ce doux pseudo que côté "Sauver les lettres" on s'offusque de la discussion lancée ici - je devrais, à croire "Jibelo", accepter sur mon site des arguments de personnes qui se refusent à cette élémentaire politesse du nom - leurs arguments, dont ce manifeste "en haine", sont accessibles sur le site "Sauver les lettres" - la discussion entamée via Barnaud, Tackels, Anglade et les autres chez moi devrait avoir une autre tenue - quand même le message Jibelo, d'où il apparaît surtout qu'un auteur n'étant pas professeur, ses arguments sont irrecevables - dont acte - mais qu'on compare le manifeste "en haine" à la défilade ci-dessous, on comprendra que, là aussi, et puisque apparemment il ne faut pas attendre de prise de position côté ministère, à nous de réagir
(ci-dessous message signé "Jibelo", auquel j'avais seulement répondu qu'ouvert à toute discussion, mais pas sous pseudo)

"Réaction d'humeur, à chaud.

François Bon, contacté vendredi, semblait intéressé par un message que je lui proposais (où je lui précisais que personne ne contestait le recours à *l'écriture* d'invention, que l'expression dans le texte du Monde était malheureuse, que tout le monde en conviendrait aisément, que le débat portait sur le *sujet* d'invention, et je lui citais les programmes belges qu'Anne nous a communiqués).

Quand je lis les messages qu'il publie sur son "forum" (modérés selon quels critères ?), je comprends mieux. M. Bon a décidé de jouer les arbitres et de distribuer lui-même les arguments. Je me moque que mon message ne soit pas passé, mais je constate, par exemple, que les messages d'A-F. Dorbec subissent un traitement comparable, avec ce droit de réponse automatique de F. Bon, et ce refus de poser le débat dans d'autres termes que les siens (quelle étrangeté, quand même, que nous cherchions à placer le débat dans le cadre de l'examen ! de quel droit nous en inquiéter, franchement ?).

A y bien regarder, c'est même assez déprimant : parce qu'il fait du bon travail dans ses ateliers d'écriture (me semble-t-il, sans y être allé voir de près), il croit détenir la vérité sur la question du sujet d'invention, et il le défend comme on défend une chapelle. C'est comme d'autres avec l'argumentation, la génétique ou la sociologie de la littérature : parce qu'ils ont consacré une partie de leur vie à cette question, il faudrait que tout le monde s'efface devant leur spécialité, leur petit fonds de commerce.

C'est là que je m'interroge : a-t-il jamais enseigné, ce M. Bon ? Ou est-ce encore une de ces personnes qui, pour avoir été élèves, croient savoir ce que c'est qu'un prof, que l'enseignement ?

Et de quel droit se permet-il d'arbitrer ainsi un débat avant tout pédagogique ? Le débat, tout le monde peut et doit se l'approprier, certes ; mais peut-être pour cela faudrait-il d'abord écouter l'avis des "praticiens", ces premiers experts que sont les professeurs, non ?

Bien cordialement,

J.Baptiste

NB pour être bien clair : personne, je crois, ne contestera à M. Bon qu'une "écriture d'invention", réalisée à partir d'une consigne bien choisie et au terme d'une activité bien menée (ce qui, tout de même, est loin d'être évident), est susceptible de donner ou de renforcer le goût de la littérature. Personne. Le débat lancé ressemble donc bien, à mon sens, à un faux procès. A qui profite-t-il ? Faut-il chercher bien loin ?"

- fin de citation -

à qui cela profite, donc, de publier dans Le Monde des expressions qu'on juge, le lendemain, "malheureuses" ?

retour à l'envoyeur....

- et puisqu'on me reproche de répondre, je peux rajouter encore une réponse : ils apprécieront, les amis enseignants qui se lancent dans l'écriture créative, en particulier là où enseigner est le plus dur, qu'on les renvoie à ce "petit fonds de commerce"...

pour ma part, position claire : dans ce risque de faux antagonismes, revenir à ce qu'ébauchait Bruno Tackels (Rennes 2) : passage obligatoire par renforcer l'usage du meilleur contemporain dans le dispositif d'enseignement

- très simplement parce qu'on bascule d'un coup une position essentielle, le changement de statut du référent textuel - le référent qui travaille sous le texte contemporain étant bien entendu celui aussi de l'élève lecteur - qu'on leur lise à voix haute n'importe quelle page de Vous qui habitez le temps, de Valère Novarina, qu'on lise Lambeaux, de Charles Juliet, ou C'était Nous, de Pierre Bergounioux, lequel use régulièrement de Pylône, de Faulkner, avec sa classe de cinquième

