remue.net / en débats ateliers d'écriture : l'écriture d'invention et l'enseignement |
||||
|
|
|||
la contribution d'Alain Bellet Alain Bellet est écrivain, voir son site http://perso.wanadoo.fr/alain.bellet/ |
|
Lécriture " inventée " ? Une indispensable respiration à faire partager ! Et si lécriture inventée, dont certains se gargarisent du bout des phalanges, était tout simplement la vie, le rapport au monde, léveil culturel ? Soi, lautre, votre voisin, confrontés au sensible, à limaginaire, à la recomposition littéraire dun réel étouffant ? Pour une fois, les pédagogues en vacances se la jouent sérieuse ! Mais pardon, Messieurs, lenseignement et la découverte de la langue française nest pas lapanage des seuls enseignants. Cela concerne les citoyens, tristes de constater que les métalangages des années qui souvrent (des Vas-y banlieusards à lÉconomiquement Correct des énarques relayés par le pauvre parler médiatique ) nous grignotent de plus en plus léchine et lintelligence. La littérature nest pas quune vieille relique embaumée, un héritage public, capté par une poignée de spécialistes ! Elle est aussi un champ dexpérimentation, un lieu déclosion où le présent des mots ne saurait être réduit à de ridicules considérants, attachés à la réforme des notations Désolé, pour moi ce nest plus la critique besogneuse des sacro-saints auteurs disparus, disséqués et fragmentés à lenvi, qui donne la passion de la littérature et le goût de lire, mais une pratique personnelle, une ébauche de passage à lacte, une implication réelle. Elle est une sente sinueuse où sacquiert une autonomie, un sens critique et cette impertinence intellectuelle qui semble, hélas, disparaître, trop souvent combattue par nos doctes mentors. Combien de jeunes et denfants se sont réconciliés avec la langue et la littérature, grâce à une simple rencontre avec un auteur de chair et de sang, un écrivain vivant descendant dans la mêlée des vies ordinaires, pour présenter ses propres histoires inventées avant de convier les élèves à prendre place autour de létabli, pour un voyage initiatique dans larrière-cuisine de la littérature Là où elle se fabrique, avec émotion, sans thème, sans sujet imposé, sans manipulation scolaire Dun côté, il y aurait la Grande uvre, maîtrisée et solitaire, prestigieuse et quasi-éternelle, le Nirvana de lAuteur intemporel, et de lautre, des pratiques presque honteuses, alimentaires, bâclées, épuisantes. Si lauteur créé par essence, parfois, il bat la campagne et court la ville, de groupes en groupes, de classes en classes, pour animer, dit-on à tort, des groupes décriture, diriger des travaux de fictions collectives, jeter en pâture sans gloriole le B.Aba du romanesque à qui veut bien sen saisir... Lécrit inventé ne peut jamais être conduit par des gens extérieurs " au bâtiment " et cest sans doute pour cela que certains assassinent volontiers les pratiques où se mêlent volontiers oxygène et liberté ! Depuis une dizaine dannées, une aspiration à de nouvelles pratiques décrivain sest largement développée. Sans mission précise et plutôt au jugé, ces évangélistes de la plume se trouvent investis dune mission de sauvegarde de la lecture, de conscientisation, de développement de la maîtrise de la langue, dans une jolie logique de cailloux à poser pour de nouveaux petits Poucets, attentifs au sens des choses... Des chantiers de création littéraires conduits par des écrivains fleurissent dans les écoles, les collèges, les quartiers dits sensibles, les prisons, les hôpitaux... Ces pratiques concrètes redéfinissent la place de lécrivain dans la société, le désacralisent et proposent ainsi dautres rapports à la lecture, à lapproche de la littérature, quune accumulation de savoirs un peu rigides. La densité, la musicalité dun texte, la fragilité dune uvre donnée à entendre, redistribuent les savoir-faire, gomment les rôles institués. Tous ces auteurs vont à la rencontre des publics en qualité décrivain et non au titre dun vague statut bâtard danimateur social bis ou de double prof des mots ! Depuis longtemps, la Sorbonne et la rue du Bac ne sont plus les seuls espaces de lécrit littéraire et aujourdhui, la question dune pratique décriture amateur accompagnée, celle, dune reconnaissance, sont à lordre du jour. Si lécriture littéraire constitue un jeu complexe de navettes, entre les autres et soi-même, entre le monde tel quil se montre à voir et une intériorité toujours mutante, éternellement en devenir, personne napprend réellement à écrire. On sy jette, comme un besoin dair pur, une volonté de sauvegarde, un espace à gagner sur le rationnel, un lieu de retrouvailles avec sa propre histoire, en quête dhumanité. Lécriture offre alors un dépassement de fractures, de non-choix accumulés avec le temps. Écrire avec autrui, cest participer à un ensemble dactions culturelles plantées sur le champ littéraire dune ville, dune zone géographique. Cest aussi accepter une authentique confrontation aux réalités sociales, aux vraies questions de lheure, des hommes, des femmes, des enfants. Accompagner les jeunes dans lécriture, leur en donner lenvie, en reconnaissant lexistence et la valeur de leur propre imaginaire, consiste à jouer les passeurs permissifs, à poser sur le réel un regard sans complaisance ni tricherie. Partage et confiance simposent alors. Ce faisant, le travail de lauteur va sen trouver grandi, parce que confronté à toutes ces richesses et complexités enfouies quil va aider à révéler, autoriser enfin à exister. Et sil faut affirmer un simple credo dans lunivers des mots, ce serait sans doute de toujours permettre le retour à lhumain, de proposer une ouverture au monde, de se tenir debout, face à ladversité la plus insidieuse, ne serait-ce que celle des habitudes et de la rigidité pédagogique |