- ce qui est changé, c'est que le geste littéraire, poétique ou narratif, n'est plus posé comme muséal, mais dans un rapport de nécessité de l'écrit au monde, via ce geste

- et cela d'autant plus aujourd'hui, voir les prodiges qu'accomplissent les enseignants en LEP, que ce référent n'est pas nommé dans le corpus littéraire, parfois même pas nommé dans les pratiques du quotidien - mais pour savoir comment utiliser ce matériau contemporain, comment et où piocher dans Artaud ou Ponge, c'est l'ensemble de la chaîne qu'il faudrait non pas bousculer, mais infléchir - on en est à revendiquer seulement une chance minimum de faire exister ces richesses : pour moi, en 4 ans, une bonne douzaine de stages de 3 jours avec des enseignants du secondaire, une belle expérience de 2 ans à la BNF qui faisait exception et n'a pas été reconduite - on nous fait intervenir sur toujours le même parcours d'initiation, aux 4 coins du territoire (non, non, pas le rectorat de Picardie, quand même)... bricolage complètement disproportionné aux enjeux, aucune ouverture vers une vraie recherche ou thésaurisation des outils - la prime partout et toujours à l'immobilisme... alors oui, le manifeste "en haine", vraiment de quoi se mettre en colère, même si pas les moyens de se payer une demi-page du Monde pour répondre sur le même registre

FB

Monsieur,

Je vous prie de bien vouloir publier le droit de réponse suivant.

Vous publiez sur Remue.net, sans mon autorisation, un message privé, en lieu et place d'un message précédent nettement plus constructif. Au passage, les programmes belges, une merveille d'équilibre pourtant pour la question qui nous occupe, passent à l'as. Voudrait-on disqualifier d'avance un interlocuteur et ses positions que l'on ne s'y prendrait pas autrement.

Comment, dans ces conditions, vous étonner que l'on ne souhaite pas décliner son identité complète dès l'abord ?

Vous ironisez sur mon pseudo. Je n'ai pas à m'en justifier. Notez seulement qu'il y a là un curieux manque d'équité : je vous avais donné mon nom (je ne me "cache" donc pas), mais en préférant que vous ne le mettiez pas ; et j'avais accepté que vous fassiez apparaître mon prénom et mon email. Or, je vois sur votre page (ce mercredi matin encore) que vous avez déjà publié un message de soutien ne comportant ni nom, ni prénom, ni courriel. Y aurait-il donc deux poids, deux mesures ? C'est manifeste.

En privé, vous vous justifiez en avançant que votre page vous appartient, qu'elle est un peu votre jardin, que vous souhaitez y conserver un peu d'harmonie. Je comprends ce souci. Mais mon premier message, sur le sujet d'invention et les programmes belges, n'avait rien de particulièrement polémique. Je vois mal en quoi il était en mesure de rompre une harmonie.

Si ce n'est, peut-être, une harmonie idéologique.

Par ailleurs, pourquoi intituler votre page "forum", avec le titre "exprimez-vous", si ce n'est pour donner l'image d'un lieu de débat libre et indépendant ? Vous voulez un débat, mais, comme le ministère, vous refusez que des gens le posent dans d'autres termes que les vôtres. Est-ce bien cela, l'exercice de la démocratie ? Je m'en faisais une autre idée. Les grecs avaient inventé la notion d'espace public. Dommage que votre forum, lui, se réclame du jardin.

Quant à la question de l'harmonie, sachez que pour avoir pratiqué l'écriture d'invention dans plusieurs classes, avec 30 élèves à chaque fois, qui tous voulaient parler de sujets qui leur tenaient à coeur comme la violence de l'institution scolaire, la misère des SDF, le racisme, l'inceste ou la shoah (vous imaginez comment "reprendre" cela, sans y passer un mois à chaque fois ?), j'ai une petite idée de ce que c'est, le désir d'harmonie. Et je peux vous dire que l'enseignant a rarement les moyens de la préserver, pour lui-même, jusqu'au bout. Et que la promotion du sujet d'invention, censée pacifier les lycées, risque bien de produire l'effet inverse, faute de pouvoir aller jusqu'au bout de l'idée (faut-il préciser, encore une fois, que je ne parle en rien, ici, d'ateliers d'écriture, avec des élèves volontaires ?) ; ou alors de dégénérer en application mécanique de recettes.

Quant à l'expression "écriture d'invention", que j'ai dite malheureuse, le contexte (l'EAF quand même !) et la référence au site ne devait pas permettre les malentendus que vous avez faits. C'était une concession que je vous faisais, la reconnaissance d'une éventuelle maladresse, mais nullement d'une erreur. Nous ne refusons pas l'écriture d'invention en soi, c'est sa valeur certificative que nous refusons. Etait-ce si compliqué à comprendre ? Pourquoi continuer à faire comme si nous parlions des ateliers d'écriture quand nous ne parlons que du sujet d'invention à l'écrit du bac de français ?

En vous présentant donc mes sincères regrets si j'ai pu vous troubler, mais plus que jamais stupéfait par votre façon d'arbitrer le débat, je vous prie d'agréer, Monsieur, mes sentiments les plus dévoués au service de l'Education nationale.

J.Baptiste
mailto:jibelo[@]autonomie.org

Qu'avons-nous à perdre ?

Yves Ughes (Grasse)

Je ne prendrai pas appui sur les vingt-cinq ans d'enseignement que j'ai derrière moi. Tout simplement parce qu'ils sont légers, faits de ces bonheurs à la fois intenses et volatils que l'on ne peut enfermer dans un quelconque système. Ma démarche se limitera à un témoignage s'inscrivant dans l'année scolaire en cours.
Nous le savons tous : enseigner la littérature demande des reins, de la tripe et de la sueur ; quel que soit le parcours établi, nous ne pouvons faire l'économie de la passion. Dans un monde de pouvoir froid, de langages mathématiques et économiques, les textes littéraires provoqueront toujours le rejet, dans un premier temps. A nous de trouver des voies pour passer notre lot. Faut-il figer nos pratiques, au nom d'un hypothétique niveau à conserver ? Peut-on trouver de nouveaux passages sans tomber dans la facilité et le laxisme bon marché ? Ces questions se posent à tout enseignant confronté aux nouveaux programmes. On ne peut les aborder sereinement si l'on ne s'impose pas d'entrée le rejet de d'attitudes négatives et séduisantes. Il nous semble important de refuser l'amalgame associant atelier d'écriture et maison du bricolage. Comme il nous paraît urgent d'aller vers la pratique.
Nous avons avancé de la sorte.
Une anecdote, et trois enseignements, assortis d'une condition.
Un texte de Kateb Yacine, un extrait du Polygone étoilé. Alger y est évoqué en des vers prenant forme d'escalier. Suit une étude de textes classique, presque "méthodique". Les deux classes de seconde suivent avec cette attention polie qui ressemble parfois si bien à la somnolence. Mlle Bell arpentait les cimes de l'explication de textes soulignait déjà Christiane Rochefort. Le rituel accompli, le professeur lance un devoir : vous choisirez un texte, quel qu'il soit, une page aimée, frappante, une recette de cuisine…et vous le mettrez en forme. Le dessin devra reproduire le rythme interne du propos. Le vieil enseignant applique les nouveaux programmes, sans trop y croire. Il s'attend à des travaux expédiés, des illustrations plates et scolaires. Au fond de lui remue la nostalgie du temps où l'on pouvait encore… Globalement, il se sent dévalorisé, glissant encore d'un degré vers la prostitution. Les deux paquets de copie secouent. Un travail énorme, de qualité, marqué par le soin et l'invention, cisaille les doutes. Il faut se rendre à l'évidence : l'exercice a passionné, suscité la créativité, ceci expliquant sans doute cela. Tel texte sur les maux de tête est recopié en cercle, difficile à lire sans migraine, tel autre devient sablier, femme, et toujours le même désir de bien faire. Le professeur parle, communique à ses collègues, ils répondent. Eux aussi ont –avec la honte au front- tenté l'atelier. Celui-ci a fait écrire un texte en fonction du support, il colporte des richesses dans son cartable. Tel autre est parti d'un texte déclencheur sur "un état de souffrance", et les travaux rendus sont vrillés de phrases étonnantes.
Gadget, feu de paille ? Activité ludique ? Passe-temps prolongeant le collège ?
A ce niveau se situent les trois enseignements.
Il n'est tout d'abord pas négligeable que la liaison 3ème /2nde se mette en place de la sorte. N'avons-nous pas trop souvent oublié que celui qui arrive au lycée n'a pas vraiment changé depuis qu'il est sorti du collège. Deux mois ce sont écoulés. A peine. Et puis, l'invention au collège est-elle si négligeable ?
A cela s'ajoute une victoire certaine : le lycéen pratiquant l'écriture redécouvre de l'intérieur qu'il s'agit d'un travail, et d'un travail signifiant. Pour extirper certaines douleurs ou joies, rêves ou fantasmes, le "bon usage" de la langue ne suffit plus. S'imposent les notions de rythme, de musicalité, d'images, la page se fait espace à occuper, le texte ne vit qu'en déchirant les pratiques courantes. Qu'avons-nous donc à craindre de pareils exercices ? Parce qu'ils placent le lycéen en situation de création, ils ouvrent la voie aux notions de rhétorique, de prosodie. L'atelier donne des outils, mais il permet aussi d'entrer dans le mystère de la fabrication. De là on peut avancer vers la création, son approche et sa perception.
Enfin, il est courant de se plaindre du divorce s'imposant fatalement entre ceci et cela (à choisir, l'écrit/l'oral, la console de jeux /le livre, le consommable/l'éternel…et autres). Et si précisément, cette pratique de l'écriture d'invention replaçait l'élève face à la langue ? Plus exactement DANS la langue. Là gît une richesse dont nous n'avons exploité qu'une mince part. Par ce travail, l'élève redécouvre -avec une confiance qui n'est pas superflue- ce qu'il peut faire avec les mots. Surgit de ses profondeurs (il faut bien entendu admettre que ces jeunes ont autant de profondeur que les jeunes "d'avant") une richesse qu'il ne soupçonnait pas. On peut dès lors établir une réflexion sur les rapports unissant la vision du monde et la pratique du langage. La littérature ne travaille-t-elle pas dans cette zone ? Il nous semble que l'une des ses raisons d'être est de casser la langue figée pour que circulent les émotions et de nouveaux sens ; n'ayons pas peur de conduire les lycéens dans cette interrogation, par la pratique. Qu'il nous soit permis de faire appel au vieux Corneille, on peut en effet lire sous sa plume Il ne faut craindre rien quand on a tout à craindre. Rester figé face à l'écriture d'invention revient sans doute à laisser passer une chance. Nos élèves ont besoin de dire, de faire, d'intervenir. Nous pouvons nous appuyer sur ce désir qui n'a rien de factice, pour les conduire vers des découvertes essentielles. Ne pas y répondre peut créer une situation laissant entrevoir le pire. Il nous faut oser, si l'on veut ne pas vivre dans la crainte du rejet définitif.
Une condition essentielle s'impose pourtant : la formation. Sans une mise en perspective, tout peut tourner à la recette.
Notre établissement a eu la chance d'héberger un stage d'atelier d'écriture. Les professeurs ont été confrontés aux problèmes pratiques avant de se lancer. Et il n'a pas été simplement question de techniques mais d'une appréhension de la littérature contemporaine. Les deux aspects paraissent liés. Se joue de nos jours un travail sur la langue qui trace de nouvelles approches du monde. Elles répondent aux attentes, mais résistent et demandent un effort que l'on ne peut pas toujours fournir seul. Là pourraient se situer des revendications dynamiques.
Cette intervention n'est qu'un compte-rendu. Modeste, elle souhaite pourtant transmettre l'espoir. Notre lycée présente une dominante scientifique et technologique, les jeunes de la Côte d'Azur ne sont pas moins attirés par "l'extérieur" que les autres. Il nous semble pourtant avoir marqué quelques points dans le combat qui s'impose pour que la littérature vive. Des liens se créent avec des écrivains, François Bon en 2000, Martin Wincler en 2001. Et quels contacts, quels échos ! Après avoir rencontré François Bon, notre atelier de pratique artistique a créé ses propres textes et les a mis en scène. Il était troublant d'entendre ces jeunes interpréter cette richesse "venue de l'intérieur" devant plus de cent trente lycéens, dans un intense recueillement. Lors du printemps des poètes, des poèmes affiches ont envahi les murs du lycée, lancés par une poignée de volontaires. Aussitôt des dizaines d'autres ont voulu participer. Nous créerons ainsi un atelier affichages l'année prochaine, avec étude de supports, pratiques de collage. Deux poètes (Jean-Marie Barnaud et Alain Freixe) ont rencontré trois classes ; l'échange était marquant, simple et profond à la fois. Que pouvons-nous craindre si nous savons tenir la barre ?
Et qui pourra nous arrêter ?
Yves Ughes
Professeur de Lettres Modernes
Lycée Alexis de Tocqueville – 06130 GRASSE

Marcher sur la tête

par Raphaël Monticelli

agrégé de lettres modernes
adjoint au délégué académique pour les arts et la culture
rectorat de l'académie de Nice

Bel échange que je suis, depuis quelque temps, et auquel je n'ai guère eu le temps de participer... Ce serait lâchage ou lâcheté de ma part de ne pas me ranger aux côtés de mes frères de littérature et de pédagogie que sont Jean Marie Barnaud et Yves Ughes. De ne pas dire aussi mes arguments et mes positions dans cette nécessaire et urgente refonte de l'enseignement des lettres et de la littérature. De ne pas faire part de mes convictions qui sont du côté du travail de couture et de lien de François Bon, Jacques Séréna ou Michaël Glück... Je ne reprendrai pas le positionnement de Yves Ughes et de Jean Marie Barnaud; mon approche concernera davantage l'intérieur du système éducatif.
Ma première conviction est simple et massive: si l'objectif est de faire en sorte que nos élèves deviennent des lecteurs éclairés et attentifs de la littérature, celle de leur temps, comme la littérature "universelle", reprise, relue et vivifiée en fonction des problématiques de leur temps, si l'objectif est de leur faire construire leur savoir et leur délectation, leur espace d'intimité et d'altérité, cette zone d'humanité sensible faite de toutes ces voix toujours chairs tant qu'une conscience les fera lever des feuilles ou surgir des écrans, si l'objectif est qu'ils apprennent à goûter, vivre, aimer et haïr la littérature, alors on peut dire que notre façon habituelle d'enseigner est d'abord un échec.
Qui oserait prétendre le contraire?
Je n'ai jamais fait le compte de tous ces élèves, quel que soit leur âge, dont le premier souci était d'éviter de lire, de tirer à la ligne pour un devoir sans motif et sans enjeu, praticiens de la pompe de la formule toute faite, de l'ennui... Qui peut dire l'inverse? Qui peut prétendre que la façon actuelle d'enseigner la littérature conduit, grâce à l'école, les jeunes gens à se saisir de Racine ou d'Apollinaire, de Proust ou Zola ou Rimbaud, ou Dante, ou Homère, a fortiori (?) Simon, Bon, Novarina, Bergounioux? Qui peut laisser croire un instant, qu'avec nos façons habituelles de faire, les gamins -classez les dans les favorisés ou les défavorisés, ça ne changera massivement rien- iront au texte, auront la curiosité d'ouvrir les livres, auront l'audace de construire une critique de leur approche des livres, auront le plaisir de s'entourer de livres, de vivre dans la familiarité des voix les plus profondes de notre humanité?
Qui peut oser dire que les lycéens de nos lycées professionnels sont normalement initiés à la littérature?
Qui pourrait avoir ce front là? Quel autre constat que celui de l'échec -relatif échec, explicable, humainement traitable- quel autre constat faire, massivement? Franchement?
Et face à cet échec de notre système éducatif, au moins en matière de littérature et d'arts, comment ne pas voir les techniques de survie imaginées par les élèves?
Je suis persuadé qu'il faut d'abord partir de là. De l'ennui que le système éducatif a l'habitude de produire avec la littérature et l'art.
Ma deuxième conviction est tout aussi simple et tout aussi massive: peu de choses attirent nos jeunes autant que la littérature et l'art. ça ne les attire certes pas moins que les sciences ou le sport... En d'autres termes: je n'ai jamais rencontré d'élève, quel que soit son âge, incapable de s'enthousiasmer pour l'objet littéraire et/ou artistique, les effets que cet objet induit, les démarches et les questionnements dont il est porteur, je n'en ai pas vu d'incapables de discerner les enjeux à l'oeuvre.
J'ai enseigné en contact avec des élèves de la maternelle à l'université pendant 25 ans, je suis, depuis 5 ans, chargé d'une mission de développement artistique et culturel, enseignant, donc, sans contact direct avec les élèves, j'ai vu non seulement mes propres élèves, mais aussi ceux de nombreux de mes collègues, de la maternelle à l'université. Je peux donner mille exemple de la passion, depuis mes gamins de 5ème, dans un collège rural, lisant pendant 2 heures du Saint John Perse pour la seule raison qu'il venait de mourir et que nous lui rendions un banal hommage, et qui me rappellent toujours cette séance près de 30 ans plus tard, jusqu'aux élèves de Yves Ughes rencontrant Martin Winckler, il y a trois semaines. Oui. Je peux donner des centaines et des centaines d'exemples, avec des dizaines et des dizaines d'enseignants, de cette rencontre avec la littérature et l'art et ce que cette rencontre provoque dans la vie des gens, dans leur façon de se poser face au monde et à leur vie.
Voulez vous que je vous dise l'étonnante rencontre de ces élèves de 3ème que nous "réadaptions" et tous voués au "cycle court ou à la vie active", face à l'Andromaque de Racine? Ou celle, inopinée, de Michel Butor avec une classe de 4ème d'Antibes, alors que leur professeur de lettres n'avait pu être présent, pour confronter leurs lectures de Jules Verne?
Voilà un deuxième point d'appui: je suis persuadé que nos élèves sont en soif de littérature et d'art. (dois-je donner, pour en convaincre encore, l'exemple de ces 3 (3 seulement, mais 3!) coups de fil reçus au bureau, de lycéens de LP, élus dans les comités de vie lycéenne et me demandant ce qu'ils pouvaient faire pour qu'il y ait plus de culture et d'art dans leur établissement? Vous imaginez la poussée sociale pour que "ça" se produise?)
Ma troisième conviction continue dans la même voie de la simple évidence: mes fonctions m'ont conduit, depuis une quinzaine d'années, à rencontrer des milliers d'enseignants et à participer à leur formation, initiale ou continue. Je n'en jamais rencontré qui ne soit capables de passion et d'enthousiasme dans les domaines de la littérature et de l'art. Jamais. J'en ai rencontré qui se sentaient aussi démunis que les élèves eux-mêmes, j'en ai vu qui cachaient, parfois, une inculture, dont ils souffraient, toujours, dans certains domaines. Je n'en ai jamais vu qui ne se soient engagé dans un développement culturel personnel dès le moment où ils se sont trouvés en situation de le faire, et qui n'aient pris plaisir (je dis plaisir) à faire passer dans leur classe cette respiration là. En premier comme en second degré.
Il y aurait des choses bien plus précises et plus complexes à dire sur nos formes de culture/inculture dans le système éducatif. Je pense notamment à ce travail que nous avons fait avec Alain Freixe, à Grasse, avec la coopération des collègues de la bibliothèque municipale (et auquel ni Jean Marie Barnaud, ni Yves Ughes, ni François Bon, ni Michaël Glück ne sont étrangers). C'était en 1996-1997: nous nous étions engagés, en 1995-1996, dans une formation sur la pédagogie de la poésie avant de nous apercevoir que personne parmi nos collègues (personne) n'avait la moindre idée de ce qu'était la poésie contemporaine: nous avions fait aux collègues crédit d'un savoir... Je vous laisse imaginer nos analyses.
La formation a été entièrement reprise. Avec l'aide de Jean Pierre Siméon venu tout exprès de Clermont Ferrand. Nous avons repris la formation à la poésie contemporaine cette fois, aux manières de la lire, de l'aborder, de la négocier, aux champs qu'elle présente, à ses réalités, esthétiques, sociales, économiques... Me croirez vous sur parole si je vous dis encore une fois passion? Ce que je dis de la poésie contemporaine, je pourrais le dire de l'art contemporain ou de la musique: même si nous avons un corps d'enseignants spécialisés extrêmement performants; il manque, parfois, dans nos pratiques, ce qui fait sens.
Il y aurait beaucoup d'autres choses à dire, mais le fond est là: un enseignant est éminemment "motivable" dès lors qu'il est mis en situation de maîtrise de l'information, de clarification des enjeux, de "fonctionnalité positive" auprès de ses élèves... Vous dirai-je, pour preuve, le travail sur le livre d'artiste et l'écriture poétique développé depuis cette année là dans les classes de SEGPA du collège de Canteperdrix? J'ai, en magasin, des centaines d'exemples.
Je suis bien persuadé de cela: nous avons, dans le système éducatif, dans l'éducation nationale, tout le personnel capable de faire en sorte que les jeunes soient passionnés, parce qu'il a lui même cette capacité à la passion.
Voici une quatrième conviction. Elle est aussi tout aussi nue et simple que les autres: notre enseignement des lettres marche sur la tête. La lecture des instructions officielles et leur évolution, est, au fond, réjouissante: elle témoigne de l'effort d'une société à penser et repenser les meilleurs modes de transmissions de ses valeurs et de ses savoirs. Certains moments dans l'histoire des instructions officielles sont impressionnants. Il n'en reste pas moins que, dans la sphère de la loi, ce que se dit, c'est toujours l'état des tensions sur un sujet donné. Derrière les instructions remuent et poussent les conflits, les enjeux politiques, idéologiques, philosophiques et esthétiques. Truisme, n'est-ce pas? Mais cela signifie, tranquillement, que ce qui est tête pour les uns, est pieds pour les autres. En défendant un autre mode d'enseigner la littérature, l'art, à vrai dire un autre mode d'enseigner (justement pas d'enseigner, du reste, peut-être), c'est à une conception différente des rapports des gens avec leur propre vie, leur temps, les autres, eux mêmes, que l'on défend. Belle banalité. Qu'il faut, bien banalement, rappeler.
Notre enseignement des lettres marche sur la tête. Je vous renvoie à toutes les analyses de la question, à tout ce qui a fait que nous en sommes arrivés à voir se développer des ateliers en littérature: ateliers d'écriture, bien sûr, comme atelier de lecture à vrai dire. Il y a dans l'intervention de Yves Ughes des choses très claires sur ce sujet; toute la démarche de François Bon va dans ce sens. Je rappelle les analyses de Claudette Oriol-Boyer qui fut parmi les premières à élaborer l'atelier d'écriture comme réponse critique aux insuffisances de notre enseignement des lettres.
Marcher sur la tête, c'est par exemple, laisser de moins en moins libre cours, au fur et à mesure de la scolarité, à l'écriture d'invention (d'imagination disait-on aussi), et se retrouver dans la seule écriture d'analyse critique au moment où l'on devient capable de maîtriser les processus de l'écriture d'invention.
Marcher sur la tête, c'est, par exemple, faire produire des textes dans des genres inconnus dans la vie sociale et littéraire (ah! le commentaire composé! bel exercice que j'ai aimé, je dois l'avouer, comme on aime certaines bizarreries de la nature, mais...) qui ne visent qu'un seul lecteur, le maître, qui, du reste, lit moins qu'il n'évalue... ou juge et note. On connaît ces arguments.
Marcher sur la tête c'est, encore, faire que des élèves soient amenés à peser et juger des morceaux, sans que personne jamais leur apprenne à considérer, tranquillement, les ensembles.
Marcher sur la tête, c'est favoriser la culture du fragment au détriment de la connaissance des textes. C'est scolariser le texte complet, c'est supposer connu d'avance ce qui est en fait visé comme objectif de formation, en l'occurence, on suppose capable de lire un texte dans son intégralité un élève à qui on doit apprendre à lire un texte dans son intégralité etc. etc. etc.
Marcher sur la tête c'est faire passer l'exercice d'analyse avant la rencontre des textes, donner la primauté à l'approche critique, sur l'approche sensible et la nécessité de créer.
Voilà encore quelque chose dont je suis persuadé: il faut remettre le rapport à la littérature sur ses pieds: il faut apprendre à lire, il faut permettre à nos élèves une lecture qui s'inscrive dans le temps, la durée, l'espace, le corps, l'échange, le débat, la rencontre. La rencontre. Il faut leur apprendre à prendre et choisir, aimer et haïr, le dire, changer d'avis, relire, toucher, renifler, sentir le poids du volume, l'odeur du papier, fureter, prendre son temps. Prendre son temps. Il faut pratiquer la lecture d'invention, au sens où l'archéologue invente le site.
Rien ne remplace le rapport à l'écriture dans ce va et vient entre le texte et le jeune. Je ne saurais rien dire de plus ou de mieux que ce que développe François Bon dans ses propositions d'ateliers d'écriture: comme mode de lecture, de la littérature, du monde, des autres et de soi. Comme mode d'approcher des processus de création et de ce dont ces processus sont porteurs, des savoirs qu'ils véhiculent, des questions qu'ils permettent de formuler, des enjeux qui les tiennent. Comme invention.
Ecrire, et pas seulement pour refaire et intégrer le cheminement de l'expert, mais pour inventer: (se) faire surgir comme site, mettre à jour du vivant, (se) problématiser...
Raphaël Monticelli
agrégé de lettres modernes
adjoint au délégué académique pour les arts et la culture
rectorat de l'académie de Nice

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L’écriture " inventée " ?

Une indispensable respiration à faire partager !

par Alain Bellet

Et si l’écriture inventée, dont certains se gargarisent du bout des phalanges, était tout simplement la vie, le rapport au monde, l’éveil culturel ? Soi, l’autre, votre voisin, confrontés au sensible, à l’imaginaire, à la recomposition littéraire d’un réel étouffant ?

Pour une fois, les pédagogues en vacances se la jouent sérieuse ! Mais pardon, Messieurs, l’enseignement et la découverte de la langue française n’est pas l’apanage des seuls enseignants. Cela concerne les citoyens, tristes de constater que les métalangages des années qui s’ouvrent (des Vas-y banlieusards à l’Économiquement Correct des énarques relayés par le pauvre parler médiatique…) nous grignotent de plus en plus l’échine et l’intelligence.

La littérature n’est pas qu’une vieille relique embaumée, un héritage public, capté par une poignée de spécialistes ! Elle est aussi un champ d’expérimentation, un lieu d’éclosion où le présent des mots ne saurait être réduit à de ridicules considérants, attachés à la réforme des notations… Désolé, pour moi ce n’est plus la critique besogneuse des sacro-saints auteurs disparus, disséqués et fragmentés à l’envi, qui donne la passion de la littérature et le goût de lire, mais une pratique personnelle, une ébauche de passage à l’acte, une implication réelle. Elle est une sente sinueuse où s’acquiert une autonomie, un sens critique et cette impertinence intellectuelle qui semble, hélas, disparaître, trop souvent combattue par nos doctes mentors.

Combien de jeunes et d’enfants se sont réconciliés avec la langue et la littérature, grâce à une simple rencontre avec un auteur de chair et de sang, un écrivain vivant descendant dans la mêlée des vies ordinaires, pour présenter ses propres histoires inventées avant de convier les élèves à prendre place autour de l’établi, pour un voyage initiatique dans l’arrière-cuisine de la littérature… Là où elle se fabrique, avec émotion, sans thème, sans sujet imposé, sans manipulation scolaire…

D’un côté, il y aurait la Grande Œuvre, maîtrisée et solitaire, prestigieuse et quasi-éternelle, le Nirvana de l’Auteur intemporel, et de l’autre, des pratiques presque honteuses, alimentaires, bâclées, épuisantes. Si l’auteur créé par essence, parfois, il bat la campagne et court la ville, de groupes en groupes, de classes en classes, pour animer, dit-on à tort, des groupes d’écriture, diriger des travaux de fictions collectives, jeter en pâture sans gloriole le B.Aba du romanesque à qui veut bien s’en saisir...

L’écrit inventé ne peut jamais être conduit par des gens extérieurs " au bâtiment " et c’est sans doute pour cela que certains assassinent volontiers les pratiques où se mêlent volontiers oxygène et liberté !

Depuis une dizaine d’années, une aspiration à de nouvelles pratiques d’écrivain s’est largement développée. Sans mission précise et plutôt au jugé, ces évangélistes de la plume se trouvent investis d’une mission de sauvegarde de la lecture, de conscientisation, de développement de la maîtrise de la langue, dans une jolie logique de cailloux à poser pour de nouveaux petits Poucets, attentifs au sens des choses...

Des chantiers de création littéraires conduits par des écrivains fleurissent dans les écoles, les collèges, les quartiers dits sensibles, les prisons, les hôpitaux... Ces pratiques concrètes redéfinissent la place de l’écrivain dans la société, le désacralisent et proposent ainsi d’autres rapports à la lecture, à l’approche de la littérature, qu’une accumulation de savoirs un peu rigides. La densité, la musicalité d’un texte, la fragilité d’une œuvre donnée à entendre, redistribuent les savoir-faire, gomment les rôles institués.

Tous ces auteurs vont à la rencontre des publics en qualité d’écrivain et non au titre d’un vague statut bâtard d’animateur social bis ou de double prof des mots ! Depuis longtemps, la Sorbonne et la rue du Bac ne sont plus les seuls espaces de l’écrit littéraire et aujourd’hui, la question d’une pratique d’écriture amateur accompagnée, celle, d’une reconnaissance, sont à l’ordre du jour.

Si l’écriture littéraire constitue un jeu complexe de navettes, entre les autres et soi-même, entre le monde tel qu’il se montre à voir et une intériorité toujours mutante, éternellement en devenir, personne n’apprend réellement à écrire. On s’y jette, comme un besoin d’air pur, une volonté de sauvegarde, un espace à gagner sur le rationnel, un lieu de retrouvailles avec sa propre histoire, en quête d’humanité. L’écriture offre alors un dépassement de fractures, de non-choix accumulés avec le temps. Écrire avec autrui, c’est participer à un ensemble d’actions culturelles plantées sur le champ littéraire d’une ville, d’une zone géographique. C’est aussi accepter une authentique confrontation aux réalités sociales, aux vraies questions de l’heure, des hommes, des femmes, des enfants.

Accompagner les jeunes dans l’écriture, leur en donner l’envie, en reconnaissant l’existence et la valeur de leur propre imaginaire, consiste à jouer les passeurs permissifs, à poser sur le réel un regard sans complaisance ni tricherie. Partage et confiance s’imposent alors. Ce faisant, le travail de l’auteur va s’en trouver grandi, parce que confronté à toutes ces richesses et complexités enfouies qu’il va aider à révéler, autoriser enfin à exister.

Et s’il faut affirmer un simple credo dans l’univers des mots, ce serait sans doute de toujours permettre le retour à l’humain, de proposer une ouverture au monde, de se tenir debout, face à l’adversité la plus insidieuse, ne serait-ce que celle des habitudes et de la rigidité pédagogique…

Alain Bellet, écrivain

le site perso d'Alain Bellet : http://perso.wanadoo.fr/alain.bellet/